Les réflexes n’y sont décidément pas, ce qui témoigne, tant de la part du chef libéral que de son ex-coprésident de campagne Dan Gagnier, d’une incompréhension profonde de l’éthique en politique. L’air de nouvelle gauche et de changement de Justin Trudeau est soudainement vicié par le pétrole. Rien de neuf quoi !
Encore et toujours la détestable impression que les forces économiques sont aux portes du pouvoir, alors que les gagne-petit, la classe moyenne et encore moins les démunis n’arrivent même pas à en approcher…
Dan Gagnier, qui a dû quitter mercredi la campagne électorale de Justin Trudeau, portait donc deux chapeaux au même moment : celui de coprésident de la campagne nationale libérale et celui de contractuel rémunéré par la compagnie TransCanada, porteuse d’un controversé projet de pipeline pour lequel les gouvernements doivent donner leur aval.
Les professionnels en « congé » pour venir gentiment aider des candidats n’ont jamais manqué dans les campagnes électorales, quelles qu’elles soient, et leur bénévolat a maintes fois été largement récompensé par la suite. Du scandale des commandites à la commission Charbonneau, nous avons tout su de ces tours de passe-passe. Le phénomène même du lobbying auprès des élus a de son côté connu une véritable explosion au fil du temps, qu’on peut au moins suivre en partie depuis que les lobbyistes sont tenus d’être enregistrés. Mais en partie seulement.
Rétribué par TransCanada depuis le printemps, Dan Gagnier n’est pas un lobbyiste enregistré. Il est plutôt un vieux routier de la fonction publique, du politique (travaillant auprès de trois premiers ministres, dont Jean Charest) et du secteur de l’énergie, passant d’une porte à l’autre depuis plus de 40 ans, associé tant au rapatriement de la Constitution au début des années 80 qu’à la gestion de la crise étudiante de 2012. Un homme connu, dont on vante l’efficacité — pour ce que cela peut signifier pour chacun — et la prudence.
L’homme de l’ombre par excellence en fait, qui doute si peu de son influence qu’il s’est permis ce lundi, comme si les temps n’avaient pas changé, de donner des conseils à son client payant, TransCanada, en vue de l’élection de lundi prochain — qui deviendra payante autrement pour lui si les libéraux sont élus.
Il est vrai que le long courriel qu’il a fait parvenir à cinq responsables de l’entreprise fait état de mesures à prendre si un gouvernement libéral ou néodémocrate est élu. Mais ce qui plaît à TransCanada, ce pour quoi elle accepte de payer chèrement un M. Gagnier — car ces gens ne travaillent pas à moins de 100 000 $ (Québec le paie présentement 150 000 $ pour être négociateur auprès des Cris) —, ce n’est pas pour les généralités dont le courriel de lundi est truffé et que tout journaliste parlementaire pourrait résumer dans un reportage sur les changements de gouvernants. Non, M. Gagnier vaut de l’or parce qu’il a un accès privilégié à Justin Trudeau, qu’il appuie depuis la campagne de celui-ci à la direction du Parti libéral du Canada.
Bref, M. Gagnier fait de la politique comme cela se fait depuis longtemps : pour placer ses pions. Et Justin Trudeau, comme cela s’est fait depuis toujours, accueille ce « bénévolat » avec plaisir — un homme d’expérience dans la place ! — en ne voyant aucun problème quant aux activités professionnelles de son coprésident. N’eût été ce courriel rendu public, aucune question n’aurait été même été posée, au sein de l’équipe libérale, à ce sujet. C’est d’ailleurs le courriel qui a été jugé inacceptable, pas le fait qu’un conseiller de TransCanada soit aussi le conseiller d’un premier ministre potentiel.
Il y avait de quoi nourrir les attaques des autres partis. Celle du premier ministre sortant, Stephen Harper, ne pouvait être que bien molle. Quand on traîne une casserole au pied comme Mike Duffy, quand on a tout fait pour accommoder l’industrie pétrolière, il y a des commentaires qui ne sont qu’hypocrisie. Mais Gilles Duceppe et Thomas Mulcair ont parfaitement soulevé le doute : il est incroyable que M. Gagnier n’ait jamais causé enjeux énergétiques avec Justin Trudeau, comme celui-ci l’affirme, alors que des décisions importantes attendent le prochain gouvernement à ce sujet.
M. Trudeau, qui a un vrai talent politique, a fait face à la houle avec aplomb jeudi, mais les électeurs ont perdu depuis longtemps leur candeur par rapport aux jeux de coulisses. Soudain, oui la question se pose : qui profitera du programme d’infrastructures promis dans le plan libéral ? Cela n’est peut-être plus un enjeu de campagne électorale, celle-ci étant si avancée, mais certainement un dossier à suivre de près si les libéraux l’emportent. Les changements sont rarement des révolutions…
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