Les juges exagèrent !

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Les turpitudes du tiers monde juridique canadien

Les juges demeurent des humains. Ils peuvent, dans certaines situations, manquer de jugement. 


Respectueusement, je crois que c'est le cas dans le dossier de la nomination des juges.


Trois noms


Celui-ci a refait surface lorsque le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a proposé, le 3 juin, des modifications au règlement sur ces nominations.


La principale modification? Que désormais il soit obligatoire que le comité de sélection propose trois noms au ministre. Jusqu'à maintenant, trois, c'était un maximum.


La procédure de nomination a été resserrée en 2012, après la Commission Bastarache (déclenchée par le gouvernement Charest en réaction aux affirmations de Marc Bellemare concernant l'influence indue des collecteurs de fonds libéraux sur la nomination des magistrats).


Depuis lors, pour éviter toute pression partisane et même politique, le ministre n'a presque plus de discrétion. Choisir parmi les trois noms, c'est à peu près tout ce qui en reste. Citons le rapport Bastarache: que la nomination revienne au gouvernement n'est pas «illégitime», elle permet même «d'insuffler au pouvoir judiciaire une certaine imputabilité démocratique».


Empire


À partir de 2012, le ou la juge en chef de la Cour du Québec a pu placer des personnes clés dans les comités de sélection. Et s'occuper de la formation des autres (représentants du Barreau, du public, etc.).


Si bien que le processus de nomination serait graduellement devenu «l'empire des juges en chef» (formule d'un magistrat à la retraite).


Une habitude est en croissance: les comités de sélection tendent à proposer moins de trois noms au ministre.


Dans un rapport du Secrétariat à la sélection des candidats à la fonction de juge, on peut lire qu'entre avril 2021 et mars 2022, sur 11 concours, la majorité des comités ont proposé «moins de trois candidats».


Le phénomène avait commencé sous les libéraux: la ministre Stéphanie Vallée avait annulé au moins un concours puisqu'elle n'avait reçu qu'un seul nom.


Convenons que n'offrir à la discrétion ministérielle un unique nom n'est pas exactement un signe de respect pour le principe d'«imputabilité démocratique». Dans ces cas, en définitive, les juges nomment les juges; c'est une cooptation.


Mais pour le Conseil de la magistrature (CdlM), le nouveau règlement est une absolue hérésie. Notamment l'obligation des trois noms. Dans son mémoire sur le sujet, il écrit que des juges «inaptes» pourront être nommés et que cela «risque de créer une situation chaotique»!


C'est franchement excessif. Dans la querelle qui oppose la juge en chef Rondeau au ministre Jolin-Barrette, on pointe souvent ce dernier comme seul et unique responsable.


Dans le cas cependant, même des sources au Barreau (ordre professionnel qui rejette aussi le nouveau règlement) trouvent le mot «chaotique», utilisé par le CdlM, fort de café.


On comprend bien pourquoi: les juges des cours supérieure, d'appel et suprême sont nommés par le fédéral où une procédure «pré-bastarachienne» (et même pire) subsiste, ouverte à toutes les influences, discrétion partisane (vérifications sur la «libéraliste» du PLC par exemple).


On aimerait bien entendre Mme Rondeau affirmer que les juges de ces tribunaux sont «inaptes». Ou en quoi la situation de ces tribunaux supérieurs est «chaotique»...