Habile entrechat des conservateurs en culture dans ce budget coup-de-poing tombé jeudi. Technique parfaite, mais absence totale de grâce: le Conseil des arts du Canada est épargné par la faucheuse, et tous ceux qui craignaient pour le soutien direct aux artistes soupirent d'aise. Mais derrière les réjouissances, les lamentations se font entendre: l'Office national du film (ONF), Téléfilm et CBC/Radio-Canada ont reçu leur 10 %. Il s'agit en fait du vôtre.
Votre 10 %. Oui, votre manière de soutenir la création d'ici dans un marché où des géants privés se bataillent pour une offre éclatée rimant avec gros sous, lourdes cotes d'écoute et — conséquence probable et palpable — une qualité s'arrimant au plus bas dénominateur. Les compressions annoncées jeudi brusquent les organismes de création publics au point de fragiliser leur mandat. Voilà exactement ce que souhaitent les conservateurs. Mais s'agit-il de ce que les citoyens ont demandé?
Une majorité au gouvernement donne-t-elle le privilège de réécrire l'histoire? Voilà le défi qui attend CBC/Radio-Canada, celui de revoir jusqu'à la lie sa mission première en raison de l'effort qu'on lui demande. On a évoqué officiellement 115 millions en réductions; mais ce serait plus de 180 millions, ce qui obligera la haute direction à des pirouettes encore pires qu'au moment de la crise financière de 2009, où la SRC avait aboli 800 postes après qu'Ottawa eut refusé net de la secourir.
La semaine prochaine, le président Hubert T. Lacroix sera porteur de mauvaises nouvelles. Il ne s'agira plus de dire joliment qu'on coupera dans les excès et la démesure: des divisions entières de Radio-Canada pourraient disparaître. Des précaires, des nouveaux arrivés, peu importe leur dynamisme ou leur spécialité, seront remerciés. Sans grande surprise, les déjà mieux nantis, mieux protégés de la «boîte», sous le rempart de conventions collectives d'un autre âge, celui de l'opulence, resteront protégés.
Les détracteurs de Radio-Canada, formant un choeur avec les troupes conservatrices, rêvent d'essouffler cette télévision d'État qui, à leurs yeux, ne mérite pas de manger à tous les râteliers: fonds publics, publicité, revenus de chaînes spécialisées. C'est que leur prémisse est erronée: il ne s'agit pas d'une télé d'État, mais bel et bien d'un service public, sans lequel des millions de Canadiens seraient notamment coupés d'accès à l'information.
Bien sûr, le marché qui a vu naître Radio-Canada il y a 75 ans a littéralement explosé. La télévision généraliste peine à faire sa place dans un marché grenouillant de spécialisées, les cotes en vogue. Dans ce marché se trouvent les RDI, Artv, et la toute nouvelle Explora, détenues par Radio-Canada, qui n'a d'autre choix que d'explorer elle aussi cette avenue.
Le choc du budget est d'autant plus dur à encaisser qu'il survient trois ans à peine après un premier régime minceur, mais aussi... une psychothérapie, un retour sur soi quoi! L'exercice ne fut pas vain, car il a donné lieu à la stratégie 2015: partout, pour tous, dont les trois objectifs étaient chargés d'espoir: offrir du contenu plus distinctif (l'avenir, dans la qualité et le média de niche); accroître et améliorer les services régionaux (la force du service public); et miser sur le numérique (tou.tv et espace.mu en avant).
Ce bel élan risque maintenant d'être anéanti. En effet, une brèche de 10 %, votre 10 %, touche le coeur de la mission de diffuseur public, contre laquelle un gouvernement et son moteur idéologique ont décidé de se rebuter, sans vous consulter.
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