Aurons-nous encore longtemps les moyens ?

Un bref survol de notre histoire démontre, au contraire, que notre appartenance au Canada a été plutôt un frein à l'émancipation de l'identité québécoise.


Un Harper incapable de dire que le Québec forme une nation, un Charest déclarant à Paris que le Québec a ce qu'il faut pour faire sa souveraineté, les deux chefs souverainistes ravis d'une telle déclaration, on ne peut dire qu'il y a eu relâche sur le plan politique au Québec cet été. Mais, dès cet automne, la question qu'on devra se poser est celle de savoir si nous aurons longtemps les moyens, non pas uniquement de faire la souveraineté, mais de conserver un bastion francophone dynamique en terre d'Amérique.
Le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes est optimiste. Se portant à la défense de Harper et de Charest, Benoît Pelletier a dit que «loin d'avoir été un frein à l'émancipation de l'identité québécoise, le Canada a été et continue d'être un levier de premier ordre pour le développement social et économique du Québec, ainsi qu'un tremplin pour l'affirmation du fait français en Amérique.» (La Presse, 1er juillet et Le Journal de Montréal, 13 juillet)
Un bref survol de notre histoire démontre, au contraire, que notre appartenance au Canada a été plutôt un frein à l'émancipation de l'identité québécoise. Ajoutons ici que, depuis les années soixante-dix, le PLQ de Benoît Pelletier est lui-même devenu un boulet à notre émancipation collective, un boulet qui s'est gravement alourdi avec la reprise du pouvoir de ce parti en avril 2003.
Dans la première moitié du 19e siècle, les Patriotes représentèrent ici un courant de modernité que l'on retrouvait ailleurs, aussi bien en Europe qu'en Amérique latine. Ils véhiculèrent les valeurs républicaines, telles que le droit à l'autodétermination des peuples et la laïcisation de l'État. Ils ont malheureusement été vaincus.
Suite à leur défaite, libéraux comme conservateurs de ce qui allait devenir le Canada anglais ont travaillé d'arrache-pied à folkloriser les Canadiens français. L'utilisation de la langue française ne devra être permise que dans l'unique réserve québécoise, là où le BNA Act de 1867 allait pulluler de clauses de sauvegarde à l'avantage de la minorité anglaise, là où les magnas de l'industrie iront délibérément chercher leurs cadres en Albion de manière à toujours conserver la main-d'œuvre indigène dans le plus abject paupérisme. Devons-nous nous surprendre que, pendant des décennies, la moitié de nos ancêtres a dû émigrer pour trouver du travail dans les usines de Nouvelle-Angleterre?
Malgré ces obstacles, de génération en génération, les hommes et les femmes qui nous ont précédés en sol laurentien ont trimé dur pour que le Québec débouche enfin sur sa Révolution tranquille. Les années soixante voient un peuple qui prend confiance en lui-même. Un peuple qui comprend que, grâce aux institutions étatiques qu'il contrôle, il peut se sortir du bourbier dans lequel il a été enfoncé. Du coup, on ne veut plus s'appeler ni «Canadiens» ni «Canadiens français», mais Québécois. Du coup, on prend conscience de l'anormalité qui fait que 80 % des Néo-Québécois s'assimilent à la minorité anglaise.
Il n'a suffi que de sept ans de cette révolution dite «tranquille» pour que le ROC réagisse et fasse comprendre aux Québécois que la récréation était finie. Trudeau fut leur grand Normalisateur. Avec lui, plus question de biculturalisme au Canada, mais de multiculturalisme. Statut particulier pour le Québec? Niet. Finies les concessions à la sauce Pearson permettant à «la belle province» de se doter de son propre régime publique de retraite. Qui a permis la Caisse de dépôt. Qui à elle-même fait naître ce satané «Québec Inc.». Trudeau, sauveur du Canada avec sa Charte des droits devant faire comprendre aux Québécois - pardon, aux Canadien français - qu'ils ne sont rien d'autres que la plus grosse des minorités au Canada. En attendant les Chinois.
Le sénateur Claude Rivest a émis son opinion sur la déclaration de Charest à Paris (Radio-Canada, émission La tribune, 10 juillet). Pour l'ex-conseiller de Robert Bourassa, le danger que pourrait affronter un Oui gagnant serait l'hostilité des anglophones et des «communautés culturelles» de l'île de Montréal. Par un tel constat, le sénateur nous aide à comprendre pourquoi il devient urgent de faire la souveraineté. Ses dires révèlent que la loi 101 a dramatiquement failli à la tâche d'intégrer à la société québécoise les jeunes dont les parents ont immigré au Québec.
Plus les Québécois accepteront le sort que leur laisse le Canada de n'être que la plus grosse minorité dans ce pays multiculturel, plus nombreux seront les «enfants de la loi 101» à choisir le cégep anglophone après leur secondaire et plus nombreux ils seront à s'assimiler à la culture et aux valeurs de la minorité anglaise au Québec. Et Rivest a entièrement raison de penser que, suite à un Oui gagnant lors d'un référendum sur la souveraineté, ils seront plusieurs à s'enticher de l'idéologie partitionniste.
Mais, plus grave encore, la faillite de la loi 101 rend, à plus ou moins long terme, un processus inéluctable de louisianisation du Québec. C'est donc la raison «essentielle» qui rend urgente la nécessité pour les Québécois de se détacher du Canada. Il faut donc faire la souveraineté d'abord pour une raison culturelle comme l'avaient ce printemps si bien préconisé Michel Tremblay et Robert Lepage.
Les années de la Révolution tranquille nous ont par ailleurs démontré que quand les nécessités de culture obligent un peuple à bouger, l'économique suit toujours la dynamique du courant amorcé.


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