Après Alep, le désarroi de l’opposition syrienne

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L'opposition syrienne reconnaît sa faible représentativité

Déluge de critiques, bagarres sur les réseaux sociaux, claquements de portes : au lendemain de la chute d’Alep — l’armée syrienne a annoncé jeudi avoir repris le contrôle total de la ville — l’opposition syrienne semble plus que jamais en proie aux doutes et aux divisions. « On est totalement dépassé par les événements. Tout le monde est frustré, démoralisé, révolté », confie Abdel Ahad Steifo, le vice-président de la Coalition nationale syrienne (CNS), le principal rassemblement anti-Assad, basé à Istanbul, qui fut longtemps l’interlocuteur privilégié des capitales arabes et occidentales.

Spectateurs impuissants de la déroute des rebelles, les dissidents s’écharpent sur les causes de ce qui est, à ce jour, leur plus grand revers, politique et militaire. Dans une « lettre d’excuses au peuple syrien », publiée par le site d’information Al-Arabi Al-Jedid, Samar Massalmeh, une dirigeante de la CNS, stigmatise une organisation « statique, sans âme, manquant d’initiative », qui a été « incapable de s’implanter dans les territoires libérés ». « La réalité de la Coalition est qu’elle est faible, que sa représentativité est limitée […] et qu’une partie de ses membres se sont transformés en employés de tel ou tel État », écrit l’opposante, en référence au poids de certains États arabes, comme le Qatar et l’Arabie saoudite, dans son fonctionnement.

Inventaire

« On a beaucoup trop laissé de champ sur le terrain aux salafistes et aux djihadistes, alors que, on le voit, ces gens qui ont kidnappé la révolution sont aussi incapables de mener une guerre, renchérit M. Steifo, dans une allusion aux groupes armés radicaux, dominants au sein de l’insurrection. On s’est trop reposé aussi sur nos alliés, qui n’ont rien fait au moment où l’on avait le plus besoin d’eux, ajoute l’opposant, incriminant à mots couverts les États-Unis et les puissances européennes, qui ont multiplié les déclarations outragées mais vaines, et les monarchies du Golfe, notoirement silencieuses durant l’écrasement final des quartiers rebelles. On essaie de dresser un inventaire, pour présenter une nouvelle stratégie. »

Le fiasco d’Alep affecte aussi le Haut Comité des négociations (HCN), le bras diplomatique de l’opposition, associé aux négociations qui se sont tenues en début d’année à Genève, sous l’égide des Nations unies, et dont la CNS est l’une des composantes, aux côtés d’autres courants de l’opposition et de représentants des groupes armés. « Tous ces corps ont perdu beaucoup de crédit, l’impression se répand qu’ils ne servent à rien, avance Samir Aita, un indépendant. Il y a beaucoup d’expectative, d’appels à former quelque chose de nouveau. »

Le besoin d’introspection et de restructuration se fait d’autant plus sentir que la montée en puissance de la Russie, le grand vainqueur de la bataille d’Alep, et la volonté affichée de Donald Trump, le futur locataire de la Maison-Blanche, de se rapprocher du président russe, Vladimir Poutine, font peser sur le HCN et la CNS un risque croissant de marginalisation. Décidé à transformer sa victoire militaire en percée politique, le Kremlin s’est mis en tête d’organiser des négociations intersyriennes à Astana, la capitale du Kazakhstan. Sans en référer ni au HCN, ni à Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, maître de cérémonie des précédents pourparlers.

Selon l’opposant Qadri Jamil, un ancien vice-premier ministre en exil à Moscou, qui incarne un courant beaucoup moins critique du régime syrien que la CNS, ces discussions pourraient se tenir durant la seconde moitié du mois de janvier. À Moscou, mardi 20 décembre, sous le regard de ses homologues turc et iranien, avec lesquels il entend former une troïka, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’était efforcé de dresser l’acte de décès du processus de Genève et de se poser en nouveau faiseur de paix. Sans un mot pour les textes de référence des précédentes négociations, comme la résolution 2254, qui élabore les contours d’une transition politique.

Multiplication des interlocuteurs

En vue des discussions à Astana, les émissaires de Moscou multiplient les contacts au sein de tous les courants anti-Assad. « Les Russes ne sont pas comme les Iraniens, ils ne croient pas que Bachar al-Assad puisse redevenir un jour le président de tous les Syriens, expose Sinan Hatahet, un analyste proche de l’opposition, régulièrement consulté par des envoyés du Kremlin. Aux opposants, ils disent la chose suivante : “ Si vous reconnaissez la souveraineté de l’État et la légitimité de Bachar, alors nous vous aiderons à vous constituer en solution de rechange et à gagner les élections. ” Ils cherchent des gens susceptibles de cautionner un tel processus, un profil à la Qadri Jamil, mais avec plus de légitimité. »

Inquiet de perdre son monopole sur les négociations et persuadé que le président Assad n’acceptera jamais de céder le pouvoir de lui-même, le HCN tente de faire barrage aux manoeuvres de Moscou. « La Russie et l’Iran s’efforcent de minimiser le rôle des Nations unies et de prolonger la souffrance du peuple syrien », a accusé Salem al-Meslet, un porte-parole du HCN. Ses membres ont été rassurés par la rapide réaction de Staffan de Mistura, qui, en fixant la reprise des négociations de Genève au 8 février, s’est efforcé de préempter le résultat d’une éventuelle réunion à Astana.
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