Anglaid, de Michel Brûlé - La réduction d'une langue

Livres 2009 - Arts - cinéma - TV - Internet



À titre de jeune Québécois montréalais, francophone de langue, d'appartenance, de culture et d'ouverture, je désire ici exprimer mon désaveu de la récente publication de l'éditeur et auteur Michel Brûlé, Anglaid. Je désire condamner et décrier cet effort malsain et malhonnête de réduire une langue -- et par la même occasion les gens qui la parlent -- à des clichés d'apparence raciste. Je désire exprimer mon désaccord complet et intégral quant à la teneur, les propos, l'intention, les figures de style, les virgules, les conjonctions de coordination présentes à l'intérieur de l'oeuvre de M. Brûlé.
J'ai grandi dans le respect de la différence, voire l'amour de la différence, et même s'il ne s'agit pas de nier le passé historique, je suis en mesure d'affirmer ici que le français, l'anglais, l'espagnol et le mandarin ne peuvent être réduits à des langues «calculées» sur une échelle de beauté ou de laideur. [...]
Polémiste
Je suis en colère parce que j'ai l'impression que M. Brûlé non seulement ne comprends pas la portée de son «acte», mais aussi qu'il tirera un malin plaisir de la polémique qui s'en suivra. Je m'interroge: qu'un tel «acte», si irrespectueux envers une si grande part de la population non seulement du Québec, mais du monde entier, soit annoncé fièrement et grossièrement à la sortie d'un pont (Jacques-Cartier en l'occurrence) me révolte. La censure, après tout, ne serait peut-être pas toujours négative.
D'abord, comment peut-on intituler un livre qui parle de la supposée laideur d'une langue avec un mot-valise de si mauvais goût? M. Brûlé n'a manifestement pas vu le beau film Ridicule, de Patrice Leconte. Il aurait su alors qu'on évite, dans la cour des grands, ce genre de facilités d'esthétique et d'esprit.
[...] M. Brûlé n'a manifestement pas lu ce petit essai de vulgarisation linguistique de Marina Yaguello, Catalogue des idées reçues sur la langue. Il aurait appris alors que depuis les années inoubliables des fascismes européens, on essaie le plus possible d'éviter d'entretenir des préjugés ridicules sur les langues, les étrangers, les autres et les gens en général. Et cela, même si on appartient de coeur et d'âme à une minorité qui essaie de survivre au milieu d'un océan de plus en plus absorbant.
Mélange culturel
Je tiens à souligner que même si parfois je ressens une petite montée nationaliste lorsque je marche sur la rue Sainte-Catherine et que je n'entends que de l'anglais, je suis en amour avec le mélange culturel absolument inédit qui caractérise Montréal. Il s'agit là plus d'une chance que d'une engeance, et bien que nous nous devions d'être vigilants pour au moins préserver cet équilibre précaire, il est fini ce temps où on se lançait des pierres et qu'un étudiant de l'UQAM ne pouvait pas travailler sur l'oeuvre romanesque de Mordecai Richler. M. Richler a, au cours de sa vie, écrit et dit des choses à propos des francophones et de leurs luttes qui méritent d'être oubliées, mais il a également écrit de superbes romans dans une langue que, personnellement, je considère davantage que celle de M. Brûlé.
L'anglais est une belle langue. Quand M. Brûlé aura lu, entendu, savouré les mêmes choses que plusieurs millions de personnes, comme moi, il s'apercevra que même si la langue anglaise a produit son lot de bêtises, comme toutes les autres, elle a aussi presque inventé la démocratie moderne, elle a été à la source de la Déclaration d'indépendance, elle a libéré la France, elle a écrit Macbeth, Stanzas In Meditation, Ulysses, Paradise Lost, Mrs Dalloway, Midnight's Children, Underworld, Lolita, elle a chanté Johnny Cash, Radiohead, Nina Simone, Tom Waits, Björk, John Lennon (un petit mot très laid au passage: «peace»), elle a joué Audrey Hepburn, Scarlett Johansson, Woody Allen, Marlon Brando [...].
Elle est comme toutes les autres choses difficiles et belles, qu'on croit tenir, mais qui nous glissent constamment entre les doigts. Si M. Brûlé avait lu, entendu, savouré les mêmes choses que moi, il aurait su que l'anglais, comme toutes les autres langues, n'est pas un personnage auquel on peut attribuer des défauts et des qualités humaines. Et lui et moi aurions pu éviter ce genre d'anthropomorphisme réducteur. [...]
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Daniel Grenier, Doctorant en études littéraires à l'UQAM


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