La conférence d'Annapolis a fait naître une nouvelle lueur d'espoir sur la possibilité d'une entente de paix entre Israéliens et Palestiniens. Le défi est énorme, mais la voie proposée montre que les leaders ont tenu compte des expériences antérieures.
Aux antipodes d'Oslo, la voie d'Annapolis se calque davantage sur le traité de paix israélo-égyptien. L'accord d'Oslo était provisoire et les questions situées au coeur du conflit avaient été reportées à une phase subséquente de négociations. En comparaison, l'application du traité de paix israélo-égyptien a été graduelle mais l'objectif final avait été fixé dès la signature.
Israéliens et Palestiniens n'ont d'autre choix que de suivre une voie similaire. Dans ce processus, ils auront besoin de l'appui et de la compréhension de plusieurs pays, particulièrement des pays arabes. Le Canada a aussi un rôle à jouer, et il nous incombe de faire le maximum pour les aider.
Dans une entente conjointe qui tient en seulement six paragraphes, le premier ministre Ehoud Olmert et le président Mahmoud Abbas ont convenu d'amorcer immédiatement des négociations bilatérales visant à conclure un traité de paix sur toutes les questions en litige, y compris celles qui sont au coeur du conflit. Ils se sont engagés à investir tous les efforts nécessaires pour conclure une entente d'ici la fin 2008.
Ils se sont aussi entendus pour respecter dès maintenant les obligations qui leur incombent en vertu de la Feuille de route, et dont les États-Unis jugeront les progrès.
Quelques obligations
De façon significative, l'entente commune prévoit également qu'à moins d'une entente ultérieure différente, la mise en oeuvre du futur traité de paix sera assujettie aux progrès réalisés sur la Feuille de route, progrès dont les États-Unis seront juges.
Dans la première phase de la Feuille de route, les Palestiniens devront réformer le secteur de la sécurité, retirer les armes illégales de la circulation, lutter contre le terrorisme et démanteler les organisations terroristes potentielles. Ils devront également préparer une ébauche de constitution, évoluer concrètement vers une véritable séparation des pouvoirs et tenir des élections libres et multipartites.
Pour sa part, Israël devra lever les couvre-feu, faciliter la circulation des biens et des personnes, démanteler les avant-postes établis par des colons et cesser toute activité de colonisation, y compris l'expansion naturelle.
Les phases subséquentes permettraient la création d'un État palestinien indépendant, délimité par des frontières provisoires; elles devraient également mener à la conclusion d'un accord final complet. La mise en application de ces phases est conditionnelle aux progrès réalisés dans la première phase.
Négociations audacieuses
L'entente conjointe prévoit un échéancier plus ambitieux que la Feuille de route. Mais il n'offre aucune garantie que les négociations aboutiront dans un an. Tout dépendra des progrès réalisés dans les négociations et dans la mise en oeuvre de la Feuille de route, ainsi que de quantité d'autres facteurs, dont certains relèvent des politiques domestiques ou encore des actions de ceux qui voudraient torpiller toute entente.
Néanmoins, par cet accord conjoint, les leaders israélien et palestinien et l'administration américaine reconnaissent que la conclusion d'une entente sera susceptible de recueillir un appui majoritaire chez les deux peuples à la seule condition de faire preuve d'audace dans les négociations et de procéder graduellement à la mise en oeuvre du traité convenu.
Seule une telle approche hybride fixera la destination finale et fournira aux Israéliens et aux Palestiniens une avenue viable pour s'y rendre. La mise en oeuvre sera forcément graduelle. Par exemple, Israël cessera d'assurer la sécurité uniquement dans les secteurs où les Palestiniens la garantiront et dans la mesure où la coopération de sécurité sera maintenue. Et dans les meilleures circonstances, il faudra au moins une génération pour mettre en oeuvre certaines facettes de l'accord. Par ailleurs, si la situation l'exige, l'application pourrait être remise en question. La Palestine, tel Rome, ne se fera pas en un jour. Seul un travail long et ardu réalisé dans le respect des engagements mutuels permettra d'y arriver. Rien de moins ne suffira.
L'entente devra reconnaître que les deux peuples sont destinés à partager un territoire exigu, d'une superficie comparable à celle du lac Ontario. Même avec deux états distincts, Israéliens et Palestiniens n'auront pas le choix de vivre côte à côte. La coopération obligatoire prendra de multiples formes, à la fois en matière de sécurité, de transport, de réhabilitation des réfugiés, de la gestion d'une Jérusalem ouverte et sans division physique, d'ententes économiques, de protection de l'environnement, et de la gestion de l'énergie et de l'eau. Certains sujets n'admettront aucun compromis. Par exemple, le ministre de la Défense Ehoud Barak soutient qu'Israël ne pourra prendre le risque de la fermeture de l'aéroport Ben Gourion en donnant aux Palestiniens le contrôle des terres qui le surplombent.
Médiation américaine
Le président George W. Bush a été critiqué pour avoir fixé un objectif ambitieux, sans imposer la vision américaine, en laissant toute latitude aux Israéliens et aux Palestiniens. Il ne faut toutefois pas oublier que les grandes lignes d'un éventuel accord sont déjà connues depuis les propositions Clinton élaborées en 2000.
Un autre aspect de la médiation américaine me préoccupe. Il m'apparaît crucial de prévoir des positions intermédiaires qui consolideront les progrès réalisés, dans l'éventualité où Israéliens et Palestiniens ne réussiraient pas à conclure un accord final.
En ce qui concerne les autres participants, que dire des Saoudiens qui ont refusé de serrer la main des Israéliens en disant: «D'abord faisons la paix, ensuite on se donnera la main»? S'ils veulent bâtir la paix, les Saoudiens et les autres peuples arabes devront faire davantage et démontrer qu'ils sont prêts à vivre en paix avec Israël, en éduquant d'abord leurs populations respectives. En cette matière, le Prince Firas de Jordanie affirmait déjà en avril 2002 à Toronto: «Nous devons préparer nos enfants sans plus attendre.»
Un rôle-clé
Le Canada aura un rôle-clé à jouer sur la question des réfugiés, fort de son expérience à la tête du Groupe de travail sur les réfugiés du processus Madrid. L'ambassadeur Michael Molloy, qui a présidé ce groupe de 2000 à 2003 et a oeuvré pendant 25 ans dans le domaine de l'immigration et des réfugiés, prétend que «personne n'est l'égal du Canada dans ce domaine».
Le Canada participe aussi à la force multinationale de sécurité dans le cadre du traité de paix israélo-égyptien. En 2005, la force multinationale prenait en charge la surveillance du déploiement des forces de sécurité égyptiennes à la frontière de la bande de Gaza. Saura-t-elle contrer plus efficacement la contrebande des armes?
Dans l'ensemble, le Canada et les autres pays devraient encourager le réalisme et la transparence devant les compromis inévitables entre les deux peuples et à la nécessité de respecter les obligations stipulées dans la Feuille de route, et ce, tout au long des négociations et de la mise en oeuvre de l'accord. Ces pays pourraient également offrir leur soutien aux parties concernées pour faciliter l'application de l'entente finale.
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David Berger, Ex-ambassadeur du Canada en Israël et représentant à l'Autorité palestinienne
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