«Ça va bien aller.» Vraiment?

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« Non décidément ça ne va pas si bien que ça. »

Alors que le gouvernement vient de recommander le port du masque et sans en contester l’intérêt, nous proposons que nous retirions celui que nous portons depuis le début de la pandémie, qui non seulement obture nos bouches mais aussi nos yeux. Le masque intégral aux normes du Ça va bien aller.


Cette formule affublée d’un arc-en-ciel que l’on trouve généralement collée sur les murs des garderies a envahi nos espaces publics et numériques. Sur les parois de Facebook, il s’affiche souvent accompagné d’un portait et d’un hashtag donnant l’exemple, quand ce n’est pas la leçon, de ce qu’il convient de faire sous couvert de collaboration citoyenne. Quand ce n’est pas sur les murs des réseaux, cet ersatz d’optimisme s’affiche sur les fenêtres des condos ou à la fin des courriels dans lesquels les signatures officielles s’achèvent par un «Ça va bien aller». Ils nous laissent ainsi sur une touche d’espoir au-delà des tractations pour gérer au mieux les contraintes, les inquiétudes et la batterie de questions sans réponse posées quotidiennement par la pandémie. 


Ce «Ça va bien aller» suppose un «Ne vous inquiétez pas», rassurant et utile au début de la crise. Pour éviter la panique et panser les angoisses bien sûr mais surtout pour maintenir un peu de confiance et de cohésion sociale, nécessaires aux efforts du gouvernement pour faire face à l’urgence. Ce slogan rappelle ce mot d’ordre diffusé dans la tour du World Trade Center peu après le crash du premier avion : «Don’t worry, the building is secure». Une formule désespérée pour contenir l’effroi et s’assurer d’une évacuation à peu près contrôlée du bâtiment, avec les résultats que l’on connaît. 


Bien sûr qu’elle était nécessaire cette accroche. Comme un masque posé sur nos visages pour nous protéger de l’affolement au service de l’aplatissement de la courbe de la peur. Et cet arc-en-ciel qui promettait le beau temps après la tempête. Tout sonnait comme les mots rassurants d’une mère à son enfant apeuré. Comme le signe d’un espoir et d’une confiance remis entre nos mains pour, ensemble, faire face à la pandémie. Elle était nécessaire … au début. Mais l’enfant est devenu adulte. En quelques semaines il a grandi. La pandémie, le confinement, l’épreuve, l’ont rendu plus mature et le «Ça va bien aller» ne sonne plus pareil à ses oreilles. La bienveillance maternelle qu’il véhiculait s’est éloignée et d’autres sonorités apparaissent qu’il peut à présent percer. 


Aujourd’hui il pourrait y déceler le chantage affectif maladroit du «Ça va bien aller» qui devient une promesse conditionnée par le respect des consignes. Si tu obéis bien à tout ce qu’on te demande alors ça va bien aller. Il pourrait y sentir transpirer l’impuissance des grands face aux débordements de la crise. Comme un «Ce n’est pas grave» lancé à l’enfant qui pleure parce qu’il s’est fait mal. Un encouragement à se relever certes mais un déni de sa douleur. Une formule qui lisse les blessures et rassure celui qui la professe plutôt que celui qui s’est fait mal. Au fur et à mesure que la crise évolue, l’enfant devenu adulte, commence à voir que décidément, non, tout n’est pas si bien allé malgré ce qu’on lui avait promis. Lorsqu’il sort enfin de sa maison, il réalise que l’arc-en-ciel n’est pas encore là. Il devra vivre longtemps privé de quelques-unes de ses libertés. Il découvre l’étendue du mépris des aînés dans nos sociétés épouvantées par le vieillissement et la mort, les décombres économiques et sociaux, la violence conjugale et parentale, la maladie mentale. Non décidément ça ne va pas si bien que ça. 



Il entendra enfin dans ce «Ça va bien aller» une incantation dans laquelle se cache le secret espoir que tout finira par redevenir comme avant. Que ce n’est qu’un mauvais cauchemar dont nous finirons par nous réveiller pour retrouver notre chambre telle qu’elle était hier lorsque tout était encore en ordre. Mais il n’y croira guère. Parce que l’enfant devenu adulte sait que les crises sont là pour nous faire grandir et non pas pour retourner dans nos chambres d’enfant. 


Au moment où la communication du gouvernement sur le déconfinement vient d’être confiée à une grande agence de communication, espérons que les conseils qui en sortiront ajouteront un soupçon de vérité à l’affichage omniprésent d’un slogan aux allures d’anesthésie générale et miseront sur un message vrai adressé à des citoyens que la crise a d’ores et déjà fondamentalement fait grandir. 


Christophe Roux-Dufort est professeur de management à l’Université Laval et fondateur de la voie des mains

Frédéric Léotar est directeur du centre des musiciens du monde, Montréal et président de l’OBNL La voie des mains