HISTOIRE

THE QUEBEC BASHING

Un procédé malsain pour soumettre le Québec

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Chronique de Me Néron

(reproduction de George Brown,

qui se disait de la « race des vainqueurs »)


     Le « Quebec bashing » est une violence gratuite et répétitive qui vise la population française du Québec depuis plus de deux siècles. Cette violence se manifeste par des attaques injurieuses, méprisantes, souvent même haineuses, à l’endroit d’une population longtemps qualifiée d’« étrangère » et dont l’existence a toujours été mal tolérée par la population anglaise du Canada. Cette violence est également arbitraire en ce sens qu’elle ne constitue en aucune façon une réponse rationnelle et légitime à des conduites blâmables et injustes de la part de la population française du Québec.


     Quand on examine les causes lointaines de ces violences gratuites et répétitives, on constate que, depuis le début du XIXe siècle, les Anglais du Canada ont toujours ressenti comme une injustice le fait de devoir tolérer les « Canadiens » sur ce territoire qu’ils prétendaient avoir acquis en toute légitimité suite à une guerre glorieuse, guerre au cours de laquelle la Providence les aurait guidés pour prendre d’assaut la citadelle imprenable de l’Antéchrist. Convaincus de la dimension mystique de cette victoire, ils étaient nombreux à considérer les « Canadiens » comme des dangereux papistes, des indésirables qui auraient mérité de subir un sort semblable à celui des Acadiens. D’ailleurs, le mot « étrangers » étaient souvent utilisé pour les nommer. Par exemple, dans certains textes on peut lire des commentaires du genre suivant : « Quel beau pays nous aurions s’il n’y avait pas tous ces étrangers ».


     Une autre cause, beaucoup plus récente celle-là, vient du fait que les Anglais du Canada considèrent comme odieux et choquant le refus des Québécois de les imiter dans leur zèle naïf à l’endroit de la « diversité et l’inclusion » et, plus encore, du fait qu’ils refusent de se soumettre aveuglément aux normes, croyances et valeurs de la civilisation anglo-saxonne en matière de morale, de droit et de justice.


     En ce sens, on peut dire que le « Quebec bashing » résulte d’une intolérance hypocrite de la part des Anglais du Canada. Bien qu’ils soient d’ardents défenseurs de l’« inclusion et la diversité », ils sont paradoxalement incapables de comprendre que toute société globale à travers le monde porte son propre idéal de morale, de droit et justice, idéal qui se construit progressivement au fil des générations. Plus encore, il semble qu’une sorte de perfection existerait dans les sociétés anglo-saxonnes. Mais la preuve en ce sens n’a jamais été convaincante.


     En vertu de quel principe la population du Québec devrait-elle se nier elle-même et renier tout ce que l’histoire a fait d’elle aux cours des générations ? Si les valeurs du Canada anglais sont à ce point un modèle universel de morale, de droit et de justice, comment se fait-il que nous ayons à subir tant d’intolérance, de mépris, de haine et d’hypocrisie de leur part ? En fait, le « Quebec bashing » est l’expression d’un vieux conflit que l’on peut mieux saisir à l’étude de la complexité des normes et des valeurs de la vie en société. Voyons d’abord pour la morale.


     La morale


      Le principe général de la morale est que le bien doit être poursuivi et le mal évité. En ce sens, on peut dire que le bien nous plaît et nous convient, alors que le mal nous déplaît et nous rebute. Le sentiment que l’on éprouve pour le bien est de l’ordre de l’amour, alors que celui pour le mal est de l’ordre de la haine. Cependant, le nœud du problème se situe au niveau de l’appréciation de ce qui est bien et de ce qui est mal. Il est plutôt rare que nous ayons la chance de rencontrer le bien dans toute sa splendeur et le mal dans toute sa laideur. Pour cette raison, on se méprend fréquemment, parfois même gravement. D’où, d’innombrables erreurs de jugement et des injustices là où nous pensions avoir trouvé le chemin de la vérité et de la justice.


     Ce qui complique le processus d’appréciation en morale, c’est que les normes, croyances et valeurs des peuples sont de l’ordre de la contingence. Ainsi, ce qui est considéré comme bien chez un peuple peut fort bien être jugé comme mal chez un autre. En ce sens, chaque peuple développe, au fil des âges, des traditions et un idéal de vie en société que l’on appelle la culture. Du fait que le Québec et le Canada appartiennent à des cultures et des civilisations distinctes, il s’avère présomptueux de porter des jugements sur les valeurs culturelles de part et d’autre, prenant pour acquis que certaines seraient plus élevées dans l’échelle des civilisations. La prudence est donc de mise, voire de rigueur, lorsque l’on est tenté de porter un jugement sur les normes, croyances et valeurs des autres peuples.


     Cependant, au Canada anglais, cette prudence est largement ignorée, pour ne pas dire méprisée. Cette attitude s’explique par le fait que sa culture profonde est restée marquée par un vieux complexe de supériorité. Jusqu’en 1945, cette supériorité portait sur la conviction d’appartenir à la race la plus élevée qui soit à l’échelle des civilisations. Les livres et articles sur le sujet pouvaient se compter par milliers. Mais suite à la diffusion des images traumatisantes des camps d’extermination, le Canada anglais a dû se refaire une beauté en toute vitesse et procéder à des improvisations idéologiques, compte tenu que la totalité des théories raciales appliquées avec tant de brutalité par les nazis avaient toutes été empruntées à des savants et anthropologues anglo-saxons. Ironiquement, ce sont des scientifiques allemands qui, au cours du XIXe siècle, avaient tenté de faire comprendre à leurs collègues anglo-saxons qu’ils ne faisaient que de la fausse science. Mais sans succès.


     Les Québécois n’ont jamais eu à renier leur passé


     Donc, avec une hypocrisie sans nom, tout ce qui pouvait contrevenir à la nouvelle idéologie d’« ouverture et d’inclusion » du Canada a rapidement été taxé de honteux, d’injuste, d’immoral, etc. Le Canada anglais avait vraiment besoin de laver plus blanc que blanc. Finis les vieux préjugés au sujet du peuple « ignare et paresseux ». On a soudainement découvert que ce peuple qu’on avait tant méprisé était plutôt « immoral, raciste et xénophobe ». Ce virage idéologique était d’autant hypocrite que l’Église catholique du Québec avait toujours dénoncé les théories raciales des anglo-saxons et qu’elle en interdisait la diffusion partout, sauf dans les universités et librairies de langue anglaise. On a donc assisté à une étrange inversion des rôles. Les racistes d’hier se sont mis à traiter de nazi, de raciste et xénophobe le seul peuple du Canada qui avait systématiquement dénoncé ces théories comme inhumaines.


     Le « Quebec bashing » a donc dû se réajuster et modifier son vocabulaire. Il est devenu une sorte d’institution dédiée à la promotion des plus hautes valeurs morales de l’humanité. C’est un peu comme si le Ku Klux Klan s’était mis à dénoncer les « privilèges blancs » et à prêcher l’amour inconditionnel des personnes de couleurs.


     On en finit plus de voir nos racistes d’hier, devenus des parangons de vertus, piquer des crises d’indignation, soulever la haine à l’endroit de conduites légales et légitimes, dénoncer des lois de l’Assemblée nationale du Québec, lois qui trouvent leur justification dans la promotion du bien commun, et ce, conformément aux valeurs fondamentales du Québec. Cette dangereuse inclination à la haine est pourtant immorale puisque « haïr le bien » constitue un véritable dévoiement de l’idée même de justice.


     S’il peut être légitime de haïr le mal, il est toutefois important de distinguer les actes jugés mauvais des personnes qui en sont les auteurs. Malheureusement, le saut de l’un à l’autre se fait le plus facilement du monde. On le constate à tout coup dans le « Quebec bashing ». Les Canadiens anglais méprisent et haïssent bien davantage les Québécois que les soi-disantes conduites « immorales » qu’ils leur reprochent. Voyons quelques cas tirés de notre histoire.


     Par exemple, tout au long du XIXe siècle, l’adage le plus haineux des Anglais de Montréal consistait à répéter constamment que « les Canadiens français devaient disparaître de la surface de la Terre ». On ne pouvait leur souhaiter pire injustice. Les Canadiens français avaient-ils posé des gestes à ce point ignobles et immoraux qui auraient justifié leur extermination ? Loin de là ! Le seul et unique « crime » qui leur était reproché était de constituer une « race ignare et paresseuse », ce qui, d’ailleurs, n’avait aucun fondement. À titre de comparaison, les nazis, dans leur délire assassin, se limitaient à vouloir « faire disparaître les Juifs de la surface de la l’Europe ». Ils justifiaient leur intention en prétextant que les Juifs s’acharnaient à détruire la civilisation. Si ces derniers n’avaient été à leurs yeux que de simples « ignares et paresseux », je ne crois pas qu’ils se seraient fatigués à leur souhaiter autant de mal.


     Durant les Débats parlementaires sur la Confédération, tenus du 3 février au 14 mars 1865, c’est un député de langue anglaise qui s’était inquiété ouvertement de ce cynisme de la part de ses compatriotes. Il avait même témoigné à l’effet qu’il lui arrivait souvent de les reprendre, de leur demander de cesser de dire ces sottises, mais que, à chaque fois, c’est lui qui était pris à parti et rabroué pour avoir pris la défense des Canadiens français.


     Dans les faits, les « Canadiens » n’étaient pas plus « ignares et paresseux » que les autres. Pour ce qui est de l’ignorance, les Anglais du Canada, pendant tout le XIXe siècle, n’ont jamais eu aucune institution scolaire qui ait égalé en qualité nos collèges classiques, lesquels pouvaient se comparer à ce qui se faisait de mieux en France et en Europe. Pour ce qui est de la paresse, les « Canadiens » avaient marché et dressé la carte de l’Amérique du Nord bien avant que les Anglais ne mettent les pieds au Québec.


     L’idée de les marquer au fer rouge de l’ignorance et de la paresse leur permettait toutefois de justifier l’état d’infériorité politique dans lequel les « Canadiens » étaient confinés, état qui perdure encore aujourd’hui. Il allait de soi que les Anglais du Canada ne voulaient absolument pas partager le gouvernement du pays avec des gens qu’ils prétendaient à peine sortis de l’âge de pierre. Les « Canadiens » étaient responsables de leur pitoyable état d’infériorité. C’était tellement évident qu’il était superflu de le prouver.


     Plus encore, cette réputation d’infériorité leur permettait de justifier l’opinion à l’effet que les « Canadiens » étaient de trop au Canada et qu’il était déplorable qu’ils n’aient pas subi le même sort que les Acadiens après la capitulation de Montréal en septembre 1760. D’ailleurs, encore aujourd’hui, ce délire est toujours vivant dans certains esprits puisqu’on le retrouve de temps à autre à la page des opinions du lecteur du Montreal Gazette. C’est à première vue étonnant, mais révélateur d’un état d’esprit, que ce journal accepte de publier de tels appels à la haine et au mépris.


     Ce qui est paradoxal dans le cas de cette haine gratuite, c’est que le Canada ne rate jamais une bonne occasion de se vanter d’être un modèle de perfection morale. D’un côté il ne cesse de se proclamer comme un modèle de diversité et d’inclusion, mais de l’autre il voue une haine irrationnelle à l’endroit du peuple fondateur du Canada qui, pourtant, ne lui a jamais fait de mal. Pour tenter de saisir cette dissonance, nous vous proposons de terminer ce plaidoyer sous l’angle de deux traits de caractère – longtemps qualifiés de vices – que l’on appelle l’orgueil et la jalousie. Examinons.


     L’orgueil


     L’orgueil est l’un des principaux facteurs qui ont rendu impossible l’établissement de rapports de confiance et de solidarité entre les « Canadiens » et les Anglais du Canada. Dans la doctrine traditionnelle, l’orgueil était qualifié de vice du fait qu’il constituait une transgression consciente et volontaire de la loi de Dieu. Aujourd’hui, il est davantage considéré comme un trouble de la personnalité caractérisé par une distorsion cognitive identitaire.


     Dans l’Ancien Testament, les Juifs avaient trouvé douze mots pour identifier les nuances et gradations que l’on peut découvrir dans ce trait de caractère. Il s’agit de l’arrogance, la suffisance, la vanité, la vantardise, l’insolence, le mépris, l’oppression des faibles et des démunis, l’attachement aux honneurs et à la richesse. Il semble même que le plus haut degré d’enflure morale en ce sens serait de se prendre pour Dieu lui-même.


     Toutefois, malgré les apparences de puissance et de supériorité qui se dégagent de cette personnalité, il semble que l’orgueil serait, selon la terminologie moderne, une forme de distorsion cognitive identitaire. L’orgueilleux serait donc quelqu’un qui souffre d’un profond manque de confiance en lui. Dans son for intérieur, il est incapable de se former une bonne opinion de ce qu’il est. Dans la langue courante, on pourrait dire qu’il souffre d’un complexe d’infériorité. Il faut se souvenir que, historiquement, les Anglais se sont toujours sentis humiliés devant le lustre et la splendeur de la civilisation française. Au Canada, ils ont enfin eu sous leur pouvoir des Français qu’ils pouvaient regarder de haut. C’était leur façon de rendre la pareille pour un mal dont leur égo avait si longtemps souffert.


     Meurtri dans l’estime de lui-même, l’orgueilleux cherche à panser sa souffrance en refusant de reconnaître les qualités et le mérite des autres. Dans ses rapports sociaux, il est instinctivement sur la défensive. Colérique et aux aguets, il vit dans la crainte d’être démasqué et humilié, de sorte qu’il est prompt à afficher son mépris à ceux qui pourraient dévoiler que, derrière sa façade de force et de supériorité, il y a un inquiet qui n’en finit plus de panser son sentiment d’infériorité. L’idée de perdre la face le terrifie. Son réflexe de défense le plus simple consiste donc à rabaisser les autres, ce qui lui procure momentanément un sentiment de bien-être. Il cherche à humilier, à faire voir qu’il n’est pas n’importe qui. Il veut paraître fort et puissant, au-dessus de tout le monde. Au Québec, on a droit à de genre d’exhibitionnisme primaire depuis plus de deux siècles. Aujourd’hui, ils aiment surtout afficher leur hauteur morale. Pire encore, il est rare que cet excès d’orgueil se pavane tout seul. Sa petite sœur, la jalousie, ne se tient jamais loin derrière.


     La jalousie


     La jalousie est un sentiment douloureux qui se manifeste chez quelqu’un qui désire acquérir ce qu’il n’a pas, ou qui désire posséder de façon exclusive ce qu’il a déjà. Pour dire les choses simplement, le jaloux est quelqu’un qui souffre à la vue des avantages et du bonheur des autres. En ce sens, ce sentiment est la négation même de ce que l’on appelait autrefois la charité. Aujourd’hui, on utilise le plus souvent le mot altruisme.


     La personne charitable, elle, est portée à se réjouir à la vue des avantages et du bonheur des autres alors que le jaloux, lui, en souffre. Il en souffre parfois si violemment qu’il peut aller jusqu’à poser des actes d’animosité extrême. En fait, tant l’orgueil que la jalousie sont des sentiments douloureux – parfois même passionnels – qui détériorent gravement la qualité de la vie en société. Voyons quelques exemples de ce genre de conduite depuis la cession de notre pays à l’Angleterre.


     Quelques exemples


       Dans les années qui ont suivi la Conquête de 1760, les Britanniques vivant au Canada se voyaient comme les conquérants d’une colonie de la France, et non pas comme de futurs habitants ou citoyens du Canada. Toutefois, l’idée qu’ils se faisaient de leur place et de leur statut légal s’est mise à changer au fur et à mesure de leur enracinement au pays.


     Au début du XIXe siècle, bon nombre d’entre eux, de plus en plus enracinés, ont commencé à se voir un peu moins comme conquérants, mais de plus en plus comme les possesseurs légitimes et exclusifs d’un pays où ils avaient l’intention de s’installer à demeure et de s’approprier le gouvernement. En conséquence, ils vont commencer à voir les Canadiens d’un tout autre œil, c’est-à-dire comme des obstacles à leur désir de possession exclusive, voire comme des étrangers indésirables dont le statut légal même était remis en question. On l’a dit plus haut, l’essence même de la jalousie est un désir d’appropriation exclusive d’un être aimé ou de possession exclusive d’un objet convoité. Pour cette raison, tout obstacle, tout concurrent possible peut se transformer en rival vite devenu un objet de haine.


     Comme on l’a expliqué plus haut, l’orgueil a été à l’origine une source d’inimitié, voire même de haine à l’endroit des « Canadiens ». Mais lorsque la jalousie s’est mise à prêter main forte à l’orgueil, le « Quebec bashing » est devenu un réflexe vital, une manière de « gronder » pour protéger ce qu’ils avaient de plus précieux. Ce réflexe est devenu une forme d’expression courante de leur agressivité à l’endroit des « Canadiens » : non seulement ils devaient subir la présence de ces gens ignares et paresseux, mais ils se sont mis à les trouver si corrompus et moralement dégénérés, qu’ils avaient d’excellentes raisons de ne pas les aimer et de profiter de la moindre occasion pour les dénoncer et les exposer au mépris général dans le Canada anglais.


     De nombreux exemples de ce droit de nous faire la leçon nous ont été donnés lors des débats sur le projet de loi 21. Selon eux, les Québécois ont poussé la bassesse jusqu’à priver de toutes jeunes filles de leur emploi d’enseignantes parce qu’elles voulaient simplement vivre leur foi. Le Canada anglais, qui s’imagine incarner un modèle de perfection morale, a été révulsé. Dans le Montreal Gazette, on pouvait lire ce sentiment de dégoût presque tous les jours. Ce projet de loi, pourtant légal et légitime, était dénoncé avec des mots très durs : honteux – odieux – affreux – monstrueux – xénophobe – extrémiste – humiliant – blessant – hallucinant – injurieux – rétrograde – insultant – etc. La plus belle formule de cette grandeur morale nous a finalement été donnée par Rachel Notley, alors première ministre de l’Alberta : « C’est un jour triste pour le Canada quand le racisme devient loi ».


     Il faut avoir un méchant culot que se permettre de donner aux autres des pareilles leçons de morale. Ne se souviennent-ils pas que, pendant plus d’un siècle, soit de 1870 à 1967, le Canada a mené une guerre d’usure contre les écoles confessionnelles des Acadiens et des Canadiens français.


Christian Néron

Membre du Barreau du Québec

Constitutionnaliste,

Historien du droit et des institutions.



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