Contestation du projet de loi sur la laïcité: une dérive inquiétante

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Il faudra pourtant remettre à l'ordre les récalcitrants


À voir la tournure que prend le débat sur laïcité, on peut comprendre le gouvernement Legault de vouloir le clore le plus rapidement possible, mais on ne peut pas dire qu’il contribue beaucoup à sa sérénité. Après un parcours sans fautes, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a bien mal choisi son moment pour se mettre les pieds dans les plats en laissant entendre que la police se chargerait de faire respecter l’interdiction du port de signes religieux.


C’était presque une invitation à l’illégalité. Même dans leurs rêves les plus fous, les opposants au projet de loi 21 n’auraient pas osé imaginer des bulletins de nouvelles diffusant aux quatre coins du monde les images d’une enseignante voilée que des policiers escorteraient vers la sortie d’une école. Pourquoi pas menottes aux poings, tant qu’à y être ?


Sa collègue de la Justice, Sonia LeBel, et le premier ministre lui-même se sont empressés de corriger le tir, mais la partie sera peut-être plus difficile qu’ils le croyaient. Même si sa majorité parlementaire permettra au gouvernement de faire adopter son projet de loi avant l’ajournement de la mi-juin, quitte à utiliser le bâillon, et de le mettre à l’abri des contestations judiciaires en utilisant la disposition de dérogation, il lui faudra manifestement composer avec une guérilla extraparlementaire qui pourrait être très dommageable pour son image dans les mois qui vont suivre.


Sachant qu’elles ont l’appui unanime du Canada anglais, il est très possible que les deux commissions scolaires de l’île de Montréal et les municipalités anglophones de la banlieue refusent de faire appliquer la loi, sans parler des démarches auprès de l’ONU que Me Julius Grey menace d’entreprendre.




 

S’il peut être agaçant de voir les opposants à l’interdiction des signes religieux prétendre à une certaine supériorité morale, comme le faisait Philippe Couillard, ils n’en sont pas moins convaincus qu’il y a là une violation des droits fondamentaux et ils ont le droit de le crier haut et fort.


Cela traduit moins un mépris des valeurs québécoises qu’une adhésion à celles du reste du Canada et il faudrait bien mal connaître la nature de ce pays pour s’en étonner. La question est de savoir si cela justifie le recours à la désobéissance civile, même si elle a indéniablement permis de grandes avancées démocratiques dans l’histoire.


Dans son célèbre essai intitulé La désobéissance civile, publié en 1849, Henry David Thoreau, qui avait lui-même été jeté en prison pour avoir refusé de payer l’impôt américain en guise de protestation contre l’esclavage, écrivait : « Je dois faire en sorte de ne pas prêter la main à faire le mal que je condamne. »


La formule est belle, mais elle ne légitime pas tout. Les comparaisons avec Gandhi ou Martin Luther King ont leurs limites. Tout comme la frustration n’est pas nécessairement synonyme d’injustice. En 2012, le coloré maire d’Huntingdon, Stéphane Gendron, avait décidé que l’obligation de correspondre uniquement en français avec ses administrés, comme l’édictait la loi 101, constituait une « politique raciste et discriminatoire » qui justifiait d’y contrevenir. Il avait heureusement eu la bonne idée de prendre sa retraite peu de temps après.




 

Après une saga judiciaire qui avait duré plus de quatre ans, la Cour suprême avait finalement acquitté Gabriel Nadeau-Dubois de l’accusation d’outrage au tribunal, dont deux jugements antérieurs l’avaient reconnu coupable pour avoir encouragé les étudiants à défier une injonction leur interdisant de bloquer l’accès aux salles de cours durant le Printemps érable de 2012.


Le jour de son assermentation comme député de Gouin, le 6 juin 2017, il a cependant justifié le recours occasionnel à la désobéissance civile. « Dans l’histoire des démocraties, il y a eu de nombreux moments où la désobéissance civile pacifique a été utilisée pour contrer des décisions qui étaient injustes. Pour moi, c’est le genre de situation qui s’évalue au cas par cas », a-t-il déclaré.


De toute évidence, l’interdiction des signes religieux constitue un cas où elle serait légitime aux yeux de Québec solidaire. Mardi, le député d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc, a déclaré à l’Assemblée nationale : « La désobéissance civile, ce n’est pas un crime. C’est une tactique qui existe pour contester un projet de loi ou pas. Je ne dis pas que c’est la meilleure stratégie à utiliser. Les gens qui veulent la contester utiliseront cette stratégie s’ils le veulent. »


Il y a là une dérive inquiétante. Au conseil général de la fin de semaine dernière, les militants de QS ont eu l’occasion de dire tout le mal qu’ils pensaient du projet de loi 21. Les députés solidaires peuvent utiliser tous les moyens parlementaires à leur disposition pour tenter de le bloquer ou de le modifier. Ils ne sont cependant pas à l’Assemblée nationale pour jouer à la révolution. Contrevenir au code vestimentaire est une chose, contester l’État de droit en est une autre.









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