J'ai récemment passé quatre années en France à conseiller des organisations sur leurs enjeux de leadership et de transformation. De manière générale, mon identité québécoise m'a servi de carte de visite exceptionnelle. Admiratifs du dynamisme de nos entrepreneurs et de notre capacité à réformer nos institutions, les Français voyaient dans notre culture le meilleur de la créativité latine et du pragmatisme nord-américain.
De retour au Québec depuis un an, je suis étonné du regard que nous portons sur nous-mêmes. À coup de prises de position solidaires ou lucides, nous faisons l'inventaire de nos faiblesses, de nos difficultés et de nos défis, avec en toile de fond notre question nationale non résolue. Le climat est morose. Le Québec serait en panne. Nous devenons nostalgiques de la Révolution tranquille.
Débats binaires à dépasser
Notre identité, le vieillissement, l'environnement, la mondialisation, la santé, l'éducation ou la création de richesse constituent bien sûr des problèmes d'une complexité sans précédent. Mais nous ne résoudrons pas nos problèmes en portant un regard nostalgique sur le passé ou en recherchant des coupables à blâmer. Alors que nous entrons dans le XXIe siècle mieux informés et mieux outillés technologiquement que jamais, nos modes de raisonnement restent ancrés dans des logiques du siècle passé.
Nos débats sont binaires: privé-public, gauche-droite, riches-pauvres, jeunes-vieux, indépendantistes-fédéralistes... Bref, j'ai raison, tu as tort, et si tu ne penses pas comme moi, tu es nécessairement contre moi! La deuxième Révolution tranquille ne pourra se réaliser si nous ne changeons pas nos mentalités.
Les vrais problèmes de la vie, ceux que posent la politique, l'économie, l'environnement, la famille, la justice, la santé et l'éducation sont des problèmes complexes pour lesquels il n'existe pas de solutions simples. Ils supposent que nous réconciliions les contraires en utilisant mieux nos capacités de raisonnement et en faisant le deuil des solutions parfaites. Ils exigent que nous arrêtions de réclamer que quelqu'un d'autre règle des problèmes dont nous sommes collectivement responsables.
Le monde dans lequel nous vivons nous donne beaucoup plus de pouvoir et de liberté que nous le prétendons souvent. Il est aussi plus exigeant parce que, faute d'idéologies simples expliquant nos difficultés, il nous renvoie à nous-mêmes. La conquête de l'indépendance, celle qui nous permettra de relever nos défis, est un enjeu plus personnel que politique. Nos institutions ne pourront changer sans notre engagement.
Sisyphe heureux
Or, cette deuxième Révolution semble attendre son héros, son projet, son moteur collectif.
Où trouver la passion et l'énergie à un moment de l'histoire où nous avons toutes les raisons de nous méfier des idéologies qui nous promettent des lendemains qui chantent? Comment, face à la complexité des défis, ne pas se désinvestir de l'espace public pour mieux se réfugier dans le confort de la résignation et du cynisme?
Peut-être, pour paraphraser Camus, en «imaginant Sisyphe heureux». En arrêtant de chercher le chemin d'un bonheur ailleurs ou plus tard, pour découvrir que le bonheur c'est le chemin. En comprenant que la vaste majorité de la population de la terre échangerait sa situation contre la nôtre. En sortant de l'obsession des limites, des contraintes et des faiblesses pour accéder à l'exploitation des forces, des possibilités et des opportunités.
Bientôt, une majorité de Québécois sera dans la cinquantaine. Je nourris l'espoir que, au-delà de notre étiquette de baby-boomer vieillissant, notre conscience accrue de la fragilité et de la finitude de la vie nous donnera envie de laisser un héritage et de travailler à un projet d'avenir plus riche que la consommation.
Un avenir qui nous demande d'être à la fois lucides, solidaires et audacieux, et de réinvestir le sens des mots projets, espoir, courage, discipline, générosité, ouverture, compassion. Un avenir complexe, avec ses défis immenses, qui nous invite à nous ouvrir au monde, à donner le meilleur de nous-mêmes, à prendre des risques et à retrouver le goût de l'avenir.
Claude Desjardins, Associé à Secor conseil
Au-delà des lucides et des solidaires - Retrouver le goût de l'avenir
Par Claude Desjardins
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