Attention, M. Charest, la Reine est toute nue ! *
* Adaptation au contexte canadien et québécois d’une expression populaire dans les milieux d’affaires anglo-saxons
« The Emperor has no clothes »
Non, il ne s’agit pas du titre de la prochaine pièce à succès qui sera présentée l’été prochain au « Festival juste pour rire ! ». Et, à dire le vrai, ce dont il est ici question n’est pas drôle du tout. Il s’agit plutôt de la situation dans laquelle se retrouve l’économie canadienne au lendemain d’une série d’événements majeurs qui en ont retourné les fondements et qui risquent d’avoir une incidence majeure sur l’évolution du fédéralisme canadien.
Dans l’ordre de leur apparition, ces événements sont :
- l’assainissement des finances publiques fédérales et le relâchement de la pression fiscale;
- la mondialisation des marchés, l’appréciation de la valeur du dollar canadien de près de 30 % en quelques années, et leurs conséquences sur le secteur manufacturier et sa contribution au PIB;
- la montée en flèche du prix du pétrole et ses conséquences au Canada;
- la crise économique de 2008 et ses multiples retombées.
Les finances fédérales
À l’occasion du référendum de 1995, le gouvernement fédéral s’était rendu compte de la grande vulnérabilité à laquelle l’exposait l’ampleur de ses déficits. Le fédéralisme supposé « rentable » l’était de moins en moins, et la capacité du gouvernement fédéral à soutenir la croissance des coûts des engagements sociaux qu’il avait pris à partir du début des années 60 était de plus en plus mise en doute par les marchés. Des publications internationales très sérieuses évoquaient même le risque d’une faillite. Mesure de la confiance internationale dans la force de l’économie, la valeur du dollar canadien plongeait à 0,62 $ US.
On peut penser ce qu’on veut de Paul Martin, mais il faut lui reconnaître le mérite d’avoir en quelques années rétabli la barre. Largement au détriment des finances publiques provinciales dans la cours desquelles il pelletait ses déficits, il est vrai, mais ses efforts, portés par une vague de prospérité dont on a depuis compris le caractère factice (une bulle spéculative), allaient connaître des effets spectaculaires sur une dizaine d’années et permettre au fédéral de commencer à dégager des surplus et rembourser une partie de la dette accumulée.
À leur arrivée au pouvoir en 2006, les conservateurs de Stephen Harper ne peuvent résister au plaisir de mettre en application leur doctrine économique et, arguant des surplus, entreprennent de réduire le fardeau fiscal des canadiens, d’abord sur le revenu des particuliers, et ensuite, en deux temps, sur la consommation via la TPS.
Lorsque survient la crise de 2008, le gouvernement fédéral n’a d’autre choix que de replonger dans l’endettement pour aider le pays à sortir de la crise. Les quelques années pendant lesquelles il a accumulé des surplus le placent malgré tout dans une bien meilleure position que les autres grands pays développés. Mais cet avantage apparent est très illusoire.
Mondialisation, dollar, et secteur manufacturier
En effet, l’assainissement des finances publiques a eu un effet pervers : l’appréciation du dollar canadien. Dans un contexte de mondialisation des marchés où toute production est rapidement délocalisée vers les pays ayant les coûts les plus bas, cette appréciation ne pouvait survenir au pire moment. Le secteur manufacturier canadien, largement concentré en Ontario et au Québec, encaisse les coups les uns après les autres.
Et lorsque survient la crise de 2008, c’est la débandade générale, surtout en Ontario où se trouve consacrée toute la production automobile, avec son cortège de sous-traitants. Les fermetures se multiplient, le chômage monte en flèche, et pour la première fois depuis longtemps, l’Ontario devance le Québec à ce chapitre.
En raison du nombre et du poids relatif des différents facteurs qui ont contribué à cette situation, il n’est pas raisonnable d’espérer la voir se résorber avec le seul rétablissement de l’économie mondiale qui de toute façon risque d’être très long si l’on en juge par le cours actuel des événements. Le trou est trop profond, et les quelques mesures ponctuelles de saupoudrage que pourront adopter les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, ne permettront pas de freiner l’aggravation de la situation, et encore moins de renverser la vapeur.
Le déclin du secteur manufacturier au Canada marque la fin d’une époque où tous les efforts auront tendu à rendre le pays moins dépendant du secteur des matières premières. Or cinquante ans d’efforts se sont trouvés annulés au cours des cinq dernières années, et le Canada est aujourd’hui plus que jamais tributaire de son secteur des matières premières, ce qui est généralement la marque des pays sous-développés ou en voie de développement.
Le marché des matières premières est un vrai casino où alternent en permanence des mouvements assez forts de contraction et d’expansion. Avoir une économie qui en dépend est une malédiction.
Le pétrole
Et c’est là qu’intervient le pétrole. Il fut un temps où les richesses pétrolières du Canada auraient été une bénédiction. C’était avant qu’on découvre l’effet de serre des gaz associés à la production et la consommation du pétrole, avant aussi que le monde découvre avec effroi que la planète pouvait être menacée par le peu de soin que l’on mettait à exploiter ses ressources.
Malgré tout, cette bénédiction demeurait à l’époque bien relative, car les coûts d’exploitation du pétrole canadien étaient élevés par rapport à ceux des autres pays producteurs. Et dans le cas du pétrole non-conventionnel qui représente la grande majorité des réserves du Canada, très élevées.
L’avènement de la Chine au rang des grandes puissances économiques a complètement changé la donne. Avec une population qui frôle les deux milliards, de gros retards à combler, et une croissance de son PIB qui dépasse les 10 % par année, année après année, depuis vingt-cinq ans, la Chine est devenue un très gros consommateur de pétrole dont la demande a eu pour effet de tirer fortement les cours à la hausse, rendant de ce fait l’exploitation du pétrole canadien non-conventionnel rentable.
Est considéré conventionnel tout pétrole dont l’extraction est facile. Or le Canada a presque épuisé ses réserves de pétrole conventionnel. Lui reste le pétrole non-conventionnel qu’il peut tirer des sables bitumineux (Alberta), le pétrole lourd (à cheval sur l’Alberta et la Saskatchewan), et le pétrole de l’Atlantique (Terre-Neuve).
Mais l’exploitation de ces gisements coûte très cher et occasionne d’importants dommages à l’environnement, pour ce qui est du pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan à tout le moins. Le seuil de rentabilité peut être atteint lorsque le cours du pétrole dépasse les 60 dollars le baril. À 125 $, un niveau atteint en 2008, c’est le pactole. À 60 $, on licencie le personnel.
La crise économique de 2008 et ses effets
On peut donc mesurer la panique qui s’est emparée des marchés au Canada lorsque, dans les premiers mois de 2009, le cours du pétrole a baissé au niveau de 40 $. Bien qu’il ait remonté à 75 $ depuis, la faiblesse de la reprise et les difficultés de l’économie nord-américaine à digérer les effets de la crise financière tiennent l’industrie pétrolière canadienne sur un pied d’alerte, à l’écoute du moindre frémissement qui pourrait faire replonger les cours.
Pour sa part, le gouvernement fédéral a déjà compris que l’économie canadienne serait dorénavant largement tributaire des revenus et des activités générés par l’industrie pétrolière, et, bien davantage que la principale région d’origine des conservateurs de Stephen Harper ou l’idéologie, c’est ce qui explique le changement de cap en matière d’environnement. À Copenhague, le premier ministre canadien ne défendait pas les intérêts de l’industrie pétrolière comme certains l’ont cru, il défendait les intérêts du régime fédéral canadien et de sa capacité à continuer à intervenir dans la répartition de la richesse à travers le pays. Et tant pis pour l’environnement.
L’importance prise par le pétrole dans l’économie canadienne peut se mesurer tous les jours dans les fluctuations du cours du dollar canadien. Quand le pétrole monte, le dollar monte, et inversement. Et lorsque le dollar canadien remontera à plus de 100 $, le dollar canadien s’envolera, et les emplois du secteur manufacturier aussi.
Le tour de force de Jean Charest
Quant à Jean Charest, que ce soit par démagogie ou par ignorance, il a réussi le tour de force d’à la fois « cracher dans la soupe » et scier la branche sur laquelle il (ou plutôt le Québec) est assis, ce que le gouvernement de l’Alberta dans une publicité d’une pleine page dans les grands médias du Québec, et plusieurs commentateurs un peu partout au pays y compris au Québec, se sont empressés de lui rappeler avec plus ou moins d’égards.
On peut comprendre que M. Charest soit désormais plus motivé par son avenir personnel que par les intérêts du Québec. Après huit ans au pouvoir, la politique québécoise ne peut plus lui réserver que des déconvenues. Mais on aurait souhaité que, par cohérence avec ses propres engagements fédéralistes et par souci du bien-être des Québécois dans un cadre fédéral, il ait un comportement plus responsable. C’était sans doute trop lui demander.
La nouvelle donne
En attendant, il va falloir apprendre à naviguer dans de nouvelles eaux. Déjà, les dernières statistiques sur la péréquation ont mis en relief le fait que l’Ontario était désormais une province pauvre, et que seules l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve étaient désormais en mesure de se passer des largesses du système. Quant on sait que la formule existante étale sur trois ans l’absorption des données de chaque province pour éviter des fluctuations trop brutales, on comprend que les 327 millions versés à l’Ontario cette année au titre de la péréquation ne sont qu’un avant-goût de ce que nous réservent les années à venir, et on se demande comment le gouvernement fédéral va bien pouvoir continuer à financer non seulement ce régime mais toutes ses autres dépenses. Sa capacité à accumuler d’importants déficits, bien qu’elle soit à l’heure actuelle supérieure à celles des autres grands pays industrialisés, demeure tout de même limitée. Et un gouvernement minoritaire est incapable de prendre les mesures fiscales qui s’imposeraient pour redresser un tant soit peu la barre.
L’attachement au Canada n’étant pas le même partout au pays, et l’Ontario n’étant plus en mesure de calmer le jeu à coups de dollars, les tensions interrégionales vont s’aviver, et le Québec risque fort de n’être qu’un spectateur impuissant devant le déchirement du pays. Déjà de grosses failles apparaissent. L’incursion de Hydro-Québec dans les Maritimes est très mal perçue par la population de ces provinces, Terre-Neuve est sur un pied de guerre et cherche devant la Régie de l’énergie du Québec et la Cour Supérieure à rouvrir le contrat des chutes Churchill. Et il faut visiter le site chuteschurchill.com pour comprendre que tout ceci résulte d’un effort concerté. En Alberta, l’élection d’un parti séparatiste, le Wild Rose Alliance, apparaît désormais comme une possibilité réelle.
Au lendemain de la dernière élection fédérale, j’avais écrit un texte intitulé « La souveraineté à l’envers » pour souligner combien les résultats de l’élection illustraient le fossé qui se creusait de plus en plus entre le Québec et le Canada sur le plan politique. Les événements survenus sur la scène économique depuis ont contribué à amplifier ce fossé. Avec le résultat qu’à terme, le Québec pourrait se retrouver à devoir faire son indépendance malgré lui. En m’engageant en politique en 1995, je pensais qu’on méritait mieux que ça.
Richard Le Hir
_ Février 2010
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
12 février 2010M. Le Hir, je salue tout de suite votre intervention sur Vigile.
La qualité de votre texte fait ressortir qu’il n’est plus aussi facile que par le passé de se réfugier dans les vieux mantras. Cinq ans ont maintenant suffi, dans le contexte du pétrole à 70$ le baril, pour ébranler cinquante ans de politiques industrielles canadiennes.
Le Canada fédéral serait devenu plus vulnérable. Il en résultera, de plus en plus, pour le Québec provincial, longtemps à l’abri du Canada, qu’il aura de plus en plus de difficultés financières à maintenir son vieux projet de société social-démocrate.
L’indépendance du Québec pourrait être rapidement à l’ordre du jour, et cesser d’être un rêve supposément passéiste.
Archives de Vigile Répondre
12 février 2010Si les lignes de fractures du Cananda dont vous nous parlez facilitent l'avènement de l'indépendance du Québec: tant mieux!
Jacques L. (Trois-Rivières)
Archives de Vigile Répondre
12 février 2010La population de la Chine ne frôle pas les deux milliards. Elle est plutôt de 1,3 milliard. C'est le genre d'imprécision qui sème malheureusement le doute dans l'esprit du lecteur quant à la justesse de l'analyse, dans son ensemble.
Par ailleurs, penser que l'Alberta va faire sécession parce qu'elle serait choquée d'envoyer de la péréquation à l'Ontario est de la pure fantaisie. C'est bien mal connaitre le Canada anglais. C'est encore plus fantaisiste lorsqu'on mélange cette idée avec celle de la québécophobie populiste de Danny Williams.
Si les provinces anglaises ont de tout temps considéré le Québec comme une province d'assistés sociaux, la logique veut que les circonstances actuelles, où l'Ontario s'est appauvri beaucoup plus que le Québec, ne soient pas favorables à une éviction du Québec sous prétexte de fainéantise. Je vous rappelle à cet égard que plusieurs provinces anglaises, y compris par exemple le Manitoba, que je connais très bien, ont été, dans l'histoire récente, beaucoup plus soutenues financièrement que le Québec par l'aide fédérale et plusieurs le sont encore.
Les raisons de rechercher l'indépendance nationale ne sont pas économiques; elles sont identitaires et politiques. Les facteurs économiques peuvent accentuer le désir d'indépendance d'une nation asservie, mais ne seront pas suffisants, du moins pas au Canada, pour inciter une partie de la nation dominante à se dissocier du reste de cette nation par pur égoïsme, simplement parce qu'elle se trouve par hasard sur du pétrole.
Le débat sur la sécession de l'Alberta n'ira pas bien loin, croyez-moi, ni le parti Wild Rose Alliance, même s'il peut prendre le pouvoir en raison de la conjoncture. C'est un parti inféodé aux intérêts bitumineux, dont la chef a l'envergure intellectuelle d'une marionnette.
À l'inverse, le Québec, dont une bonne partie de la population réclame l'indépendance depuis longtemps pour des raisons fondamentales n'ayant rien à voir avec les circonstances actuelles, voit de plus en plus le fédéralisme — et non le parti conservateur, comme le souligne à raison M. Le Hir — lui être désavantageux sur le plan économique. Dans le cas du Québec, ce pourrait être un facteur déterminant.
Archives de Vigile Répondre
12 février 2010Sommes nous prêt pour la mitose.
Dans mon texte de Juin 2008 (Des fissures dans le mur du ROC):
(...)
our se faire une idée de ce qui se met en place (nouveaux rapports de forces entre les provinces et Ottawa), il faut avoir des notions de géopolitique 101 :
La politique est affaire d’intérêts, de rapports de force et d’effectivité ; Les provinces sont des États naturels et Ottawa est un État arbitraire. La croissance des États naturels leur procure des capacités étatiques qui les amènent à vouloir remplacer l’état arbitraire (1). L’État naturel défend son intérêt et établit des rapports de forces pour y arriver et, si le rapport de force est favorable, la politique devient effective. La question qui se pose en définitive, c’est celle de savoir où irait l’appui du peuple (souverain) dans les rapports de force entre l’État naturel et l’État arbitraire. Pour en avoir une idée, demandons-nous où est allé l’appui des citoyens de Terre Neuve quand le premier ministre Danny Willams a établi un bras de fer avec Ottawa : M Williams fut élu avec 70% d’appuis.
Et où iraient les appuis des Albertains dans un conflit ouvert avec Ottawa ? Avec la montée en puissance des provinces de l’ouest (hausse des cours du pétrole), ces tensions géopolitiques internes seront exacerbées à un point tel que le gouvernement central ne pourra les contenir. La révolution se produit quand elle ne peut être contenue par les institutions du statu quo ( Robert David Steele, Open Sources Solutions inc.).
Cette nouvelle donne stratégique ne peut être qu’une bonne nouvelle pour la cause souverainiste. Il y a des fissures dans le mur du ROC et elles deviendront des brèches par lesquelles le Québec pourra sortir de la Constitution de 1982, qui ne résistera pas à ces tensions.
(...)
Cette fois-ci toutefois, les autres provinces ne formeront plus un mur avec Ottawa pour contenir la volonté d’émancipation du Québec.
Il y a des fissures dans le mur de ROC. Un bon match à suivre, mais n’oubliez pas vos notes de géopolitique 101.
..........................
Mon texte d'Octobre 2008, suite à l' élection fédérales (La victoire de la nation):
(...)
"Le contexte n’a jamais été aussi favorable à notre cause. Les tensions géopolitiques internes de la fédération canadienne iront en s’amplifiant : les intérêts économiques divergents entre l’Ouest et l’Est ne feront que grandir. Et les intérêts des provinces primeront sur toutes autres considérations, même sur l’unité du pays. Nous sommes dans un nouveau paradigme, il y a des fissures dans le mur du ROC, et elles deviendront des brèches. À suivre...."
.........................
Suite au Sommet de Copenhague, Décembre 2009 (La fin du Canada de Trudeau):
(...)
"Le pétrole est un puissant déterminant de la géopolitique à l’échelle de la planète ; et, il en va de même pour le Canada, complètement métamorphosé depuis qu’il est devenu un « petro state » au point d’apparaître à ce sommet de Copenhague comme un paria de la communauté internationale.
La divergence d’intérêts entre lui et le Québec n’aura jamais été aussi claire ; cette distance évoque un processus de division naturel des cellules (la mitose), au bout du parcours la division est inévitable et deux entités distinctes apparaissent."
....................
Sommes nous prêt pour la mitose ?
JCPomerleau
Archives de Vigile Répondre
12 février 2010M. Le Hir,
Votre analyse économique est juste... mais vous avez fait un oubli énorme en ne mentionnant pas le renflouement des banques canadiennes à hauteur de 200G$ milliards de dollars. Malheureusement jusqu'à aujourd'hui, les banques ne retournent pas cet argent dans l'économie canadienne.
Archives de Vigile Répondre
12 février 2010La conclusion de M. Le Hir : «À terme, le Québec pourrait se retrouver à devoir faire son indépendance malgré lui. En m’engageant en politique en 1995, je pensais qu’on méritait mieux que ça.»
Où est le problème ici ? Que ce soit le Québec qui parte du ROC ou le ROC quitte le Québec, qu'importe le flacon pourvu qu’on ait quand ait l'ivresse ?…Genre.