Des oeufs et des roses

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« La FFQ a fini par placer les groupes de femmes en opposition les unes par rapport aux autres, flirtant avec l’absurde. »


Il y a longtemps que les vents contraires et les prises de position difficiles déchirent la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Qui a dit que la défense collective du droit des femmes devait s’exprimer dans l’harmonie et l’homogénéité de pensée ? L’expression d’idées diverses, voire d’idéologies opposées, confère plutôt un caractère sain à la recherche de compromis. La dissension en soi n’est pas un problème, que ce soit dit.


Mais les dernières tempêtes qui soufflent autour de la FFQ — adepte, avec sa présidente Gabrielle Bouchard, de quelques dérapages très peu glorieux — laissent à penser que l’organisation carbure désormais aux déclarations et positions chocs, qui détruisent et minent un front féministe qui plus que jamais devrait viser l’unité. La lutte des femmes est passée d’un giron collectif aux revendications individuelles, et la FFQ fait maintenant penser à une arène où se dispute la primauté des unes sur celle des autres.


On n’a qu’à décortiquer rien qu’un peu le dernier glissement de Mme Bouchard pour s’en convaincre. Son tweet malheureux prônait l’abolition des relations hétérosexuelles « violentes », mais la présidente de la FFQ a expliqué dans ses excuses qu’elle voulait simplement provoquer une discussion sur les féminicides. On aura rarement vu plus spectaculaire ratage de communication. Non seulement son message a-t-il complètement manqué sa cible, mais il a provoqué le désaveu de la présidente par le conseil d’administration de la FFQ — geste symbolique d’importance, s’il en est un — et déclenché une série de propos misogynes, transphobes, racistes et antiféministes sur l’épiderme sensible des réseaux sociaux. Le mot « ratage » ici relève de l’euphémisme.


Sous la controverse de la semaine couvait pourtant un enjeu véritable. Celui du meurtre sordide de Marylène Lévesque, tuée à Québec par un meurtrier à qui la Commission des libérations conditionnelles avait interdit tout contact avec des femmes, sauf… des prostituées, pour assouvir ses besoins sexuels. L’affaire a semé la consternation, car on a littéralement donné une femme en pâture à un assassin. La FFQ tenait là une occasion en or de se faire comme jadis l’interlocutrice de choix pour dénoncer haut et fort les féminicides, mais elle a raté le coche.


À partir de quand la FFQ est-elle passée d’organisation porteuse d’un consensus à groupuscule délesté de ses membres ? L’année 2018 a certes marqué un tournant, avec l’adoption de propositions sur la prostitution prônant le libre choix d’oeuvrer dans l’industrie du sexe, le tout en contradiction totale avec les préoccupations exprimées par nombre de féministes sur l’exploitation marchande du corps des femmes. Nous avons écrit ici à quel point ce virage frôlait la banalisation et qu’en mettant en avant le dogme du « chacun son choix » on risquait de minimiser le climat d’oppression, de vulnérabilité et de violence sexuelle dans lequel ces « travailleuses » oeuvrent. Mais même cela on ne peut plus le dire, car c’est poser ces femmes en victimes et leur nier la capacité d’être les « agentes actives » de leur propre vie.


Qu’elle est loin, l’époque rassembleuse de 1995, où la FFQ avait mené la Marche du pain et des roses contre la pauvreté et les violences faites aux femmes sous la présidence de Françoise David. Désormais, c’est sur des oeufs qu’on piétine. L’approche intersectionnelle, qui tourne son analyse vers les multiples oppressions subies par les femmes, a dérivé doucement vers une lutte des égalités des femmes entre elles. La FFQ a fini par placer les groupes de femmes en opposition les unes par rapport aux autres, flirtant avec l’absurde.


Couper les vivres à la Fédération des femmes du Québec, dont les actions destinées à la défense des femmes devraient toujours compter, n’était pas la voie à adopter pour l’heure, et cela, le premier ministre François Legault l’a fort bien saisi. Mais si la FFQ est intègre avec l’énoncé de sa mission, elle se trouve aujourd’hui dans un immense embarras, avec une présidente multipliant les coups d’éclat qui fractionnent, et une coquille vide ne disant plus grand-chose aux femmes.




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