Appel lancé à la diaspora algérienne du Québec à rentrer au pays

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Les intellectuels algériens sont plus utiles en Algérie qu'au Québec


22 semaines après le 22 février et le début de la Révolution du sourire en Algérie, la situation politique est toujours dans l’impasse, avec un gouvernement de transition qui n’a plus de légitimité constitutionnelle depuis le 9 juillet, des élections remises aux calendes grecques et une population qui, vendredi encore, est descendue massivement dans la rue pour réclamer une énième fois le départ du régime en place et l’instauration d’un État de droit.


Le pays est au coeur d’un moment aussi historique que critique, dit le politicien algérien Saïd Sadi. Une crise que la détermination et la jeunesse font durer dans le temps et dans laquelle la diaspora algérienne, et plus particulièrement celle du Canada et du Québec, devrait rapidement entrer pour contribuer à conduire le mouvement vers la porte de sortie qu’il réclame, estime l’ex-président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) — un parti d’opposition ouvertement laïc.


L’homme est de passage à Montréal et à Ottawa cette fin de semaine, à l’invitation du Congrès kabyle du Canada, pour y rencontrer quelques élus canadiens et surtout y livrer deux conférences sur l’Hirak, le mouvement d’émancipation populaire qui rythme la vie de l’Algérie depuis l’hiver dernier, à l’attention des Algériens vivant désormais ici.


« Lors des événements majeurs de l’Algérie contemporaine, la diaspora a toujours joué un rôle décisif, explique-t-il, assis dans le hall d’un hôtel montréalais. L’idée de la guerre d’indépendance est née au sein de la diaspora algérienne en France dans les années 20. Et il est évident qu’une reconstruction sérieuse, pertinente et efficiente de l’Algérie ne va pas pouvoir se faire sans la diaspora ».


M. Sadi, une voix forte du mouvement de contestation, mais également un opposant de longue date aux nombreux régimes autoritaires qui se sont succédé en Algérie après l’indépendance, voit dans l’Hirak la naissance et la gestation de la République algérienne.


« La première, parce que celle promise après 1962 ne s’est jamais vraiment réalisée », dit-il.


Multiculturalisme


Cette république souhaitée pourrait trouver, selon M. Sadi, ses inspirations au Canada, un pays proche de l’Algérie, mais éloigné des stigmates historiques qui affligent toujours ce pays d’Afrique du Nord, et dont le « parcours constitutionnel » tout comme la diversité de son territoire fédéré dans un tout sont depuis longtemps convoqués par certains pans de l’opposition algérienne pour mettre en perspective l’avenir de leur pays.


Loin d’être homogène, l’Algérie rassemble en effet sous un même drapeau des identités culturelles et linguistiques diverses, du nord au sud et d’est en ouest, et des régions aux aspirations politiques, religieuses et sociales qui ne sont pas toutes au même diapason.


« Le contexte canadien est infiniment plus adaptable à la réalité algérienne que ne l’est le modèle de l’État centralisé jacobin à la française qui s’est imposé après l’indépendance en rupture totale avec notre histoire, notre sociologie et nos besoins », dit-il, en ajoutant que la diaspora algérienne au Canada, qui est en contact avec ce modèle canadien depuis plusieurs années, peut ainsi faire preuve de « pédagogie utile » dans les discussions en cours actuellement pour paver le chemin de la transition.


« Ces Canadiens d’origine algérienne ont vécu dans cette démocratie de proximité, dans la décentralisation des pouvoirs, dans l’autonomie régionale, dit-il. C’est une expérience à partager dans un pays qui est appelé à casser », avant de se reconstruire.


Et il ajoute : « L’immigration algérienne au Canada est hautement qualifiée. Elle est composée dans une grande mesure d’anciens cadres algériens qui avaient une bonne situation en Algérie, mais qui ont quitté le pays pour donner un meilleur avenir à leurs enfants ou pour ne plus subir les frustrations liées à la corruption. Elle a la capacité de suivre ce qui se passe, d’analyser et de faire des offres politiques constructives. »


« Son soutien peut être décisif. Elle est aussi arrivée récemment, et même si son intégration ici se fait mieux qu’ailleurs, elle a encore la mémoire vive du pays d’origine ».


Le souffle de la révolution


Mercredi, le « Forum civil pour le changement », une création du régime en place pour sortir de la crise, a dressé la liste de 13 personnalités algériennes censées conduire la « médiation et le dialogue » entre le peuple et l’État. Un cadre à nouveau rejeté par la rue vendredi qui réclame surtout une transition menée par des figures éloignées du pouvoir et des clans et, avant toute élection, l’instauration d’un cadre démocratique réel.


« Ce forum est une des fausses manoeuvres de l’État-major algérien qui cherche à égarer le souffle de la révolution appelant à une rupture radicale », dit Saïd Sadi.


« Pour aboutir, cette révolution pacifique va devoir d’ailleurs se donner une réelle Convention, venant de la base, pour analyser les causes à l’origine de la crise et trouver les moyens adaptés pour les dépasser. Les révolutions citoyennes ne peuvent pas faire l’économie de ce genre de représentation ».


Cette Convention populaire, qu’il espère voir apparaître à l’automne, elle, ne va pas pouvoir se passer « de l’immigration algérienne en Amérique ou en Europe dont la présence est capitale pour éviter que la révolution en cours ne soit détournée, comme l’a été la guerre d’indépendance », dit-il.


Rappelons qu’en 1956, en pleine guerre de libération de l’Algérie du colonisateur français, une convention populaire du même type entre les leaders de plusieurs régions de l’Algérie avait alors posé les bases de l’avenir et d’un pays moderne fédérant ses différences au sein d’un État civil et plus militaire. Un putsch, guidé par des forces islamopopulistes influencées par l’Égypte de Nasser, avait alors fait capoter leur projet.


Le Canada est un des rares pays à avoir donné son appui au mouvement populaire algérien par la voix de son ambassadrice à Alger, Patricia McCullagh. C’était en juin dernier.


« Le mouvement social qui s’est installé depuis le 22 février impressionne le monde entier par son pacifisme », a-t-elle déclaré lors d’un discours public largement relayé par les médias d’oppositions. Je tiens à réaffirmer le soutien du Canada à une transition démocratique pacifique en Algérie, une transition qui répondra aux aspirations du peuple algérien ».


Une déclaration qui, pour M. Sadi, crée un environnement propice à « l’instauration de passerelles entre le Canada et cette Algérie nouvelle » dont l’avenir est toujours incertain, mais dont l’histoire continue toujours de s’écrire au quotidien.




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