Il y aura bientôt un an que l’affaire Duffy faisait son apparition médiatique, et six mois avérés qu’elle plombe la vie politique de Stephen Harper, amenant à intervalles réguliers son lot de rebondissements. Le premier ministre, il l’a encore fait jeudi, plaide pourtant l’ignorance. Invraisemblable et pitoyable.
Pauvre Stephen Harper ! Où est passé son instinct politique, celui qui lui a permis depuis des années de terrasser ses adversaires et de sortir de tous les abus démocratiques ? Coulé par un sénateur dépensier…, quelle ironie pour le politicien qui, du temps de l’opposition, se promettait d’être le champion de la transparence, de l’imputabilité et de la moralité politique. Il aurait dû au fond écouter son ex-chef de cabinet Nigel Wright, aujourd’hui l’homme du déshonneur, qui écrivait dans un courriel daté du 6 février dernier à propos du cas Duffy : « Je pense que tout cela va mal finir. » De fait…
C’est à la mi-décembre 2012 que l’Ottawa Citizen révélait que Mike Duffy, ex-journaliste vedette devenu sénateur conservateur et star de la collecte de fonds, s’était joué des règles sénatoriales pour réclamer frauduleusement plus de 33 000 $ de remboursement de frais de logement. Pas le scandale du siècle, mais certainement une nouvelle qui allait obliger le Sénat à se pencher sur le dossier, d’autant que d’autres sénateurs étaient visés par le même genre d’allégations.
Ce n’était qu’un début, d’autres révélations suivront. En mai, elles sont explosives : les sommes détournées par M. Duffy s’élèvent finalement à 90 000 $ et c’est grâce à un chèque personnel de Nigel Wright qu’il a pu rembourser le Sénat. Le chef de cabinet de M. Harper avait beau être un homme riche, cette générosité était fort suspecte : les deux hommes n’étaient même pas amis ! Le premier ministre disait pourtant tomber des nues, congédiait son chef de cabinet… Or, le réseau CTV en rajouta : il avait été prévu par contrat qu’en échange de l’argent remis, le rapport sénatorial qui devait blâmer Mike Duffy serait modifié. Un vrai camouflage politique, envisageable seulement si M. Harper, contrôleur en chef, avait donné son accord.
Mercredi, on n’en était plus aux scoops de journalistes. C’est la Gendarmerie royale du Canada elle-même qui déployait, sur 80 pages, quelque 2600 courriels ainsi que des copies de chèques et de relevés bancaires témoignant des intenses tractations politiques, ingérence au Sénat incluse, pour sauver Mike Duffy alors que celui-ci faisait monter les enchères. M. Harper souhaite qu’il rembourse ? Soit, mais pas question qu’il paye de sa poche ni qu’il soit blâmé ! Treize personnes ont été directement impliquées dans l’affaire, précise la GRC, dont les plus proches collaborateurs de M. Harper.
Il va de soi que le premier ministre devait être au courant. On n’est pas au cabinet de Gérald Tremblay, ici ! Et c’est la seule logique qui réponde à sa nature et à ses manières depuis son arrivée au pouvoir. M. Harper joue mal le jeu de l’aveuglement.
Il sait lire toutefois, et a trouvé la petite phrase, dans les 80 pages du rapport, qui indique que M. Wright a signé le chèque au sénateur Duffy « sans le consentement écrit du chef du gouvernement ». Une défense à laquelle les conservateurs se raccrochent mais qui tient à peu de choses. Il suffirait que Nigel Wright, maintenant susceptible, tout comme M. Duffy, d’être poursuivi pour abus de confiance et corruption, en ait assez d’être le bouc émissaire. Qu’il raconte que le consentement a été donné de vive voix, par exemple. Les chefs de cabinet ont certes pour vocation de protéger leur premier ministre, mais au point de risquer la prison ?… Pauvre, pauvre M. Harper.
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