Les disciples d'Esculape

Tribune libre

Le gouvernement est condamné à s’entendre avec les fédérations de médecin. Chacun peut le comprendre. Mais, à quelles conditions ? À quel prix ? À ce sujet, faut-il rappeler certains principes de base ? L’État québécois, au sens juridique du terme, personnifié par un gouvernement élu démocratiquement, a pour rôle d’assurer la primauté de l’intérêt général sur les intérêts privés et corporatistes, même si notre démocratie est déficiente, en menant à une surreprésentation à l’Assemblée nationale par rapport aux votes exprimés. La santé vient en tête de liste avec 43,7 % des dépenses consolidées du budget pour 2025-2026. La santé socioéconomique de notre société, son dynamisme, sa pérennité dépendent de la santé de tous les membres qui la composent et des soins qu’ils peuvent recevoir lorsque la maladie ou d’autres accidents de parcours s’invitent dans leur vie.


La santé est également une œuvre collective, qui repose d’abord sur chaque citoyen qui doit adopter de saines habitudes de vie. À ce chapitre, les médecins ne peuvent prétendre à une quelconque forme de monopole en santé. Une foule d’intervenants autres que le corps médical interviennent  pour remplir cette mission, les infirmiers et les infirmières, les technologues, les physiothérapeutes, les chiropraticiens, les diététistes, les psychologues, les ambulanciers (paramédics) pour n’en nommer que quelques-uns. On peut aller plus loin en nommant tous les préposés et les corps de métier qui entretiennent nos immenses bâtisses que sont par exemple nos hôpitaux. Quel serait l’état de nos immeubles publics du domaine de la santé sans tous ces travailleurs de l’ombre ?


La santé est un domaine tellement vital qu’il est impensable qu’un climat toxique s’invite à chaque négociation de l’un ou l’autre des acteurs de ce réseau. Quand cela arrive, quelqu’un pense-t-il aux conséquences délétères  que cette situation peut causer aux patients en attente de soins ? Par exemple, qu’est-ce qui justifie de réclamer la démission du ministre de la santé ?  De quel droit ? Pourquoi pas celle de la présidente du Conseil du trésor ? Ou celle du premier ministre ? Ou les trois tant qu’à y être ? Quel autre groupe de travailleurs peut, dans notre société, tasser un ministre du gouvernement et exiger de discuter et de négocier directement avec le Premier ministre ? Le principal argument des  Fédérations de médecins dans la présente négociation est de réclamer des ressources additionnelles pour faire leur travail, sans oublier sans doute de bonifier au passage leurs primes. Des ressources additionnelles, il faut quand même les recruter, les former et les rémunérer. Ça ne se fait pas en claquant des doigts. Pour les rémunérer, il ne faut pas non plus qu’un groupe parte avec la caisse à chacune de ses négociations. Les finances publiques ne sont pas élastiques à l’infini.


Où sont ces précieuses ressources manquantes ? Il faut rappeler qu’au nom du déficit zéro, les mises à la retraite hâtives et massives opérées par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard (1996-2001) ont fragilisé le réseau de la santé pour des décennies. Pour y arriver, le programme adopté par ce gouvernement bonifiait les retraites et réduisait les pénalités actuarielles en abaissant l’âge minimum du départ à la retraite. Dans un document d’archives du journal La Presse daté du 23 octobre 2010 et intitulé « Mises à la retraite massives : l‘objectif de l’État a-t-il été atteint ? », on peut y lire ce qui suit : « En juillet  1997, six mois après le lancement du programme de départs volontaires, 37 000 employé avaient quitté leur emploi – plus du double de ce qu’on avait prévu. Dans le réseau de la santé seulement, 18 884 employés ont opté pour une retraite anticipée dont 4 000 infirmières. » Un grand nombre de ces retraités étaient dans la cinquantaine et pouvaient encore servir l’État efficacement ».


Cette attrition accélérée devait générée des économies budgétaires substantielles. Deux ans après le lancement du programme de 1996, le vérificateur général de l’époque, Guy Breton, avait sévèrement critiqué ce programme de départ volontaire. « La générosité du régime, pendant six mois avait coûté 2,3 milliards de dollars puisés pour un bonne part dans les surplus des caisses de retraite. Or, l’économie tangible, la première année seulement, n’a été que de 177 millions de dollars ». On cherche encore aujourd’hui les bénéfices de toute cette opération sans anesthésie, alors que l’on connaît très bien le désastre qui s’en est suivi.


Par une ironie dont l’Histoire a seule le secret, le gouvernement fédéral annonce dans son budget 2025-2026 un déficit historique de 79 milliards de dollars, le Québec 11,4 milliards, sans que personne pourtant ne déchire sa chemise sur la place publique. Autre temps, autres mœurs sans doute ?  Serait-ce la fin de la religion du déficit zéro ? Ce n’est pas sûr, car les grands organismes de notation de crédit, Standard & Poor's (S&P), Moody's et Fitch Ratings les attendent dans le détour.


Que dire de l’éternel chantage du départ de médecins vers les autres provinces ? Dans  La Presse du 20 janvier 2016, sous le titre - Les médecins plus nombreux à venir au Québec qu’à partir ailleurs au Canada - Ariane Lacoursière écrit : « De 2009 à 2014, 311 médecins sont venus s'installer au Québec, alors que 233 ont quitté la province pour s'établir dans le reste du Canada. Le bilan migratoire est plus marqué chez les médecins spécialistes, qui enregistrent 206 arrivées pour 102 départs durant cette période. Cette donnée date quelque peu, mais le bilan migratoire positif du Québec est encore valable aujourd’hui, d’autant plus que les médecins québécois gagnent maintenant davantage que la moyenne canadienne, et même plus que leurs collègues de l'Ontario. Un reportage de Daniel Boily et de David Gentile à Radio Canada confirme le bilan migratoire positif du Québec, sauf sur 10 ans, sans que ce soit catastrophique. Le Québec compte tout de même 22 000 médecins en exercice, autant de généralistes que de spécialistes.


Ce serait une bonne pratique d’arrêter de faire peur à la population. Il est grand temps que les considérations éthiques et morales retrouvent leurs droits de cité et ramènent tout le monde à la table de négociation pour faire en sorte qu’un sociodrame, tel que vit actuellement le Québec, ne se répète plus jamais, en trouvant au passage une quelconque formule d’arbitrage qui permet d’atteindre cet objectif souhaitable.


Yvonnick Roy


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