Emmanuel Lévy - Le « scandale des expulsions », le «foreclosure gate» est le nouvel épisode du feuilleton des subprimes. Le sauvetage de Wall Street a déjà coûté des milliards de dollars aux contribuables, ceux-ci payent également l’explosion de la bulle immobilière : près de 7 millions de foyers ont perdu leur toit. Problème, ces expulsions sont pour nombre d’entre elles illégales. Ce qui devrait au final alourdir la facture d’une centaine de milliards…
Dans le film Cleveland contre Wall Street était parfaitement décrit le modus operandi des vendeurs de crédits subprimes plus proches des camelots des marchés de Barbes que de l’aimable banquier zurichois élevé au chocolat. On y voyait un ancien dealer, reconverti dans le business, ô combien plus lucratif, de la distribution de crédit hyper cher à des ménages pauvres désireux d’acquérir un toit en plein bulle immobilière. Ce n’était en fait que la dernière étape d’un processus vicié qui apparait aujourd’hui au grand jour.
Qu’il convient d’abord de résumer. Pour faire court, les éléments qui apparaissent à présent tendent à montrer que les banques ont « bidouillé » l’ensemble de la chaine de production du crédit : de leur distribution jusqu’à leur fameuse titrisation laquelle consiste à revendre les prêts à d’autres, non sans avoir au préalable encaissé de plantureuses commissions. L’avidité étant souvent mauvaise conseillère, le gros des dossiers des emprunteurs ainsi que les opérations de saisies d’hypothèques, qui ont suivi, sont donc juridiquement mal ficelées :
- une grosse partie des prêts titrisés, c’est à dire placés dans des instruments financiers, sont entachés d’irrégularités majeures : les revenus des emprunteurs ont été surévalués ; la valeur des maison (qui garantissait justement les prêts) ont été sciemment surestimés.
- pire, nombre des saisies, donc des hypothèques présentées par les banques, présentent des irrégularités et sont parfois fondées sur de faux documents. Ce que la justice a maintes fois reconnu.
- du coup, l’automaticité des procédures est remise en cause et nécessite de retrouver la propriété réelle des biens saisis.
- les familles expulsées, sidérées dans un premier temps, semblent reprendre du poil de la bête et commencent à attaquer les expulseurs. Tandis que nombre de shérifs refusent désormais de pratiquer ces expulsions juridiquement bancales...
Montage bancal
Bref des montages qui relèvent davantage de l’escroquerie que du financement de l’économie, des ménages, comme le relevait déjà un rapport du FBI datant de 2006… Et que sont venus confirmer de nombreux témoignages. Certains d’entre eux décrivent un deus ex machina. Sous la signature de certains agents de banques, ont été accordés plusieurs milliers de prêts, parfois avec des paraphes différents, supposant un sous traitement juridiquement bancal, ainsi que le New York Times l’a dévoilé sous le terme de « robot signing ».
En attendant, le mal est fait. Les chiffres du marché immobilier, et par ricochet ceux de la situation financière des ménages américains (historiquement avec un fort taux de propriétaires) sont éloquents :
- le marché s’est effondré …
Les ventes de maisons neuves sont passées de 1,3million en 2005 à moins de 335.000 au cours des douze derniers mois. Pas mieux du coté des ventes de logements anciens. En 2005, il s’en est vendu 8,5 millions, contre moins de 5,5 millions sur douze mois.
- …idem pour la construction. Le nombre de logements en construction a été divisé par 3, passant de 1,5 million d’unités avant la crise à moins de 0,5 million en juillet 2010. Et l’avenir ne promet rien de mieux : le nombre de permis de construire a suivi le même chemin : 2 millions de permis ont été délivrés en 2006 contre 600 000 sur une année courante.
- les saisies se poursuivent cependant…: Les emprunteurs en retard d’au moins un mois sur leurs échéances représentaient 4,4 % fin 2004. Ils étaient 10,4% fin 2009. Résultat, les saisies explosent : elles passent de 270.000 en 2006, à 918.000 en 2009 puis à 267.000 au premier trimestre 2010.
- … cela se paye cash pour les ménages : ils étaient propriétaires à 70 % à la veille de l’explosion de la crise. Ils ne sont plus que 67 % en juin 2010. Des logements qui demeurent pour la plupart invendus : le nombre de logements vacants était de 11,6% au premier trimestre 2006, 13,1% au deuxième trimestre 2010.
L’affaire a pris une telle ampleur, outre Atlantique, que la loi facilitant les procédures d’expulsion, mise à l'agenda in extrémis par les banques, a été rejetée in extremis : Barak Obama, sentant la colère populaire monter, y a mis son veto. D’autant qu’il faudra sans doute rallonger la sauce des dollars pour sauver le système. Les deux principaux acteurs de la place, Freddie Mac et Fannie Mae disposent en effet d’une garantie publique : 120 milliards de dollars dans le pire des cas, en plus des 700 milliards de dollars déjà mis sur la table par Washington.
Car l’Amérique de 2010 n’a rien a envié à celle décrit dans les raisins de la colère.
Jamais le chômage n’a été aussi élevé : il toucherait près de 20% de la population mâle civile âgée de 25 à 54 ans, selon certaines études, qui à l’instar du baromètre Marianne du chômage, dénombre les personnes hors de l’emploi. Pire, les personnes inscrites depuis plus de six mois sont au nombre de 6 millions, un chiffre record. Nombre qui a doublé en 18 mois. Dans un pays où l’indemnisation du chômage est faible, cette situation est critique. Elle décrit un appauvrissement généralisé. D’ailleurs le principal programme social le mesure bien. Ce sont 42 millions d’Américains, 14% de la population, qui mangent désormais grâce au « stamp food », chèques alimentaires. Cela traduit une progression de 50% depuis 2006 de la population susceptible de recevoir cet aide (un revenu de 22 000 dollars annuel pour une famille de 4 personnes). A l’échelle de ce programme fédéral qui devrait peser 55 milliards de dollars en 2010, c’est l’équivalent de la population de l’Espagne qui reçoit 3,5 dollars par jour pour se nourrir.
C’est par peur de la récession qui alimente la récession que Barak Obama a sévèrement critiqué la politique de rigueur que le Royaume Unis de David Cameron s’apprête à mettre en œuvre. C’est, surtout dans ce contexte qu’il faut comprendre la nouvelle politique américaine envers la Chine. Constatant la mauvaise volonté de l'Empire du milieu à rééquilibrer les termes de l’échange entre les deux puissances, le Congrès s’est saisi de l’arme des quotas. Alors que Pékin traine des pieds pour réévaluer sa monnaie, par peur de voir fondre le pouvoir d’achat des américains pour les produits made in China, Washington a décidé de prendre le taureau par les cornes en limitant les importations chinoises, non par les prix mais par les quantités.
Cela ne saurait de toute façon suffire. L’Amérique n’a plus vraiment le choix. Si elle désire réduire son chômage, le dollar-roi doit être sacrifié, c'est-à-dire qu'il doit encore plus décrocher par rapport aux autres monnaies. Quitte à redéclencher la guerre des monnaies à laquelle le G20 qui se tient actuellement en Corée du Sud prétend avoir mis fin.
Au secours, les subprimes reviennent en Amérique !
l’Amérique de 2010 n’a rien a envié à celle décrit dans les raisins de la colère
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