2019 aux palais de justice

101640572d54b797cbeccfcbc6c8752c

Nous vivons sous le gouvernement des juges


Les jugements marquants de 2019, ils se trouvent d’abord à la Régie du logement pour un loyer insalubre, à la Cour des petites créances pour rupture de contrat entre particuliers, ou devant la Cour supérieure en habeas corpus. Pour ceux qui se sont frottés à la justice cette année, leur passage à la Cour est le point d’orgue juridique de leur année. Parce que le processus juridique est parfois éreintant, stressant, abrutissant, ruinant ou décevant pour le justiciable, ce papier s’adresse d’abord à eux.


Cela dit, des causes plus grandes que les individus se sont frayé un chemin devant les tribunaux en cette année 2019. Aperçu.


Aide médicale à mourir


Probablement la cause la plus humainement sensible à avoir été entendue cette année par un tribunal québécois. Nicole Gladu et Jean Truchon, nommés à juste titre comme personnalités de l’année par l’équipe de L’actualité, ont porté cette cause devant la Cour supérieure accompagnés de Me Jean-Pierre Ménard, véritable monument de la défense des droits des patients, qui, ironie du sort, combattait un cancer au même moment. La force de la vie au service du droit à l’aide médicale à mourir. On ne pourrait inventer plus belle métaphore.



 


Leur victoire en Cour supérieure est d’une importance capitale pour le droit québécois et canadien. Les deux gouvernements impliqués, fédéral et provincial, ne porteront pas la cause en appel, ce qui signifie que six mois leur sont donnés pour qu’ils modifient leurs lois respectives.


Il s’agissait de la deuxième fois qu’une telle contestation se retrouvait devant les tribunaux. En 2015, la Cour suprême invalidait les articles du Code criminel du Canada qui interdisaient l’aide au suicide, envoyant ainsi le parlement fédéral à l’écriture délicate d’un nouveau projet de loi qui soit conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. C’est le résultat de ce travail qui était contesté par Nicole Gladu et Jean Truchon, notamment sur la notion de « fin de vie » qui se retrouvait à la loi québécoise.


Au-delà de l’importance de ce dossier, c’est leur contribution qu’il est nécessaire de souligner. Pour n’importe qui, un tel combat judiciaire est éminemment éprouvant. M. Truchon et Mme Gladu méritent toute notre admiration.



L’environnement devant le tribunal


Nous entrons dans une époque où nous verrons de plus en plus les tribunaux se saisir de causes relatives aux changements climatiques. L’année 2019 en compte en grand nombre.



 


La taxe carbone mise en place par le gouvernement Trudeau dans son premier mandat n’aura pas été qu’une cause de débats politiques. Cette taxe est aussi devant les tribunaux canadiens, alors que plusieurs provinces sont d’avis que celle-ci est inconstitutionnelle, et ne respecterait pas les champs de compétences des provinces. À ce jour, aucun tribunal ne leur a donné raison, et la cause se retrouve maintenant en Cour suprême. J’écrivais plus tôt cette année qu’il est difficile de ne pas déceler dans ces contestations judiciaires une certaine instrumentalisation politique de la taxe carbone.


En 2019, on a aussi vu une action collective introduite par l’organisme ENvironnement JEUnesse, qui visait à compenser les jeunes de moins de 35 ans des dommages causés par les changements climatiques. La demande a été rejetée par la Cour supérieure, car celle-ci jugeait qu’il ne s’agissait pas du bon véhicule procédural. Il ne faut cependant pas occulter le fond de l’argumentaire de l’organisme demandeur, c’est-à-dire la volonté de voir reconnu le droit à un environnement sain, selon la Charte canadienne des droits et libertés. Il faut cependant admettre que le choix de se tourner vers une action collective pour en arriver à cette conclusion était inédit en droit, et les chances sont minces que la Cour d’appel n’infirme cette décision.


En Ontario, sept jeunes de 12 à 24 ans ont pour leur part introduit un recours visant à forcer le gouvernement Ford à adopter des cibles de réduction des GES plus ambitieuses. L’organisme Ecojustice plaide pour un jugement « qui reconnaît que les modifications aux objectifs climatiques briment les droits fondamentaux des Ontariens », le tout en réaction à la nouvelle politique du gouvernement Ford qui annule le système de plafonnement et d’échanges des GES qui avait été mis en place par le précédent gouvernement de Kathleen Wynne. L’argumentaire est semblable à la cause québécoise mentionnée plus tôt, mais la fin recherchée est différente.


Enfin, le Massachusetts a introduit une poursuite en octobre dernier contre ExxonMobil, l’accusant de ne pas tenir compte de l’impact climatique dans ses décisions, notamment relativement aux sables bitumineux de l’Alberta. Quand on sait qu’à elles seules, 100 entreprises seraient responsables de 71 % des émissions globales de GES, voilà peut-être une voie d’avenir.



 


Ce ne sont là que quelques-unes des causes judiciaires relatives à l’environnement déposées dans le monde, et il s’agit certainement d’une tendance qui ne va aller qu’en augmentant. Face à l’inertie politique quant aux changements climatiques, on ne peut que s’en réjouir.


Loi sur la laïcité


Malgré l’utilisation de la clause de dérogation dans la mise en œuvre de la Loi sur la laïcité de l’État du gouvernement Legault, les contestations de ce projet de loi phare du gouvernement Legault étaient inévitables.


Certes, la disposition de dérogation prévue à la Charte canadienne des droits et libertés permet de mettre à l’abri de toute contestation judiciaire les articles 2 et 7 à 15 de la même loi. Ce qui ne veut cependant pas dire que d’autres recours judiciaires sont impossibles.


À l’heure actuelle, trois recours ont été déposés devant la Cour supérieure du Québec par différents intervenants. Une plainte au Conseil de la magistrature contre la juge en chef Nicole Duval-Hesler a été déposée récemment par crainte des plaignants de sa partialité.


Une lettre provenant d’un « collectif d’avocats, d’enseignants en droit et de juristes » anonymes a été publiée pour dénoncer cette soi-disant partialité, disant craindre pour l’État de droit. Les superlatifs n’y manquent pas, ce qui est étonnant de la part d’auteurs qui n’ont pas le courage de signer un tel texte.


Décidément, le psychodrame autour de la laïcité est loin d’être terminé.





-->