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Aperçu
Depuis quelques années déjà, les mesures de l’opinion portent à croire que, pour l’avenir prévisible, un nouveau référendum sur la souveraineté serait perdant s’il prenait modèle sur ceux de 1980 ou de 1995. Dans ce cas, que faire ?
Parmi les suggestions avancées jusqu’ici, deux sont à retenir :
1) Recourir à des référendums sectoriels en vue de «rapatrier» vers le Québec des pouvoirs présentement exercés par le gouvernement central.
Tout à fait pertinent pour résoudre des conflits ponctuels Québec-Ottawa, ce moyen ne parviendrait cependant à transformer le statut du Québec que si on l’appliquait, chaque fois avec succès, pendant plusieurs mandats électoraux.
2) Doter le Québec d’une Constitution.
Si le Québec devait demeurer province canadienne, un devoir collectif s’imposerait de toute façon : nous définir, ainsi que nos valeurs et objectifs, dans notre Constitution.
La Constitution d’un Québec souverain aurait, elle, une tout autre portée. Elle permettrait de «visualiser» à quoi il ressemblerait, devenu maître de ses affaires. Elle offrirait un argumentaire enrichi à ceux et celles qui souhaitent le voir acquérir la plénitude du pouvoir politique. Comme enjeu, thème de réflexion et texte de référence, elle donnerait lieu à un débat à bien des égards différent de ceux qui ont prévalu lors des référendums de 1980 et 1995. Sauf que l’adhésion du public à cette Constitution suppose son accord avec la souveraineté elle-même.
Une autre approche existe : Proposer aux Québécois un programme fondé sur la sauvegarde et le développement de leur identité, et exiger la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise.
Dans cette perspective et sans renoncer à la souveraineté, le Parti québécois s’engagerait à un plan d’action axé sur la défense et la promotion de notre identité propre. Élu, il en appliquerait les éléments réalisables dans le cadre politique actuel. Les autres – mettant en cause le multiculturalisme canadian et sa source, la Constitution unilatéralement imposée au Québec en 1982 – feraient éventuellement l'objet d'un référendum qui pourrait coïncider avec l’élection au terme du prochain mandat du PQ.
En phase avec les aspirations naturelles des Québécois, une telle démarche n’a jamais été tentée.
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J’ai écrit ce long texte au cours de la dernière année pour contribuer à la réflexion de tous ceux et celles qui ont à cœur l’avenir politique du Québec. Les souverainistes en particulier.
Certains vont juger la question presque sacrilège : Que faire si, à court et moyen terme, un référendum gagnant sur la souveraineté n’était pas possible ? Pourquoi s’interroger là-dessus, répliqueront-ils, puisque le premier devoir des souverainistes est de créer les conditions qui feront que la question ne se posera pas.
Je veux bien, mais je la pose quand même – et j’essaie d’y répondre – pour le cas où il faudrait y faire face. Voyons pourquoi l’hypothèse n’est pas forcément fantaisiste. Plus loin, on constatera qu’elle n’a rien de défaitiste.
Je le dis pour ne plus avoir à y revenir : le Québec a le potentiel voulu pour être souverain et il a besoin de le devenir pour se réaliser à sa pleine mesure. Tout cela est démontrable, mais le problème n’est pas là. Il se trouve dans la conclusion, de prime abord déroutante, qui ressort de l’analyse de notre réalité et de l’état de l’opinion.
Quelle conclusion ? Les Québécois sont en général d’accord pour reconnaître que la souveraineté serait faisable, mais, en même temps, ils appréhendent toujours – une majorité d’entre eux en tout cas – les modalités de la rupture par laquelle il leur faudrait passer pour atteindre ce statut, en plus d’en craindre les conséquences. Ils souhaiteraient des garanties : que la route vers la souveraineté ne se révèlera pas trop cahoteuse et qu’elle ne débouchera pas sur une fragilisation ou une diminution de leurs acquis. Bref, en caricaturant un peu, ils seraient favorables à la souveraineté s’ils détenaient la certitude qu’elle s’accomplirait sans secousse et qu’elle accroîtrait leur niveau de vie.
Autant dire qu’ils n’en veulent pas à n’importe quel prix...
Pourquoi cette réticence ?
Les réserves des Québécois envers la souveraineté n’ont pas grand-chose à voir avec l’idée reçue selon laquelle ils souffriraient, comme peuple, d’une ambivalence politique bizarre, presque d’une tare génétique, les rendant inaptes à «se brancher». Parfaitement compréhensibles au contraire, dignes d’attention plutôt que de condescendance, ces réserves prennent en premier lieu racine dans deux grandes tendances lourdes de notre société :
• À l’opposé de ce qu’on observe chez d’autres peuples, il n’existe pas chez les Québécois une aspiration historique à l’indépendance qui serait née de longue date, que leur cheminement politique aurait à maintes reprises confirmée et qui se manifesterait spontanément en raison de leurs intérêts, de leur fidélité et/ou de leurs traditions.
• Minoritaires dans l’ensemble canadien et plus encore en Amérique du Nord, les Québécois, peu agressifs et pacifiques, sont davantage enclins à défendre ce qu’ils sont comme société qu’à entreprendre d’en faire ce qu’elle pourrait devenir.
Il y a ensuite ceci :
• Vu leur niveau de vie, bon nombre de nos compatriotes sont portés à douter des avantages que leur vaudrait une souveraineté dont le phénomène actuel de la mondialisation leur fait pressentir les limites dans un monde de plus en plus interdépendant.
• Les impacts négatifs du régime fédéral sur la marge de manœuvre du Québec n’ont pas toujours des effets tangibles immédiats. Si réels soient-ils à terme, ils se prêtent souvent mal, sur le coup, à une dramatisation qui alerterait le public.
• Beaucoup des injustices commises à l’endroit du Québec (et des Canadiens de langue française) appartiennent à une histoire méconnue ou oubliée, d’où une certaine indifférence chez bien des gens.
• Les retombées positives de la souveraineté ne seraient pas tangibles du jour au lendemain.
et cela :
• À cause de leurs dispositions et préférences innées, les Québécois qui rejettent encore la souveraineté seront difficiles à convaincre.
• Les Québécois de langue française restent à des degrés divers attachés au Canada, pays que, selon eux, leurs ancêtres ont fondé.
Interviennent enfin des facteurs plus récents qui ne sont pas propres au Québec, mais dont l’influence est bien visible chez nous :
• Conjoncture budgétaire et financière difficile.
• Remise en question du besoin et du rôle de l’État.
• Absence généralisée de confiance, désaffection et cynisme envers les élus et les partis.
• Lassitude relativement aux dossiers politiques complexes toujours en attente de solutions.
• Montée de l’individualisme.
• Culte de l’instantanéité.
• Émiettement de l’information, etc.
Voilà qui laisse croire que, pour une période d’une durée indéterminée, la conjoncture pourrait demeurer peu propice à un accroissement significatif de la ferveur souverainiste. Aux yeux de nombreux Québécois, l’avenir national paraît ainsi bloqué, perception qui contribue au désenchantement diffus et à l’apathie qu’on sent dans le public. Désenchantement et apathie qui découragent les souverainistes et rassurent les chevaliers du statu quo.
Peut-on surmonter cette morosité débilitante ? Peut-on faire progresser le Québec et les Québécois sur le plan politique malgré les tendances négatives qu’on vient de voir ? Malgré le mur que, se soutenant mutuellement, ces tendances dressent devant les efforts des souverainistes ? Certainement. C’est pour expliquer comment on pourrait y arriver que ce document existe.
Mais avant d’aborder l’examen des moyens à prendre (Parties III et IV), je crois indispensable, pour en tirer des leçons et dissiper de faux espoirs, d’analyser diverses suggestions avancées ces dernières années par des militants convaincus, comme je le suis, qu’«il faut faire quelque chose».
La radicalisation de l’option souverainiste accroîtrait-elle sa charge émotive et lui vaudrait-elle plus d’appuis ? Soulèverait-elle, au sein de la population, un intérêt nouveau ? Sans pour autant rebuter les citoyens plus circonspects ou moins politisés, ferait-elle accourir aux urnes les indépendantistes déçus qui, dit-on, s’en abstiennent ces temps-ci ?
Retour aux «sources› ?
Des militants ont déjà attribué le résultat négatif du référendum de 1980 au fait que la question posée était, selon eux, trop «molle». Qu’elle n’offrait pas un défi assez enthousiasmant. À les en croire, le camp souverainiste s’en serait mieux tiré en demandant carrément au public s’il voulait, oui ou non, que le Québec devienne un pays, un point, c’est tout.
Rien ne soutient cette interprétation, mais elle a épisodiquement refait surface à travers la notion que, pour redonner de l’attrait à son objectif politique, le Parti québécois devrait effectuer un «retour aux sources». C’est-à-dire, en l’occurrence, assumer le genre de projet véhiculé par le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) des années 1960. Héritier et mandataire de ce parti, le PQ aurait, juge-t-on, été infidèle à la mission qui lui incombait après la dissolution du RIN. Au lieu de prendre le relais et de s’inscrire dans la continuité indépendantiste, il aurait, par calcul électoraliste, substitué la souveraineté-association à l’objectif du RIN, plus franc et plus motivant. Le PQ se serait livré à un détournement de programme politique.
Confusion : le RIN et le PQ étaient deux partis distincts. Le premier s’est sabordé en recommandant à ses membres de se joindre au second qui, lui, préconisait la souveraineté-association. C’est cette intuition de René Lévesque qui est à la «source» du Parti québécois, pas le RIN.1 Plusieurs anciens rinistes ont néanmoins longtemps reproché au parti auquel ils ont adhéré de ne pas avoir été la réincarnation de celui qui n’existait plus.
Après les défaites référendaires de 1980 et 1995, des partisans de la même mouvance ont proposé au PQ de miser sur la souveraineté tout court plutôt que sur la souveraineté-association. À leur avis, le volet association ne visait qu’à rassurer les Québécois pour faciliter au PQ la prise du pouvoir.
Tactique de surcroît malhabile, ajoutaient-ils. En plus d’obscurcir l’objectif et de démobiliser les militants les plus résolus et les plus actifs, elle entraînait l’effet pervers de convaincre le public qu’un Québec souverain ne pourrait pas se passer d’une association avec le Canada (ou d’un partenariat comme on le disait au référendum de 1995). Elle invitait Ottawa et les provinces anglophones à la refuser d’avance afin que les Québécois, effrayés par la «menace», purement rhétorique en fait, se méfient des conséquences de la souveraineté.
Cette critique confirmait cependant, par ricochet, qu’effectivement bien des citoyens délaisseraient le PQ (et son option) s’il n’accordait qu’une importance marginale au volet association avec le Canada. À plus forte raison s’il le rejetait.
Car le sens commun se rebiffera toujours devant la prétention que les rapports économiques Canada-Québec existant depuis des décennies, ont peu de poids. Et que, si le Canada se révélait trop rébarbatif ou pas assez coopératif envers un Québec voulant acquérir sa souveraineté, il serait possible et profitable de remplacer ces rapports, rapidement et sans transition dérangeante, par des accords présumés avantageux avec d’autres pays et leurs entreprises. Le reste de la planète ne se liguera sûrement pas pour empêcher l’accession du Québec à la souveraineté, mais il serait présomptueux d’imaginer que, par compassion et générosité, il se concertera pour l’aider.
En finir avec l’«étapisme»2 ?
Le souhait d’un «retour aux sources» a aussi conduit à l’idée récurrente qu’il faudrait «simplifier» le processus d’accession à la souveraineté en omettant, comme le RIN en son temps, l’étape du référendum. On se dit que l’arrivée au pouvoir du PQ, parti souverainiste ne cachant pas ses couleurs, l’autoriserait en toute logique à appliquer son programme, comme serait justifiée de le faire, pour le sien, toute formation politique dûment élue. Peu importe sa part du vote populaire, le PQ pourrait ainsi et devrait, puisqu’il détiendrait une majorité de députés, «voter la souveraineté» ou amorcer le processus y conduisant.
Le RIN et le PQ jusqu’à 1974 avaient opté pour cette démarche. Elle semblait alors aller de soi, conforme qu’elle était, disait-on, aux règles du parlementarisme britannique, le nôtre, où les lois se votent à la majorité des élus.3 Le problème est qu’une loi sur la souveraineté n’a rien d’un acte législatif ordinaire concernant la gestion courante ou créant un nouveau programme social. Sans compter – on l’oublie – que, s’il suffisait d’une loi pour faire un Québec souverain, une loi d’un gouvernement ultérieur pourrait le défaire... Il s’agit de fonder un État nouveau. Une loi aussi lourde de conséquences pour des millions de personnes serait d’une légitimité plus que chancelante s’il y manquait au départ le consentement majoritaire explicite de ces mêmes personnes. Faute de quoi, la mise en œuvre de la souveraineté deviendrait impossible à cause des obstacles internes et externes qu’on lui opposerait, en mobilisant la majorité qui, elle, s’opposerait à la souveraineté. Bref, il est totalement illusoire de croire la souveraineté réalisable sans l’accord évident des Québécois.
Ces failles n’ont pas échappé à certains militants qui ont imaginé des modalités correctrices. Par exemple, pour réaliser la souveraineté par la seule voie parlementaire, le PQ devrait avoir aussi obtenu au moins 50% des suffrages lors d’une élection générale dont l’enjeu aurait été la souveraineté. L’intention est louable, mais elle amène une autre difficulté. Outre qu’un résultat de ce niveau est rarissime quand plus de deux partis se font la lutte, les suffrages recueillis par le parti vainqueur sont forcément tributaires des considérations nombreuses et variées qui influencent les électeurs. C’est le cas même quand les politiciens qui y ont intérêt déclarent que, selon eux, tel ou tel thème a dominé pendant une campagne électorale. Qu’ils le veuillent ou non, d’autres considérations se glissent aussi dans le choix du public.
Le fait est qu’une élection n’est pas un référendum, justement, et l’expression «élection référendaire» n’a guère plus de sens que n’en aurait celle de «référendum électoral». L’élection terminée, peu importe comment on la qualifierait, il resterait toujours impossible d’attribuer avec justesse les suffrages exprimés à l’une en particulier des motivations en présence, la souveraineté dans le cas qui nous occupe, à l’exclusion des autres. Une incertitude qu’à coup sûr, et en l’amplifiant, les fédéralistes s’empresseraient d’exploiter au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.4
Des opposants à l’«étapisme» ont conclu des deux défaites du Oui que la consultation par référendum devait être proscrite. Les fédéraux, disent-ils, – bardés de leur Clarity Bill, se livrant à des orgies commanditaires, agitant leurs épouvantails coutumiers et pratiquant leurs trucs malhonnêtes – ne se gêneront pas pour intervenir dans tout futur référendum afin d’en influencer l’issue, voire la fausser. S’il s’agissait d’un référendum comme les deux précédents, il faudrait en effet craindre une récidive.
Mais comment les fédéraux réagiraient-ils lors d’une élection qui serait annoncée comme «référendaire» (ou «décisionnelle») et, à ce titre, supposée aussi déterminante pour l’avenir du Québec et du Canada que ne le serait un référendum ? S’ils intervenaient, rien n’aurait été gagné au change. On revivrait les scénarios attendus. Il est cependant bien plus probable qu’ils s’en désintéresseraient (benign neglect en anglais), précisément parce qu’une élection n’est que cela, une élection, et qu’elle ne peut pas, comme certains le voudraient, générer par son seul résultat une mutation des structures politiques Québec-Canada.
Quand on se parle à demi-mot, on se comprend à moitié. Aussi, les partisans de l’accession à la souveraineté par décision parlementaire pratiquent-ils un étrange silence. Jamais ils ne font la moindre allusion au véritable «avantage» qu’ils trouvent à cette méthode, par rapport au référendum. Leur retenue se comprend : ils devraient expliquer au grand public qu’un simple vote de députés permettrait, d’autorité croient-ils, de lancer le Québec sur la voie de la souveraineté, malgré l’opposition éventuelle d’une majorité de la population !5
Pour eux, discrets là-dessus, le référendum a le «gros défaut» de confier étourdiment à un électorat plus ou moins bien informé, et perméable aux arguments adverses, le soin de décider de l’avenir politique du Québec ! Jugeraient-ils préférable de résoudre cette question vitale d’une manière moins candidement démocratique ? Et seraient-ils eux-mêmes candides au point d’escompter y parvenir dans la sérénité, sans commotions, munis du seul vote de députés agissant sans appui populaire explicite ?6
On voit le tableau. Pas besoin d’être extra lucide pour deviner que toute tentative uniquement parlementaire d’accession du Québec à la souveraineté se solderait par une faillite, faute d’un soutien populaire solide, préalablement exprimé et vérifiable. De toute façon cette situation ne pourrait pas se produire : le PQ subirait la défaite électorale s’il laissait tomber la voie référendaire...
Plus de volonté politique ?
Des militants contrariés ou impatients se demandent parfois ce qui empêche le PQ – ou l’a empêché lorsqu’il était au pouvoir – de tout mettre en œuvre pour convaincre les Québécois encore hésitants de la nécessité d’acquérir leur souveraineté le plus rapidement possible. Selon eux, les responsables du parti et du gouvernement ne se seraient pas acquittés de ce devoir de persuasion avec assez d’entrain, de constance et de ressources. Par leur négligence à mettre en valeur les immenses possibilités offertes par la souveraineté, ils n’auraient pas suscité l’élan recherché. Pusillanimité de leur part, attitude velléitaire, absence de vision, occupations administratives accaparantes, rectitude politique ou préoccupations comptables ?, se sont-ils demandé. Ces critiques ont parfois été formulées comme des accusations.
Accusations largement imméritées quand on réfléchit aux conditions du combat afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté. L’engagement d’un parti et d’un gouvernement à mener un tel projet à bon port n’est pas assimilable à une banale promesse électorale, comme le serait la construction d’une route ou l’amélioration d’un programme social. Vouloir faire la souveraineté du Québec c’est s’en prendre à des réseaux historiques d’intérêts économico-politiques qui profitent de la perpétuation du statu quo. C’est s’attaquer à des establishments qui se sentent menacés et qui disposent d’appuis dans certains milieux inféodés de la société québécoise. C’est aussi vouloir renverser le «mur» dont on a parlé et disperser la masse d’inertie qu’il contient.
C’est dans la nature des choses qu’il en soit ainsi, au Québec comme ailleurs, dès lors qu’on veut entreprendre une transformation institutionnelle d’une aussi vaste ampleur que la souveraineté d’un peuple. Il est essentiel de garder à l’esprit cette dimension de la réalité dans l’évaluation rétrospective des faits. De la même manière, elle doit intervenir dans l’élaboration des approches originales auxquelles il importe de réfléchir pour l’avenir. Un résultat référendaire ne repose pas seulement sur la volonté et l’action du parti, du gouvernement et des responsables exerçant le pouvoir politique. Il naît surtout d’un mouvement de fond.
On peut penser que l’argumentaire bien documenté qui existe déjà sur la nécessité et les avantages de la souveraineté n’a pas été assez systématiquement utilisé, ni assez souvent. Peut-être, mais il a quand même servi depuis plus d’un tiers de siècle, avec intensité par moments, et a été adapté en fonction de l’évolution des faits.7 S’il n’a pas encore réussi à convaincre une majorité ferme de la population, c’est moins en raison de son contenu et du manque d’éloquence ou de l’inconstance des responsables péquistes qu’à cause des réticences identifiées plus haut et des conditions de l’action sur le terrain.
La souveraineté et rien d’autre ?
Dans l’opposition, le PQ devrait-il vouer l’essentiel de ses efforts à la critique du fédéralisme et à la promotion de la souveraineté ? Devrait-il répandre ce discours sur toutes les tribunes et dans tous les médias ? En somme, se livrer à une vaste et permanente campagne d’information et de sensibilisation, en se laissant le moins possible distraire de son projet politique par de triviales questions d’ordre provincial ou administratif ?
Le PQ doit évidemment diffuser son option, l’expliquer et la clarifier. Il n’est cependant pas acquis qu’une opération de persuasion aussi ciblée et pressante que celle dont on parle ici, serait suivie d’un impact positif assez marqué et durable sur l’opinion pour que, douteuse au départ, en émerge, et soit maintenue jusqu’après son accession au pouvoir, la possibilité réelle d’un référendum gagnant sur la souveraineté. Cette insistance, on le devine, risquerait d’irriter le public et de le retourner contre un parti si envoûté par sa préoccupation unique qu’il perdrait de vue celles du commun des mortels dont, pourtant, il sollicite l’appui.
Avec bon sens, l’électorat québécois tient à ce qu’un parti ambitionnant de devenir son gouvernement s’occupe en même temps de questions locales, régionales, provinciales, fédérales, nationales et même internationales dans la mesure où ces dernières affectent les précédentes. On voit mal comment le PQ pourrait se dispenser de cette «corvée» multidimentionnelle – et s’allier le public – en alléguant que sa mission historique, la souveraineté, commande toute son attention et son énergie, au détriment du reste. Le monde de la politique réelle ne fonctionne pas ainsi.
Malheureux, les Québécois ?
Le PQ devrait-il diffuser un message plus émotif ? Aucun doute là-dessus, mais s’il y a une part de rêve dans tout projet politique, elle ne justifierait pas des envolées lyriques peu crédibles, à la limite démagogiques et mensongères, sur la civilisation idéale et la société parfaite auxquelles, prétendrait-on, la souveraineté pourrait conduire. Celle-ci n’équivaudrait pas à une sorte d’entrée dans le paradis terrestre. Aucun pays n’est en mesure, bien qu’indépendant, de résoudre tous les problèmes et de répondre à toutes les aspirations de la société qui y vit. Quoique beaucoup mieux équipé pour corriger la réalité, grâce aux nouveaux pouvoirs dont il disposerait désormais, un Québec souverain n’échapperait pas plus qu’eux à ce genre de vicissitudes.
Les conditions objectives se prêtent également mal à un discours péquiste qui se voudrait si percutant qu’il convaincrait les Québécois que leur situation, comme peuple, s’apparente à celle des Irlandais des années 1900, des Arméniens de Turquie en 1915, des moujiks russes en 1917, des peones sud-américains, des Noirs sud-africains sous l’apartheid, des Tchétchènes, des Tibétains et de qui d’autres encore. Pour des raisons de crédibilité et par honnêteté, le PQ peut difficilement miser sur une victimisation contredite par les faits et, de là, inefficace comme argument. Ce discours serait d’autant moins pensable que les réformes de la Révolution tranquille et celles qui suivirent ont permis une reconquête économique appréciable, que la Loi 101, bien qu’affaiblie par la Cour suprême, a quand même changé le paysage linguistique du Québec et que plusieurs des nôtres s’illustrent partout sur la planète.
À leurs propres yeux et plus encore à ceux de l’extérieur, les Québécois n’ont jamais fait si pitié qu’ils pouvaient se considérer victimes d’un régime politique atroce et revendiquer le statut de cause humanitaire. Même aux périodes les plus difficiles de leur histoire, ils ne sont jamais. en majorité et en bloc. sentis si opprimés qu’il leur fallait, pour «rompre leurs chaînes», se rabattre sur des moyens extrêmes, sans se soucier des conséquences. N’ayant jamais désespéré, les Québécois n’ont jamais cru qu’ils n’avaient rien à perdre.
Plus troublant, toutefois, devant des agissements agressifs, blessants ou hostiles qui auraient soulevé bien d’autres peuples, les Québécois sont trop souvent restés passifs sur le plan de l’action, se contentant, pour se défouler, d’être véhéments en paroles...
Des gestes de souveraineté ?
On entend de temps à autre dire qu’un futur gouvernement du Parti québécois ne devrait pas hésiter à faire des «gestes de souveraineté». Bien. Mais de quoi parle-t-on ?
Ambiguë, l’expression peut provoquer des méprises sur les intentions réelles du parti, tant chez les militants que dans le public en général. Il n’y a rien à redire si elle signifie qu’un gouvernement péquiste renforcera la Loi 101, occupera tous les champs de compétence québécoise et contestera, par tous les moyens à sa disposition, l’intrusion fédérale dans les domaines qui ne relèvent pas d’Ottawa. Même chose s’il veut intervenir dans des secteurs où la répartition fédérale-provinciale des pouvoirs demeure floue. Ou encore, comme le drapeau en 1948, s’il donne au Québec un hymne national. Il exercerait simplement la plénitude de sa souveraineté relative à l’intérieur du régime fédéral. Quitte, bien entendu, à l’«étirer». Ce fut le cas pendant la Révolution tranquille pour des initiatives novatrices, par exemple l’instauration d’un régime de rentes ou la présence internationale du Québec. Il est également logique, même si des adversaires hypocrites jouent aux vierges offensées, qu’un gouvernement souverainiste fasse la promotion active de son option et qu’en prévision de sa réalisation, il prépare, dans la transparence, l’appareil administratif et législatif nécessaire.
Par contre, non seulement on change de registre, mais on se fait illusion si les «gestes» veulent signifier qu’un gouvernement du PQ pourrait, débordant les attributions présentes du Québec et avant un référendum réussi, se comporter comme si la souveraineté était déjà accomplie. Cela reviendrait à dire au public : «Votre appui à la souveraineté n’est pas acquis, mais, voyez-vous, on a décidé d’agir comme si vous étiez d’accord…». Avec quelles chances de succès ?
Imaginons qu’avant tout référendum, le PQ au pouvoir accomplisse le «geste de souveraineté» le plus souvent désigné, du moins à ma connaissance : il décrète que l’impôt personnel des Québécois sur le revenu sera dorénavant perçu par le gouvernement du Québec seul, et que, jusqu’au changement de statut du Québec, il en versera à Ottawa une part raisonnable. Probabilité de réussite du «geste» ? Nulle. Ottawa détient depuis 1867 un pouvoir général de taxation qu’aucune loi de la province de Québec ne peut en pratique abolir. L’impôt sur le revenu de la plupart des citoyens étant perçu à la source, comment forcer ces citoyens, leurs employeurs aussi, à plonger dans l’illégalité en refusant, désobéissance civile, de remettre au gouvernement fédéral les recettes fiscales auxquelles il a droit ? Et, à supposer que l’opération puisse être lancée, comment empêcher le gouvernement fédéral de rétorquer, illégalement à son tour, en réduisant les transferts financiers dus au Québec ?
Comme quoi la distance peut être grande entre une envolée oratoire (récupérer tous nos impôts) et les contraintes auxquelles se heurterait son application.
Même chose si le Québec-province entreprenait de mettre sur pied sa propre armée et de pratiquer sa propre politique de défense. Ou pour toute autre initiative comparable. Échec garanti. Pour peu que les mots aient un sens, les vrais «gestes de souveraineté» ne peuvent être le fait que de vrais États souverains. À raisonner autrement, on se raconte des histoires et, pour se soustraire à l’«étapisme», on verse dans l’utopisme.8
La rupture libératrice ?
A aussi circulé la notion d’une rupture complète, brutale même, avec le Canada, qui prendrait figure d’amorce nécessaire pour la suite des choses. De passage obligé. Selon certains, il serait impossible de «libérer» le Québec autrement qu’en le soumettant à un choc vif, à une secousse qui serait, présument-ils, génératrice d’une prise de conscience sans précédent et source d’énergies collectivement salutaires.
Nuance. Il y a rupture-brisure et rupture-détachement.9 On peut, dans le Québec de maintenant, dire et faire des choses impensables il y a une ou deux générations, et des gestes qui seraient mal reçus aujourd’hui seront peut-être bien accueillis demain. Mais il y aura à coup sûr toujours des actions – notamment la rupture-brisure Québec-Canada, cette perturbation dite créatrice que certains espèrent ou ont l’air de prôner – auxquelles la majorité des Québécois resteront très longtemps encore, sinon toujours, réfractaires (à moins d’un événement si révoltant à sa face même qu’on peut tenir pour acquis que les partisans du statu quo feront tout leur possible pour l’éviter).
S’il fallait en arriver là, l’indépendance du Québec par rupture-brisure, c’est-à-dire par déclaration unilatérale, ne sera jamais une simple formalité juridique. Sa validité, morale si l’on peut dire, dépendrait d’abord d’une exigence préalable, à la fois élémentaire et absolue : la volonté majoritaire des Québécois. Sa concrétisation heureuse reposerait aussi sur la réussite de ce qu’on appelle la succession d’État, notamment le transfert ordonné des compétences et des dossiers administratifs d’Ottawa vers le Québec, sans désagrément pour les citoyens.
Quoique nécessaires, ces conditions pourraient ne pas être suffisantes pour garantir la reconnaissance internationale du Québec. Les autres pays ont des bons rapports avec le Canada et aucun n’a intérêt économique ou géostratégique à l’accession du Québec à la souveraineté. Ils font leurs calculs. On peut soupçonner que, sous la pression du gouvernement fédéral et pour réserver leur jugement ou s’esquiver, ces pays seraient fort aise d’invoquer, le cas échéant, un alibi commode : les alternatives à la rupture Québec-Canada n’ont pas toutes été explorées. (J’anticipe : cette échappatoire disparaîtrait si Ottawa en venait à rejeter une proposition comme celle de la Partie IV. Tout, alors, aurait été tenté.)
Alors, quoi ?
Pressentir les limites et les risques des propositions examinées dans les pages précédentes, en prendre acte, ce n’est ni baisser les bras ni abandonner le combat. C’est mesurer les difficultés de parcours afin d’éviter les embranchements qui feraient s’engager la lutte sur le terrain de prédilection des adversaires. C’est, en fonction de l’hypothèse étudiée ici, amorcer la réflexion sur les manières de contourner le mur psycho-politique décrit plus haut et de faire avancer le Québec.
Revenues dans l’actualité après le référendum de 1995, plusieurs de ces suggestions ont été mises de l’avant dans la foulée de la première défaite référendaire, celle de 1980. À quoi devait-on attribuer ce revers ? À la question posée, jugée obscure, trop longue ou trop molle, comme je l’ai déjà rappelé ? À la tenue tardive de la consultation ? À une promotion trop peu vibrante de la souveraineté ? Au fait qu’on avait procédé par référendum plutôt que par un vote de l’Assemblée nationale ? Ainsi de suite. Cette ligne de pensée influença grandement les réflexions ultérieures de bien des militants péquistes.
Curieusement, a été oubliée l’explication probablement la plus exacte : en 1980 les Québécois ont voté Non parce qu’au fond, et pour diverses raisons, ils n’étaient pas majoritairement d’accord avec l’orientation politique choisie par leur gouvernement dont, par ailleurs, ils appréciaient la performance et qu’ils aimaient. La défaite du Oui se trouvait en germe dans l’opinion des citoyens, bien avant le référendum. Phénomène similaire en 1995, même si l’accent mis sur la notion positive d’un nouveau partenariat Québec-Canada permit, malgré les manœuvres fédérales déshonnêtes, un résultat genre victoire morale. Victoire morale, mais bilan politique inquiétant qui subsiste dans l’imaginaire populaire : deux référendums perdus sur le même enjeu. Rien là qui pousse à vouloir revivre l’expérience. La «peur de perdre»10 s’est installée. On se dit que, s’il faut continuer – et il le faut – on devra penser à autre chose.
Pourtant, ces dernières années au sein du Parti québécois à peu près personne n’a proposé l’abandon de la souveraineté comme objectif. Avec raison. Ç’aurait été réagir à courte vue, contre des obstacles difficiles à surmonter, mais dont aucun n’interdit pour toujours l’avènement d’un Québec souverain. L’avenir dure longtemps, et l’univers politique évolue plus vite que l’univers physique.
Mais qu’en est-il pour le futur moins éloigné ? Si, comme on peut le supposer, les sondages reflètent bien les courants de l’opinion, la remise en branle d’une campagne référendaire comme celles de 1980 et de 1995, aboutirait à un résultat qu’on regretterait amèrement. Pensons aussi, sans l’ombre d’un doute, que les fédéralistes recycleraient des «arguments» récupérés de leur arsenal traditionnel.
Quel arsenal ? Inventaire :
• La majorité référendaire requise pour songer à réaliser la souveraineté (50%+1, 55%, 60%, 75%., 90%...?).
• Les interrogations sur les frontières futures d’un Québec souverain (perdrait-il l’Ungava, le fleuve Saint-Laurent ?)
• Le sort des Québécois allophones (qu’arriverait-il d’eux ?) et celui des francophones hors‑Québec (qui disparaîtraient encore plus vite, affirmeraient les fédéralistes, comme si le reste du Canada les considéraient tels des otages sur lesquels se venger.).
• La partition du territoire québécois (sous la pression d’anglophones, allophones et autochtones, encouragés en ce sens par l’opinion canadienne-anglaise et peut-être par d’autres gouvernements).
• La perte de la péréquation, interprétée comme une générosité du Canada envers un Québec démuni.
• L’attitude des USA peu favorables au démembrement du Canada et à l’irruption, dans leur sphère d’influence, d’un nouveau pays à l’idéologie non conformiste.
• L’inexistence d’appuis extérieurs à la souveraineté.
• L’avenir problématique (soi-disant) du libre-échange.
• Les représailles d’opposants qui n’accepteraient pas de voir «partir» le Québec sans l’en punir.
• Les perturbations à prévoir pendant la période de transition entre Québec-province et Québec-pays, dans les rapports économiques, commerciaux et financiers avec le reste du Canada et l’extérieur, d’où impacts funestes sur le niveau d’emploi et de vie.
• Les revirements de l’opinion publique québécoise qui en viendrait peut-être, ou qu’on amènerait, à regretter après coup l’accession à la souveraineté.
• Ainsi de suite. C’est-à-dire toutes les questions imaginables sur la monnaie, le passeport, les douanes, le pétrole de l’Alberta, la citoyenneté canadienne, les versements et subventions d’Ottawa aux individus et aux organismes, le partage de la dette fédérale, le statut des fonctionnaires fédéraux au Québec, l’état des finances publiques dans x années, et n’importe quoi d’autre.
Trente ans après le premier référendum et quinze après le second, bien des citoyens ont oublié ces épouvantails. On les leur rappelleraient. Aux plus jeunes qui n’en ont pas encore entendu parler, ils paraîtraient nouveaux. Et les Québécois qui se souviennent des consultations de 1980 et de 1995 n’en ont pas conservé un souvenir réjouissant. Dans la conjoncture prévisible, auraient-ils le goût de voir leurs élus reprendre les mêmes débats sur les mêmes sujets et dans les mêmes termes qu’à l’époque ? Indice révélateur : la notion même qu’il pourrait – peut-être – y avoir un autre référendum là-dessus advenant l’élection du PQ en est venue à hérisser une bonne partie de l’électorat.
Chose sûre, tout débat de style 1980 ou 1995 ferait de nouveau surgir les interrogations vicieuses dont les adversaires sont coutumiers, accompagnées de scénarios calamiteux et supportées par les pratiques déshonorantes qu’on sait. Il se déroulerait sur le terrain piégé où est érigé, soutenu par les tendances lourdes déjà notées, le mur qu’il est pour le moment impératif d’éviter si l’on tient à ce que, les circonstances évoluant, le Québec finisse par se réaliser pleinement comme nation.
Je ne prétends pas du tout que ce mur ne s’effritera jamais. Par leur militantisme ferme et soutenu, l’approfondissement de leur option et le raffinement de leur argumentation, les souverainistes continueront à faire évoluer les mentalités. L’allure des choses changera. Mais pas demain. À court et moyen terme, le mur continuera à faire obstacle à un certain type d’action.
Pourquoi, alors, ne pas à passer à côté ? Après tout, il n’entre pas dans le destin inéluctable du PQ d’aller se fracasser sur ce fameux mur parce que, croirait-on, la loyauté à son objectif lui interdirait, sur le terrain, le choix des moyens. Qu’est-ce qui l’empêcherait de mettre au point une approche valable pour l’immédiat, qui, sans contredire la souveraineté, ne viserait pas sa réalisation prochaine ? Non qu’il l’abandonnerait, mais parce qu’elle serait pour l’instant hors de portée.
Beaucoup plus qu’autrefois, c’est dorénavant le temps qui cause problème. Combien en faudrait-il pour réussir l’infléchissement souhaité de l’opinion en faveur de la souveraineté ? Des années, à défaut d’un événement extraordinaire qui modifierait soudain la donne esquissée dans notre tour d’horizon ? En tout cas assez, dans l’intervalle, pour qu’atteignent leur but, sans entrave, les «règles du jeu» que les apôtres du statu quo et du multiculturalisme canadian ont eux-mêmes inventées et imposées au Québec.
C’est ce qu’il faut empêcher. Pas en délaissant la voie référendaire, mais en l’utilisant d’une autre façon. Pour sortir le Québec de l’impasse en créant une nouvelle dynamique.
Le PQ a compris qu’il ne pouvait pas rester confiné dans une approche décalée face à l’action qui s’impose. Il aurait à toutes fins utiles renoncé à intervenir sur le terrain, laissant à d’autres le champ libre pour miner l’identité québécoise, pourtant à l’origine de sa raison d’être, et façonner le Québec à leur manière. C’est pourquoi, pour s’ajuster aux exigences de la conjoncture, il a déjà, entre autres, mis deux pistes de l’avant : recourir à des référendums sectoriels en vue de «rapatrier» vers le Québec des pouvoirs présentement exercés par le gouvernement central et concevoir une Constitution pour le Québec.
Des référendums sectoriels
En juin dernier, devant la Conférence des présidents et présidentes des associations de comté du Parti québécois, Mme Pauline Marois a présenté un plan d’action à être soumis au congrès du parti prévu pour le printemps 2011. Il contient plusieurs propositions dont une porte sur des transferts successifs de pouvoirs d’Ottawa vers le Québec. À cette fin, un gouvernement du PQ verrait à obtenir l’appui de la population par voie référendaire.
Cette approche, déjà acceptée à l’unanimité lors de la Conférence de 2009, représentait un effort d’adaptation. Elle équivalait à reconnaître qu’un référendum gagnant sur la souveraineté n’était pas possible à court ou moyen terme et dégageait le parti de l’obligation de tenir une consultation sur ce sujet à un moment déterminé d’avance.11
Tout à fait indiqués, je le souligne, pour débloquer des litiges particuliers, on ne peut cependant pas compter sur des référendums sectoriels pour transformer, à l’avantage du Québec, la tendance globale du fédéralisme canadien. Chacun ne concernant qu’une compétence constitutionnelle à la fois, il en faudrait plusieurs, tous positifs et suivis de négociations réussies, pour provoquer à la longue un impact sensible sur le fonctionnement du régime. Comme il serait inadmissible de multiplier les référendums à l’intérieur d’un même mandat, le processus devrait s’échelonner sur des années, en fonction d’événements aléatoires dont il n’est pas a priori acquis que la gravité nécessiterait chaque fois une consultation populaire absorbante et coûteuse. Ce processus supposerait aussi que tout éventuel gain partiel réalisé par le Québec en cours de route serait «fatalement» suivi de nouvelles réclamations, tant et aussi longtemps que la souveraineté ne serait pas réalisée. Une sorte de Longue marche peu attrayante pour les fédéralistes qui n’ont pas envie de bouger, mais guère invitante pour les souverainistes pressés…
Portant sur des transferts de compétences et/ou de ressources, chaque référendum sectoriel donnerait lieu à des débats sur la pertinence du transfert discuté, aussi bien que sur l’aptitude comparative d’Ottawa ou du Québec à assumer la juridiction en cause. De là jailliraient ces assommantes argumentations juridiques ou techniques aptes à ravir les spécialistes, mais qui, abstraites à ses yeux, ont de tout temps tôt fait de lasser le public. On serait amené à discuter de structures étatiques, de l’ampleur des bureaucraties et des budgets en cause. Thèmes austères qui, loin de ses préoccupations quotidiennes, ne réserveraient rien de passionnant pour la population, situation qui pourrait réduire la participation à la consultation et priver le gouvernement du rapport de forces recherché.
Il y a également ceci. Supposons qu’un référendum réussi a eu lieu sur, disons, le «rapatriement» au Québec de pouvoirs actuellement exercés par Ottawa en culture et en communications. Supposons aussi qu’Ottawa consente au transfert. Quelle forme prendrait-il ? Entente administrative ou modification à la Constitution canadienne ? Révocable par nature, la première représenterait un bien chétif résultat pour une démarche aussi élaborée qu’un référendum. Quant à l’amendement constitutionnel, il exigerait une procédure complexe parsemée d’écueils. Cela pour une seule compétence. Procédure qu’il faudrait reprendre pour tout «rapatriement» ultérieur.
La voie «sectorielle» ne tient pas non plus assez compte de l’évolution des perceptions. Sur des questions qui ont longtemps été capitales, et qui le sont encore, les Québécois ne raisonnent plus et ne réagissent plus aujourd’hui comme pendant la Révolution tranquille ou dans les années 1970. Si bien que les conflits et frictions avec Ottawa que laisse présager cette voie risquent d’être vus par le public moins comme la conséquence normale d’initiatives destinées à consolider le Québec en accroissant ses compétences, que comme le résultat de contestations plus ou moins artificielles. Les tenants du statu quo, forts de l’écho que leur réserveraient des médias importants, s’empresseraient d’y déceler une volonté systématique de provocation. Nous en sommes malheureusement à une époque où le seul fait d’exiger le respect des compétences du Québec s’est muté en synonyme de «chicane», surtout quand c’est le Parti québécois qui le réclame. À cause des échecs référendaires de 1980 et de 1995 et de l’indolence du gouvernement Charest qui voit la résignation comme une vertu civique, le débat fédéral-provincial a fini par être perçu comme une source automatique de mésententes politiques susceptibles de nuire au bien-être collectif. Donc à écarter. Cette vision réductrice et stérilisante de la question nationale, sédimentée dans l’inconscient populaire, est maintenant intériorisée par une portion non négligeable de l’électorat et par beaucoup de commentateurs. Elle est devenue un préjugé, une idée reçue et, pour d’aucuns, presque un dogme. Comme les «lois du marché».
Il n’en reste pas moins que le combat pour la sauvegarde de l’«autonomie provinciale» date du début de la fédération canadienne. Il a longtemps porté chez nous sur la défense de ce qu’on appelait les «droits du Québec». On croyait alors que la Constitution de 1867 garantissait le maintien intégral des compétences relevant des provinces. Tel ne fut pas le cas, l’histoire l’a prouvé, de sorte qu’avec la Révolution tranquille et face aux initiatives et intrusions fédérales de plus en plus nombreuses après la Deuxième guerre mondiale, ce combat a débordé la seule préservation de l’acquis et a mené à des réclamations visant le «rapatriement» de pouvoirs et de ressources d’Ottawa vers le Québec. D’intensité variable selon les périodes, il dure, et le Québec n’a pas d’autre choix que de le poursuivre pour contrer, en ce qui le concerne, le nation building toujours en chantier à Ottawa et qui fut spécialement à l’origine du coup de force constitutionnel de 1982 sur lequel je reviendrai.
Dans une perspective historique, l’idée de récupérer ou d’acquérir des pouvoirs, surtout par une méthode aussi démocratique que des référendums sectoriels, est donc éminemment justifiable. Le problème est que, si la nécessité s’impose toujours de sauvegarder les attributions du Québec12 et, à terme de les accroître, les conditions présentes de l’action atténuent pour l’immédiat les espoirs à attendre d’éventuels transferts de pouvoirs. Crise financière obligeant, les gouvernements se sont endettés comme rarement auparavant. Au cours des prochaines années, ils ne pourront plus se lancer dans des initiatives sociales spectaculaires et coûteuses. Ils seront au contraire acculés à des choix ardus, y compris des hausses de tarifs et des restrictions budgétaires. Il y a ainsi peu de chances que le public soit enclin à accorder beaucoup de crédibilité à un parti qui promettrait, avec tel ou tel nouveau pouvoir, de réaliser sans tarder des réformes spectaculaires et d’instituer des programmes gouvernementaux originaux.
Panorama peu enthousiasmant ? Exact. Au lieu, donc, de s’en tenir à la seule voie contingente et forcément lente des référendums sectoriels successifs (plusieurs mandats électoraux), pourquoi ne pas s’orienter aussi vers un objectif qui aurait un rapport plus immédiatement perceptible avec la racine du problème Canada-Québec ? Vers un but plus ambitieux, plus mobilisateur, plus porteur ? Qui ferait appel autant au cœur qu’à la raison ? Et qui, ces temps-ci, rejoindraient les Québécois ? On en reparle plus loin.
Une Constitution pour le Québec
Dans un projet de loi de 2007, l’Opposition péquiste a manifesté l’importance qu’elle accorde à la définition de la citoyenneté québécoise et à la rédaction d’une Constitution pour le Québec.
Je m’en tiendrai ici à cette Constitution, évoquée depuis plus d’une quarantaine d’années. Sa portée, pour le présent et l’avenir, saute aux yeux13. Elle tracerait le cadre politique et stipulerait les règles de la société dans laquelle nous voulons vivre. Clarification nécessaire à laquelle, pour bien des raisons, on n’a pas jusqu’ici assez porté attention.
Le plus simple serait sans doute d’en confier la conception et la rédaction à une commission parlementaire aidée d’experts et ouverte aux apports du public. Ou encore à une commission genre Bélanger-Campeau, qui soumettrait le résultat de ses travaux à l’Assemblée nationale.
Certains ont avancé l’idée que cette tâche sans précédent devrait être assumée par une Assemblée constituante (ou des États généraux) dont les membres seraient choisis lors d’une sorte d’élection. Un pensez-y bien ! Ce mode de sélection risquerait d’intéresser moins le public en général, que des activistes soucieux de sauter sur l’aubaine pour promouvoir des projets «généreux» ou d’«avant-garde» inapplicables, ou des causes particulières. Le cas échéant, l’exercice aurait des chances de se transformer en arène de lutte pour groupes de pression ou idéologues opiniâtres. Leur tentation serait grande de raisonner dans un absolu où, au sein d’un forum médiatisé, le souhaitable se transforme en indispensable et où des idéaux inconciliables, assaisonnés d’ambitions corporatistes incompatibles, auraient beau jeu pour se heurter «démocratiquement». Avec issue cacophonique à l’avenant.
S’agirait-il de la Constitution d’un Québec-province ou de celle d’un Québec souverain ? La première ne changerait pas le fait que les pouvoirs du Québec resteraient largement balisés par l’actuelle Constitution canadienne, mais il ne faudrait pas pour autant en rejeter l’idée. Dans l’état actuel des choses et si limitée soit-elle dans sa portée, même la Constitution d’un Québec-province serait essentielle pour nous affirmer comme nation, confirmer le français comme langue nationale du Québec, définir nos droits et devoirs comme citoyens, ainsi que la forme de nos institutions et les pouvoirs de notre gouvernement. Elle proclamerait en particulier, avec la solennité requise, l’idée-force qu’en ses mots à lui Robert Bourassa exprimait le 22 juin 1990, après l’échec de l’Accord du Lac Meech : «Le Québec est aujourd’hui et pour toujours une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement». Le débat politique aidant, l’expression claire de cette volonté ne serait pas sans effet ultérieur sur la dynamique canado-québécoise. (Je tiens à faire remarquer dès maintenant que ce projet de Constitution pourrait très bien s’arrimer à la proposition suggérée dans la Partie IV.)
Quant à la seconde, elle ferait partie du processus instaurant la souveraineté. Approuvée par sa majorité parlementaire, un gouvernement du Parti québécois pourrait-il la mettre immédiatement en vigueur pour remplacer la Constitution canadienne ? Non. Le geste équivaudrait à une déclaration unilatérale d’indépendance, notifiée sans l’assentiment explicite de la population intéressée et, du fait, irrecevable pour un changement aussi majeur, tant au Québec que dans le reste du Canada et auprès des autres pays démocratiques.
Avant toute action, la Constitution d’un Québec souverain devrait donc faire l’objet d’un référendum, voie qui est précisément celle proposée par des militants peu désireux de revivre les expériences déprimantes du passé. Les partisans du Oui disposeraient d’un argumentaire enrichi qui présenterait l’avenir politique du Québec sous un jour nouveau. Comme enjeu, cette Constitution donnerait lieu à un débat différent de ceux des consultations précédentes (1980 et 1995). Texte de référence et thème de réflexion, elle permettrait, mieux que jamais de «visualiser» à quoi ressemblerait un Québec souverain. Elle en ferait ressortir des aspects positifs peu perçus jusqu’ici, répondrait à bien des questions et réfuterait maintes objections.
Contrairement à une réédition de la problématique mise de l’avant en 1980 et 1995, cette piste pourrait être stimulante en raison de son contenu différent.
Le mieux serait sans doute une Constitution québécoise qui, comme projet, conviendrait à la fois aux souverainistes et aux fédéralistes. Elle tiendrait compte du présent, sans fermer les portes de l’avenir. On y trouverait des dispositions applicables dans un Québec-province et d’autres qui exigeraient la souveraineté. Ces dernières seraient suspensives, en ce sens qu’il appartiendrait à la population d’en décider ?14
Reste que demander au public d’approuver la Constitution d’un Québec souverain (ou les dispositions constitutionnelles qui y conduiraient) reviendrait à lui demander de se prononcer sur la souveraineté. Il n’est pas exclu – ça se saurait sûrement d’avance – que l’état de l’opinion annonce malgré tout un Non à cette Constitution.
Alors il faudrait affronter la question qui apparaît dès le deuxième paragraphe de ce document : Que faire si un référendum gagnant sur la souveraineté n’était pas possible ?
À cause des circonstances actuelles dont il est primordial de tenir compte, le Parti québécois a donc eu raison d’entreprendre une révision de sa démarche. Celle retenue en juin 2009 et 2010 n’est encore qu’une esquisse à laquelle le congrès de 2011 donnera sa forme finale. D’ici là d’autres idées surgiront, des précisions viendront. Ainsi que des propositions nouvelles. La mienne, par exemple.
Elle est précédée d’une mise en situation. Un flashback, si l’on veut. Quelques pages essentielles pour se rafraîchir la mémoire.
Au commencement était…
Sans l’existence d’un Nous fondateur, persistant et devenu plus ouvert d’une génération à l’autre, il n’y aurait au Québec ni sentiment d’appartenance, ni volonté autonomiste, ni aspiration souverainiste. N’existerait pas non plus cette identité québécoise, à la fois cause et conséquence du fait que le Québec forme une nation construite sur une histoire, une langue, une culture, un territoire et des institutions qui lui sont propres. Sans le Nous initial de langue française et ces citoyens, de toute origine, qui s’y sont déjà joints et s’y intègrent encore, le Québec serait une province ordinaire. Il n’y aurait pas et il n’y aurait jamais eu de problème Québec-Canada. On ne se serait jamais interrogé sur la place faite au Québec dans l’ensemble fédéral. Et, par la force des choses, tant et aussi longtemps que le Nous fera partie de cet ensemble, la question nationale continuera de se poser au Québec.
Qui plus est, de tous les États de l’Amérique du Nord le Québec est le seul à devoir assumer, par ses lois, ses actions et ses institutions, la responsabilité de préserver et de promouvoir la spécificité d'une société à 80% de langue française qui, pour cette raison notamment, se distingue de la population nord-américaine presque totalement de langue anglaise, quarante-six fois plus nombreuse, qui l’entoure.
Cette donnée, conjuguée à leur identité distincte, a influencé les Québécois depuis des générations. Nous nous sommes toujours, comme peuple, souciés de la sauvegarde et de l’affirmation de notre personnalité nationale. L’une et l’autre ont pris, chez nous, figure de valeurs essentielles. Elles ont fait et font encore consensus dans la population en général et chez la plupart de ses responsables politiques.15
La préoccupation identitaire a été si présente, si manifeste dans notre société, qu’on doit la classer parmi les tendances lourdes qui la caractérisent. Mais, contrairement aux autres dont j’ai fait état dans les premières pages de ce texte, elle est positive et source de dynamisme, plus puissante et mieux enracinée qu’elles dans notre peuple. Elle offre une base solide pour construire l’approche originale capable de mettre fin à une situation injustifiable dont la responsabilité incombe au gouvernement Trudeau des années 1980.
Situation injustifiable ? Interrogation qui m’amène à rappeler des faits historico-politiques pertinents.
La résilience québécoise
C’est connu, les aspirations nationales québécoises n’ont jamais cadré avec la conception du fédéralisme qui fut de tout temps dominante à Ottawa et dans le reste du Canada. Dès le début, il y eut mésentente sur la signification du régime instauré en 1867. Pour les Canadiens français, il devait garantir l’autonomie du Québec dans les domaines qu’ils considéraient vitaux, le mot Confédération (utilisé improprement) en faisant foi. Pour les Canadiens anglais, le régime institué alors avait pour buts la mise en place d’un gouvernement central fort, l’expansion vers l’Ouest (aussi convoité par les Américains) et la création d’une nouvelle nation coast to coast de culture et de traditions britanniques.
De là les mesures centralisatrices successives du gouvernement fédéral. Enrobées de justifications ponctuelles «honorables», elles permirent, d’une génération à l’autre et en dépit des objections du Québec, le nation-building pancanadien voulu par la majorité anglophone qui entendait bien réaliser un pays à son goût. Un pays dont le Québec serait, à terme, une province comme les autres. Idéalement, une subdivision administrative régionale, docile même.
Comme caution, il se trouva toujours à Ottawa, dans les partis fédéraux, des élus québécois pour appuyer cette orientation. Aux yeux d’ambitieux et d’arrivistes, en qui une postérité indulgente crut découvrir des visionnaires, et dans la perspective étroite de politiciens sincères peu au fait de ce qui se tramait, la National Unity était si primordiale qu’elle devait se réaliser même aux dépens de l’intégrité politique de leur province d’origine.
Toutefois, avec ses hauts et ses bas, le réflexe autonomiste du Québec se maintint au fil du temps. Si bien qu’il en vint à prendre une vigueur insoupçonnée pendant la Révolution tranquille. Et, pour faire court, que le Parti québécois accéda au pouvoir en 1976.
Ainsi, même en s’y évertuant, Ottawa et le reste du Canada n’avaient toujours pas réussi, malgré tous leurs efforts jusque-là, à «formater» le régime au point que le Québec, enfin impuissant ou résigné, n’aurait pas eu d’autre choix que la soumission à la conception canadian du fédéralisme.
Mais voilà que, pour les champions du régime, survint une occasion propice – en fait, une occasion fabriquée – de cristalliser leur plan dans la Constitution.
Coup de force…
Tirant au maximum profit du résultat référendaire de 1980, le premier ministre Trudeau et, par la suite, plusieurs de ses alliés du Canada anglais se comportèrent comme si les Québécois avaient non seulement rejeté la proposition de leur gouvernement, mais, du fait même, opté pour son contraire : la vision canadian du fédéralisme !
Fort de cette interprétation fallacieuse subtilement diffusée à travers le Canada anglais, le gouvernement fédéral d’alors, après des péripéties qui s’étendirent sur dix-huit mois, parvint à son but malgré l’opposition constante du Québec et celle, circonstancielle, de provinces qui avaient leurs raisons à elles de redouter certaines intentions d’Ottawa. Ralliant finalement ces provinces un moment récalcitrantes, les fédéraux réussirent à faire insérer dans la Constitution du Canada des dispositions dont l’esprit et les buts contredisaient totalement ce que beaucoup de Québécois avaient de bonne foi compris des engagements du premier ministre Trudeau en échange d’un Non au référendum.16 Un mensonge aux conséquences aussi efficaces sur le coup, que monumentales à terme.
En gros, voilà en quoi consista l’opération «rapatriement de la Constitution». Une appellation qui occulte le fait qu’en bout de ligne, à l’encontre de la seule province de langue française du Canada, le gouvernement central et neuf provinces anglophones firent approuver par le Parlement britannique les changements qui leur convenaient à la loi fondamentale du pays, le tout fondé sur la promotion du multiculturalisme et assorti d’une réduction des compétences de l’Assemblée nationale du Québec en matière linguistique. Beaucoup de fédéralistes québécois, dont la plupart des libéraux de Claude Ryan, s’insurgèrent contre ce résultat aussi illégitime qu’abusif.
Le contentieux historique Québec-Canada n’avait en rien été résolu, mais au contraire aggravé. Depuis lors, le gouvernement Lévesque et tous ses successeurs refusèrent de ratifier la transformation constitutionnelle unilatérale qu’Ottawa et ses alliés avaient concoctée. Cette situation aberrante dure depuis plus d’un quart de siècle.
Toutefois, c’est souvent le cas en politique, des développements se sont produits par la suite. Les auteurs du coup de force de 1980-1981 ne s’y attendaient certainement pas.
… et pots cassés
L’isolement cyniquement planifié du Québec; le refus global de ses réclamations historiques concernant la répartition des compétences; le traitement cavalier, voire méprisant, dont il avait été l’objet : tout cela finit par créer un malaise.
Les libéraux fédéraux et quelques-uns de leurs alliés essayèrent pendant un certain temps d’accréditer l’idée que les grands coupables de la tournure des événements étaient les politiciens «séparatistes» du Québec (en clair, Lévesque et moi) qui n’avaient pas voulu ou pas su négocier. Mais cette dérobade tenait si mal la route qu’en 1987, après l’élection du parti conservateur de Brian Mulroney et sur l’insistance du gouvernement Bourassa élu deux ans plus tôt, le gouvernement fédéral et les neuf autres provinces crurent opportun de tenter un geste pour réparer le tort causé au Québec.
Naquit alors ce qu’on a appelé l’Accord du Lac Meech. Entre autres dispositions, il reconnaissait que le Québec formait une «société distincte», mais prenait soin de préciser que ce constat ne devait avoir aucune retombée réelle sur le partage des compétences constitutionnelles. On faisait au Québec une fleur verbale, mais, en pratique, il restait cantonné dans son statut de province comme les autres.
Pour entrer en vigueur, l’Accord devait être approuvé par tous les gouvernements. Ce ne fut pas le cas. Pour des raisons trop longues à relater ici, il devint caduc en 1990. Les négociations reprirent pour un nouvel accord, dit de Charlottetown. On ajouta des dispositions plaisant à telle ou telle province, ce qui relativisa le dossier du Québec. Pour ne pas indisposer trop de politiciens du Canada anglais, on prit soin de confirmer le symbolisme de la clause sur la «société distincte». Ce nouvel accord fut rejeté en 1992 à l’occasion d’un référendum pancanadien. Le Canada anglais l’estima trop généreux envers le Québec qui, lui, le jugea au contraire insatisfaisant.
C’est là que nous en sommes aujourd’hui. La dynamique constitutionnelle perverse issue du coup de force trudeauiste de 1980-1981 perdure. Mais, à deux «détails» près, l’un aux effets immédiats, l’autre qui peut très bien intervenir dans la suite des choses.
Premier «détail». L’épisode Meech eut une séquelle spectaculaire : la création, au début des années 1990, du Bloc québécois. Sa présence et son action à Ottawa ont transformé la vie politique canadienne. Les astucieux et confiants stratèges fédéraux (et libéraux) de 1980 n’auraient jamais pu prévoir qu’en raison de leur comportement arrogant et mensonger le Parti libéral fédéral naguère si puissant deviendrait, au Québec, presque un tiers parti. À cause du Bloc.17
Deuxième «détail», moins connu. Les accords Meech et Charlottetown ont produit un développement, inattendu lui aussi. Ils ont introduit dans le débat Canada-Québec un élément au potentiel considérable.
Quel élément ? Quel potentiel ? Et en quoi serait-il considérable ?
De l’eau au moulin
Bien que les politiciens du temps l’interprétaient dans un sens nullement contraignant, ils ont quand même, pour la première fois de notre histoire, inscrit dans des textes constitutionnels canadiens la notion selon laquelle le Québec forme une «société distincte», précision qui référait nécessairement à une réalité patente, la spécificité du Québec. Nonobstant le sort ultérieur de ces textes, ils avaient ainsi pris acte d’un fait : l’existence d’une identité nationale québécoise. En plus, ils précisaient que «la législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec».
Latent, le problème Québec-Canada refit surface des années plus tard. En 2006, l’Assemblée nationale affirma, par résolution unanime, que le Québec constituait une nation. Les pressions du Bloc québécois à Ottawa amenèrent ensuite les conservateurs fédéraux à faire eux aussi voter leur propre résolution sur le même thème par la Chambre des Communes. Sur le même thème, en ce sens qu’on ne parlait plus seulement de la «société distincte» comme en 1987, mais de la nation formée par les Québécois. Calculateurs, les conservateurs entourèrent toutefois leur résolution de nuances sémantiques pour la neutraliser d’avance en l’empêchant de mener à des effets tangibles.
Qu’importe. De cet épisode, il convient de retenir ceci : le vote largement majoritaire des députés fédéraux en faveur de la «nation québécoise» aurait été inexplicable, invraisemblable même, si ladite nation n’avait pas existé. Une évidence pour les uns, un aveu timide pour les autres, mais dans les deux cas un événement mémorable dont il s’impose maintenant de tirer les conséquences.
Cet événement a émergé du contexte politique des dernières années. Il s’inscrit, en la dépassant, dans la trame de Meech. Devenu un fait de l’histoire récente, il s’offre désormais comme tremplin vers le but qui en découle en droite ligne et qu’en toute logique il invite à atteindre : la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise.
Car la prise de position des députés à Ottawa sur la nation québécoise et celle, antérieure, de l’Assemblée nationale n’avaient rien de frivole. Elles doivent être traitées avec sérieux. En se prononçant comme ils l’ont fait, les élus ne parlaient sûrement pas pour ne rien dire. Leur geste a une signification et suggère un contenu. Tous ne l’ont peut-être pas pressenti, mais ils ont d’avance légitimé et validé l’objectif qu’il s’agit désormais de traduire dans les faits.
Un objectif évident18 De la réalité constatée par Meech et Charlottetown, et confirmée par les résolutions subséquentes d’Ottawa et de Québec, il s’ensuit en toute cohérence et par respect pour cette réalité, que la Constitution, loi fondamentale du Canada, doit notamment : • reconnaître formellement la nation québécoise (pas question d’une mention cosmétique, le Québec serait désormais considéré non comme province, mais comme patrie d’un peuple); • énoncer que cette reconnaissance a pour but de créer un nouveau rapport Québec-Canada, plus constructif; • prescrire qu’elle doit, en cas de litige, orienter le partage des juridictions entre Ottawa et Québec ainsi que la répartition des ressources fiscales; • confirmer le pouvoir du Québec sur ses institutions économiques, sociales et culturelles; • confirmer aussi que le Québec est maître de ses affaires dans les domaines qui sont déjà les siens en vertu de la Constitution actuelle (cela devrait aller sans dire, mais irait mieux en le disant); • affirmer que le territoire du Québec est intangible, et qu’il appartient aux Québécois de déterminer eux-mêmes leur avenir et leurs politiques en matière de citoyenneté et d’immigration; • préciser que cette maîtrise s’étend au domaine de la langue (où les compétences du Québec ont été unilatéralement réduites par le gouvernement fédéral et les autres provinces lors de l’opération «rapatriement»); • stipuler qu’il reviendrait au Québec de définir les modalités d’application chez lui du pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines relevant de sa juridiction (avec droit à la compensation au cas où il n’adhérerait pas à un nouveau programme pancanadien); • conférer au Québec, pour les domaines de sa compétence, le droit de se représenter lui-même à l’étranger, ainsi que celui de parler et de s’engager en son nom dans certains forums internationaux, et d’avoir sa propre représentation dans des compétitions sportives internationales; • prévoir la participation du Québec à la désignation des membres québécois de la Cour suprême et du Sénat; • garantir, enfin, qu’une fois inscrites dans la Constitution les nouvelles dispositions ne seraient modifiables qu’avec l’assentiment de l’Assemblée nationale du Québec. |
Mission impossible ?
Minute, objectera-t-on, quoi qu’aient dit les élus, cette reconnaissance du Québec est impossible. Un autre mur ! Ottawa et le reste du Canada rejetteront sur le champ toute tentative en ce sens.
Elle ne plairait sûrement pas aux défenseurs du régime qui ont intérêt au contrôle qu’il permet sur la province de Québec. Ni aux «citoyens moyens» d’un Canada largement anglophone en processus de «multiculturalisation» et pour qui les Québécois ne forment, pour quelque temps encore, que la plus grosse des nombreuses minorités ethniques du pays. À noter, incidemment, que la succession de référendums sectoriels envisagée par le PQ ne soulèverait pas non plus une vague d’allégresse ailleurs au Canada, et on sait déjà qu’à l’aune du sentiment canadian, la souveraineté du Québec serait encore moins tolérable que la reconnaissance dont il est question ici.
Fort bien, répondra-t-on, mais la tentative de reconnaissance donnerait lieu à d’interminables discussions Québec-Ottawa, alors qu’avec la souveraineté, ce serait plus simple et plus expéditif. J’aimerais faire remarquer que, pour s’effectuer correctement, l’accession du Québec à la souveraineté ne pourrait pas se régler en deux temps, trois mouvements. La relation du Québec avec le reste du Canada n’est pas comparable à celle des colonies africaines des années 1960 par rapport à leurs colonisateurs européens. Le Portugal ne versait pas de pensions de vieillesse aux Angolais.19
N’empêche, les 25 pages précédentes lues, d’aucuns se sentiront frustrés. Elles ont l’air d’aboutir à un projet qui, à première vue, se situerait dans le prolongement des essais passés de négociations constitutionnelles globales, toutes infructueuses et exaspérantes, préconisées, en leur temps, par les partisans du «fédéralisme renouvelé». Ou qui ressemblerait à l’«affirmation nationale» dont il a été brièvement question au PQ au milieu des années 1980.
À première vue, peut-être. À la réflexion. non, vu la substance de la liste qu’on vient de lire. Vu aussi le reste du texte qui reprend après l’encadré, rédigé pour (re)mettre ma proposition en perspective et, j’espère, éliminer tout malentendu sur son sens :
Si un référendum gagnant sur la souveraineté était possible à brève échéance, le Parti québécois au pouvoir devrait le tenir. C’est la situation que je souhaite. Mais il faut aussi penser, pour la prévoir et l’affronter au besoin, à l’hypothèse contraire, malheureusement plausible. |
Un devoir
On comprend donc que, selon l’hypothèse étudiée, il serait vain ces temps-ci de compter, pour débloquer les choses, sur un référendum impossible à gagner ou sur les suggestions examinées dans la Partie II. Vain également de miser sur une initiative qui viendrait d’Ottawa ou du reste du Canada.20
En revanche, s’en tenir à ces constats, déplorer la situation, mais ne rien entreprendre d’inédit pour l’infléchir, reviendrait à abdiquer devant la vision trudeauiste du Canada imposée au Québec par le «rapatriement», coup de force légal en vertu du droit canadian, mais contraire au sens des promesses référendaires de 1980. Illégitime en plus, perpétré qu’il fut en l’absence planifiée du Québec et «constitutionnalisé» malgré son opposition. Réprouvé enfin, à l’époque, par beaucoup de fédéralistes québécois autonomistes et, à plus forte raison, condamné par les souverainistes. L’opération affaiblissait le Québec en minant ses pouvoirs et sa marge de manœuvre à l’intérieur du régime, et niait son caractère national.
Pour tout futur gouvernement du Québec, tolérer les conséquences de cet acte inadmissible – parce qu’il s’imaginerait désarmé devant elles – serait renoncer à défendre les positions soutenues par ses prédécesseurs depuis des décennies (moins celui de Jean Charest).
De la part d’un gouvernement du PQ, une telle passivité serait incompréhensible, inouïe. Pour s’épargner un combat qu’il détesterait devoir livrer selon certaines règles du régime à remplacer, voilà qu’il négligerait d’utiliser moyens à sa disposition dans ce même régime (il y en a) et qui lui permettraient de s’attaquer à l’aberration politique de 1980-1981 d’une manière jamais tentée jusqu’à maintenant. Il donnerait tacitement sa caution à une félonie dont il a pourtant été le premier à condamner, avec Dieu sait quelle vigueur, l’impact délétère ! Ce serait décidément insensé.
Ce n’est pas tout, il y a bien autre chose que les événements de 1980-1981. La mondialisation en cours tend à niveler les différences nationales. Aux possibilités de croissance qu’elle crée et à l’interdépendance qu’elle apporte, se greffent des effets nocifs à la sauvegarde et à l’épanouissement de l’identité québécoise. Faudrait-il les subir avec résignation parce qu’un gouvernement du PQ aurait décidé qu’il n’y a rien à faire, hormis la souveraineté totale qui, elle, ne se profile hélas pas à l’horizon ?
Aussi menaçantes, d’autres influences s’ajoutent à la mondialisation uniformisatrice. À la mode dans quelques milieux, le nationalisme dit «civique», avatar de la rectitude politique, veut atténuer la spécificité québécoise, le besoin de la défendre et, encore davantage, celui de la renforcer. Quant au multiculturalisme dans son sens canadian, il est devenu une norme qu’on oppose volontiers et en toute bonne conscience aux aspirations québécoises.21
À quoi il faut joindre l’idéologie capitularde des bonnententistes et des prosélytes «postmodernes» de la dilution nationale qui considèrent à toutes fins utiles que la tolérance envers l’Autre doit se traduire chez nous par la bonasserie et, pourquoi pas, l’autoflagellation. Règle qui ne vaut que pour les Québécois «de souche», naturellement racistes, bien entendu, personne ailleurs au monde n’étant ainsi invité à être discret au point de s’effacer. Nous sommes chez nous au Québec, mais cela ne devrait pas trop paraître ! À cet égard, le débat sur les accommodements dits raisonnables a été révélateur de la vision désincarnée de nos cosmopolites du terroir.
On est porté à se demander à la blague quelle sorte d’acte épouvantable nous aurions commis comme peuple – ou aurions le sombre dessein de commettre – qui puisse exiger notre repentir d’exister, auquel se lierait, pour faire bonne mesure, notre résolution «correctrice» de nous éclipser en silence.
C’est pourquoi, à défaut d’une souveraineté prochainement réalisable, l’urgence s’impose de prendre les moyens encore disponibles pour consolider et manifester l’identité nationale qui caractérise le Québec. D’où la nécessité, non seulement pour le PQ, mais pour l’ensemble des Québécois, de s’orienter vers un objectif qui a, lui, l’avantage de convenir d’emblée à une forte proportion d’entre eux, même s’il déplairait grandement à Ottawa et au reste du Canada : la reconnaissance explicite de la nation québécoise dans la Constitution canadienne.22 Un tel objectif collerait à la tendance la plus lourde de notre société. Sa réalisation «réparerait» le coup de force de 1980-1981 tout en gardant l’avenir ouvert. On passerait des belles paroles sur la nation québécoise à des actes qui leur donneraient un effet concret.
L’aspiration à la souveraineté est normale et légitime. L’est également la reconnaissance comme nation qui se situe sur la même trajectoire. En raison de sa mission et à cause d’elle, le Parti québécois serait ainsi parfaitement justifié – et crédible, ce faisant, car ce serait une sorte de «retour aux sources» – d’incorporer, d’une façon ou d’une autre, cette orientation à son programme pour en faire l’objet d’une éventuelle consultation populaire.
Déjà, depuis juin 2009 et 2010, il envisage le recours à des référendums sur des domaines particuliers de juridiction. Alors pourquoi, tant qu’à y être, ne pas viserait-il pas plus large et plus haut en proposant à l’approbation du public, le moment venu, un objectif basé sur le commun dénominateur que constituent des valeurs partagées, transcendant les affiliations partisanes individuelles et les préférences immédiates de chacun quant au statut futur du Québec ?
Sinon, on friserait l’absurdité. D’une part, le Parti québécois serait prêt à lancer une série de débats référendaires pour «rapatrier» l’une après l’autre des compétences sectorielles. Mais, d’autre part, il ne s’attaquerait pas en priorité au vice du régime – la non-reconnaissance du Québec comme nation – à l’origine même de l’emprise d’Ottawa sur ces compétences à «rapatrier» !
La Constitution verrouillée
Autre objection : la Constitution canadienne est gelée, inchangeable, immuable. (Soit dit en passant, les souverainistes qui invoqueraient cet argument à l’encontre de ma suggestion auraient à expliquer sur quoi s’appuie leur confiance de voir aboutir les référendums sectoriels proposés par le PQ et qui entraîneraient, eux aussi, des modifications constitutionnelles, successives en plus…)
Que la Constitution soit difficilement modifiable sur le plan formel, c’est un fait, et ce n’est pas à moi qu’on l’apprendra.23 Mais il existe un mécanisme pour ainsi dire sournois de changement, «pragmatique», moins présent dans les esprits. Car, si figée soit-elle dans sa formulation, il faut savoir que la Constitution demeure «évolutive» dans sa mise en œuvre, une qualité prisée à Ottawa et ailleurs au Canada, bienvenue pour vanter la sage «souplesse» du régime fédéral. Son adaptabilité comme on dit.
De quoi s’agit-il ? De ceci : à cause de l’action des tribunaux, l’application de la Constitution à des cas concrets peut, pour le Québec, prendre des tangentes inopinées sans qu’il soit requis d’en altérer le libellé. Ainsi, d’une décision à l’autre de la Cour suprême l’influence de la Constitution canadienne de 1982 dans notre vie de tous les jours finira graduellement, si on «laisse aller», par traduire dans les faits à peu près toutes les priorités et visées d’Ottawa et du reste du Canada, et par contredire de plus en plus celles du Québec. Je succombe à la tentation de citer un texte prémonitoire de Stéphane Dion en 1992 :
On peut penser que, puisque la Cour suprême s’est déjà prononcée, les politiques québécoises actuelles sont en sécurité. En fait, rien n’est moins certain. Les décisions d’un groupe de juges peuvent être renversées plus tard par leurs successeurs. Une Cour suprême pourrait décider un jour que l’interdiction faite [par la loi 101] à un nouvel immigrant ou à un francophone de s’inscrire à l’école anglaise, alors que les anglophones ont ce droit, est contraire à la charte des droits. Un tel jugement semble improbable aujourd’hui, mais qui sait ce qui attend la prochaine génération, quand la présence francophone va se réduire en tant que réalité démographique à l’extérieur du Québec et que le poids du Québec va décliner dans le Canada ? 24
Eh bien, illustration du caractère évolutif de la Constitution, l’«improbable» de Dion s’est matérialisé en 2010 ! La loi du gouvernement du Parti québécois contre les «écoles-passerelles» vers l’anglicisation (2002) a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême. Le gouvernement Charest s’est plié à cette décision, contrevenant aux principes de la Loi 101, pour se conformer à la Constitution illégitime de 1982. En évitant, automatisme de pleutre, de recourir à la clause dérogatoire pourtant inscrite dans la même Constitution, sur l’insistance du Québec, entre autres.
En revanche, la même Cour peut exceptionnellement formuler une opinion de nature à aider le Québec et dont celui-ci serait stupide de ne pas profiter. Le phénomène est rare, mais il s’est produit en 1998. Allons voir jusqu’où il peut conduire.
Démarche
Quelles indications utiles au Québec la Cour suprême a-t-elle donc formulées en 1998 ? Deux citations25 les résument :
Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la Cour Suprême du Canada a laissé ouverte la possibilité d’une procédure alternative de modification de la Constitution du Canada, qui s’ajouterait à celles qui sont explicitement mentionnées à la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette procédure serait mise en marche par un acte politique, l’expression incontestable de la volonté du peuple québécois […]. Cet acte, une fois posé, engendrerait des obligations juridiques : des obligations mutuelles de négocier de bonne foi incombant à la fois à la partie québécoise […] et à la partie canadienne […].
Dans le cas des provinces, l’acte politique privilégié qui déclenche l’obligation constitutionnelle de négocier est le référendum. La Cour Suprême n’a pas exclu que des actes d’une autre nature puissent être posés et produire les mêmes effets juridiques : on pense par exemple à une résolution unanime d’une législature provinciale. L’essentiel pour le plus haut tribunal est l’expression nette et sans ambiguïté de la volonté du peuple québécois (ou de la population provinciale). […] Le référendum demeure […] le meilleur moyen d’aboutir à une interprétation politique la plus répandue, et à un résultat pouvant peser le plus efficacement sur la suite des choses. Dans le cas du Québec, il opposerait la légitimité du processus démocratique à l’illégitimité de la Loi constitutionnelle de 1982, qui a été imposée par la nation canadienne à la nation québécoise reconnue par la Chambre des Communes en décembre 2006.
De ces indications découle une démarche dont les modalités seraient fonction de la conjoncture générale et de l’état de l’opinion.
Ainsi, le Parti québécois étant au pouvoir, l’Assemblée nationale pourrait approuver par résolution un document contenant une série de propositions comme celles de la nomenclature reproduite plus haut. Le gouvernement du Québec présenterait officiellement cette résolution au gouvernement fédéral, geste initial courtois, disons. De concert avec l’Assemblée, il évaluerait le résultat des pourparlers qui s’ensuivraient. S’il y en a. Pour diverses raisons, Ottawa pourrait en effet ne pas vouloir considérer la résolution québécoise. Par exemple, si elle n’était pas unanime (ce qui signifierait que les libéraux se seraient dissociés d’une initiative dont on peut penser qu’elle plairait à une forte majorité du public…).
En cas de retard indu ou de refus fédéral, interviendrait alors la volonté des Québécois eux-mêmes, comme citoyens, pas seulement celle de leur Assemblée nationale. Le gouvernement du Québec soumettrait à un référendum une proposition globale qui, émanant de la résolution déjà votée, contiendrait la totalité ou, selon les circonstances, plusieurs des éléments nécessaires à une reconnaissance réelle de la nation québécoise
Si les conditions s’y prêtaient ou le réclamaient, le référendum pourrait se tenir peu après la transmission à Ottawa de la résolution votée par l’Assemblée nationale.
Autre possibilité, à mon sens préférable. Elle éviterait une campagne référendaire à l’intérieur d’un mandat gouvernemental où des dossiers pressants (santé, éducation, économie, finances publiques) exigeront l’attention des élus. Moyennant modification de la loi sur les consultations populaires, le référendum pourrait coïncider avec la campagne électorale où le Parti québécois demanderait le renouvellement de son mandat. La simultanéité élection-référendum se pratique déjà dans d’autres pays. Une double consultation accroîtrait certainement la participation populaire tant à l’élection qu’au référendum, avec un moindre coût pour les deux ensemble que séparés dans le temps.
Cela dit, l’obligation de négocier qu’induit la Cour suprême ne signifie pas qu’elle mènerait immanquablement à un accord. La suite des événements dépendrait du résultat de la consultation populaire, de l’attitude d’Ottawa et du reste du Canada, ainsi que, au premier chef, de la réaction des Québécois à cette attitude.
Par son contenu, l’approche décrite dans ces pages s’inscrit dans le sens de l’histoire politique québécoise. Elle a pour fondement notre existence comme nation. Sa survivance d’abord et, par la suite, sa consolidation ont toujours été des valeurs que nous avons partagées. Dans la démarche suggérée, il ne se trouve aucun élément emprunté, contingent, artificiel ou accessoire. Rien qui ne serait pas solidement enraciné dans notre cheminement collectif. Elle va de soi, à la lumière du passé, du récent et du présent.
L’action à entreprendre ne concernerait que le Québec dans ses rapports avec Ottawa et pour l’application de certaines dispositions constitutionnelles sur son territoire. Elle n’obligerait pas le reste du Canada à se doter d’institutions nouvelles pour l’accommoder (comme ce devrait être le cas dans l’hypothèse d’une Confédération Québec-Canada). Elle ne modifierait pas les liens que les autres provinces tiennent à maintenir avec le pouvoir central.
Elle se situerait hors d’atteinte de l’inique Clarity Bill fédéral. Elle n’entraînerait pas de nouveaux programmes gouvernementaux coûteux. Seraient également absents du débat des thèmes dont les adversaires de la souveraineté ont tiré parti en 1980 et 1995.
Et le fardeau de la preuve changerait de camp : les défenseurs du statu quo auraient la tâche ingrate d’expliquer aux Québécois pourquoi et en quoi il serait contre-indiqué ou inconvenant de les reconnaître formellement comme nation !
Après des décennies de débats constitutionnels stériles, irritants et parfois choquants, le gouvernement du PQ aurait de bonne foi utilisé tout le potentiel de la négociation Québec-Canada. Quoi qu’il arrive, personne ne pourrait le blâmer de s’être, en cours de route, appuyé sur une procédure que la Cour suprême a elle-même suggérée.
La démarche proposée ne contredirait pas l’objectif de la souveraineté ni ne le remplacerait, mais n’en ferait pas son but immédiat. Son objectif, pressant, serait plutôt d’extraire le Québec de sa torpeur politique actuelle en invitant tous les Québécois, au-delà de leurs allégeances partisanes ou malgré elles, à participer à un mouvement sans précédent de cohésion, mobilisateur parce qu’en phase avec les exigences de la réalité ambiante.
Elle offrirait aux Québécois de cœur et de conviction, toutes racines confondues, l’occasion, pour la première fois dans leur histoire, de se dire ouvertement Oui à eux-mêmes en se ralliant à un projet qui rejoindrait leurs convictions à la fois les plus anciennes, les plus actuelles et les plus naturelles. Ce Oui acquis, toute la dynamique Québec-Canada s'en trouverait, quoi qu’on prétende, transformée sur les plans politique et psychologique. On disposerait enfin de points de repère nettement établis. Le souvenir des effets néfastes du Non de 1980 et 1995 aide à imaginer le changement de perspective et d’état d’esprit, ainsi que le nouveau rapport de forces, qui surgiraient d’un Oui énergique. Pour la suite des choses, ce Oui deviendrait le levier qui nous a toujours manqué.
Comment réagiraient Ottawa et le reste du Canada si une telle approche, jamais essayée, était supportée par un Oui massif des Québécois ? Et comment réagiraient les Québécois si Ottawa et le reste du Canada repoussaient en bout de piste les aspirations qu’ils auraient clairement exprimées, en conformité avec les règles du régime en place ?
À chacun sa responsabilité, en temps et lieu.
Randonnée chez les éteignoirs…
Tiens, pourquoi ne pas «prendre de l’avance» en examinant dès maintenant les objections qui jailliront sitôt connue l’approche qui vient d’être exposée ? J’en ai déjà mentionné deux dans le corps du texte : le rejet a priori de la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise par un Canada anglais désormais en voie de formatage multiculturaliste et l’impossibilité présumée de tout changement à la loi fondamentale de 1982. D’autres, au sérieux variable, seront appelées à la rescousse. Pour chacune (soulignée) je joins des éléments de réponse.
Les partisans du statu quo voudront éviter la résurgence de la question nationale dans l’actualité politique courante. Une calamité de leur point de vue, qui pourrait mener loin, trop loin. Dans l’espoir fébrile de désamorcer l’affaire au plus vite, ils emploieront la tactique la plus rentable ces temps-ci : la culpabilisation. Elle aurait des chances de marcher, se diront-ils, les Québécois étant enclins à croire avoir tort quand ils ont raison. Ils affirmeront donc que :
• La proposition faite ici (ou une autre du genre) est fondée sur un souci qui est surtout propre à la majorité québécoise de langue française. Réponse : Oui, et alors ? Serait-il anormal, voire malsain, pour un peuple de s’inquiéter de sa vulnérabilité et de vouloir agir en conséquence ? Pourquoi le nation building serait-il interdit au Québec qui tient à sa personnalité, alors qu’Ottawa s’y livre résolument, entre autres raisons pour différencier le Canada anglais des Etats-Unis ?
• Motivée par la fermeture frileuse aux autres, la préoccupation identitaire conduirait à un appauvrissant repli sur soi. Réponse : L’ineptie du premier segment de l’argument engendre la fiction étalée dans le second. En quoi s’affirmer serait-il se replier sur soi ? Qu’y aurait-t-il de racorni à nous définir et à nous faire reconnaître tels nous sommes, comme y tiennent tous les peuples du monde ? Et d’appauvrissant, ce faisant ? Si on avait raisonné de manière aussi sotte dans les années 1960, la Révolution tranquille n’aurait jamais eu lieu et, entre autres innovations, le Québec ne se serait pas ouvert au reste du monde comme il l’a fait.
• La promotion de l’identité québécoise serait discriminatoire envers les minorités. Réponse : Qu’y aurait-il, dans l’histoire du Québec et dans la conduite des Québécois, pour autoriser une «prédiction» arrogante et insultante comme celle-là ? Notamment quand la mise en garde hypocrite émane de gens dont la position aujourd’hui dominante vient souvent du traitement que leurs prédécesseurs ont naguère infligé aux Canadiens français.
• Se soucier de l’identité québécoise procède d’un réflexe ethnique. Réponse : Les Québécois forment en même temps une nation, un peuple, une société. Mais, pour cause de généalogie et de démographie, ils n’ont jamais constitué une ethnie, ni souhaité en devenir une.
• L’identité nationale est une valeur de droite. Réponse : Et l’assimilation, une valeur de gauche ?
• Il est irresponsable d’alimenter le sentiment nationaliste dont l’histoire a prouvé les dérives monstrueuses. Réponse : Pourquoi confondre le nationalisme (par définition périlleux selon certains quand il s’agit des Québécois) et le patriotisme ? La liberté d’entreprise a conduit à d’innombrables cas d’escroquerie et d’exploitation. Faudrait-il l’abolir ? Prohiber l’automobile à cause des accidents ? Et Internet, véhicule de porno ?
• Tout débat sur la question identitaire fabriquerait des inquiétudes sans objet. Maintenant bien assurée, l’identité québécoise ne court aucun danger. Réponse : Aucun danger ?
• Ce genre de débat anachronique n’intéresse plus la population. Le «rapatriement» et Meech, c’est de l’histoire ancienne, oubliée. Le reste également. Les gens sont passés à autre chose. Réponse : Opinion rudimentaire digne de tribunes téléphoniques et de forums Internet où un problème est jugé sans objet si son origine n’est pas récente, futile si sa solution tarde, ou inexistant s’il ne fait pas les manchettes de l’actualité quotidienne. Pour ceux qui discernent la réalité à travers des grilles d’analyse aussi simplistes, la question Québec-Canada – et, en principe, n’importe quelle autre – est évidemment perçue comme dépassée.
• L’objectif recherché est déjà largement réalisé : la nation québécoise a été reconnue par le Parlement fédéral. Vouloir aller plus loin relèverait du caprice ou de la provocation. Réponse : Arguer de la sorte, c’est croire que la résolution votée à Ottawa a une portée réelle; que le sort du Québec a une fois pour toutes été réglé par l’opération «rapatriement»; qu’on peut faire confiance à Ottawa et aux autres provinces pour assurer l’identité québécoise; et que, pour le futur, l’intégrité du pouvoir politique du Québec ne sera jamais menacée par le nation building fédéral toujours en cours.
• Vu la réaction négative prévisible d’Ottawa et du Canada anglais, le but de la démarche proposée est de créer de toutes pièces une crise qui favoriserait le sentiment souverainiste. Réponse : C’est ça ! Le refus de leurs réclamations risquant de faire croître l’attrait de la souveraineté, il serait sage et même impératif pour les Québécois de réprimer leurs ambitions et de s’en tenir à des «demandes» d’avance admissibles. Exemple : des symboles sans portée réelle ou des réformes modestes sans impact sur le modèle canadian…
• Par contre, si la démarche était rejetée, les Québécois devraient alors envisager la souveraineté. Or ils n’y sont pas majoritairement favorables. Donc, cul-de-sac et, à prévoir, soumission définitive au statu quo. Réponse : Qui connaît l’avenir ? Méditer aussi les deux derniers paragraphes de la Partie V.
• Pourquoi consulterait-on le public sur la reconnaissance constitutionnelle recherchée puisqu’on pressent déjà l’existence d’un consensus populaire à ce sujet. Réponse : Vu les obstacles à prévoir sur le plan de l’action, aucune présomption n’aurait le poids d’une confirmation claire.
• Cette reconnaissance ne réglerait pas les nombreux problèmes économiques, administratifs et sociaux qui confrontent le Québec. Réponse : Personne n’a jamais rien affirmé de tel.
• S’intéresser à la question identitaire exigerait des énergies dont on pourrait faire l’économie, alors qu’il faut plutôt s’occuper des «vraies affaires». Réponse : Les «vraies affaires» seraient-elles n’importe quoi, excepté l’avenir des Québécois comme nation ?
• Quel besoin avons-nous, Québécois, de nous faire reconnaître comme nation ? Nous savons déjà qui nous sommes, les autres Canadiens également. La vigueur de notre identité dépend de nous, pas des autres. C’est quoi ce problème de crispation identitaire ? Réponse : Quand, par passivité ou timidité, on compte sur les «autres», quels qu’ils soient, pour nous définir, ils le feront, c’est sûr, mais à notre place et en notre absence, en conformité avec leurs valeurs et leurs intérêts. C’est exactement ce que permet et encourage l’actuel fédéralisme «évolutif», aggravé par le coup de force unilatéral de 1980-1981.
Contre le projet naîtra aussi une curieuse combinaison d’opposants. Celle d’indépendantistes qualifiés de «purs et durs», et celle de fédéralistes du même penchant. Ils brandiront des difficultés davantage «songées» que les précédentes. Les uns ou les autres diront que :
• Sous un masque original, la démarche suggérée s’apparente à un énième essai de renouvellement du fédéralisme. Réponse : En raison de son impact sur la dynamique du régime et sur les grands pouvoirs fédéraux d’intervention, une proposition comme celle décrite ici pourrait conduire, pour ce qui est du Québec, à une situation bien différente de l’actuelle, sans grand rapport avec le vague «fédéralisme renouvelé» des années 1970.
• Elle équivaut en réalité à un abandon de la souveraineté. Réponse : Conscient d’être redondant, je répète que ma réflexion porte sur une conjoncture où un référendum gagnant sur la souveraineté serait exclu. Alors, on ferait quoi ? C’est de cela dont il s’agit. C’est à cette question que je veux répondre en tenant compte de ce que les faits semblent bien nous dire (Parties I et II de ce document). Dans cette sorte de situation, la souveraineté serait-elle abandonnée du fait que, faute de pouvoir la réaliser maintenant, on se fixerait un objectif qui resterait cohérent avec elle, et que, du même coup, on s’attaquerait à d’authentiques problèmes ? Évidemment non. Félix Leclerc disait : «Un oiseau peut changer de branche sans changer d’arbre»…
• Si le projet proposé se réalisait (sait-on jamais !), il satisferait une majorité de Québécois et affaiblirait le désir de la souveraineté. Réponse : C’est possible, du moins pour un temps. Par contre, pourquoi les Québécois cesseraient-ils de vouloir avancer sous prétexte qu’ils auraient remporté un succès ? Des échecs à répétition stimuleraient-ils davantage leur détermination ? Et s’il y avait des chances que «ça marche», même en partie, devrait-on s’y refuser ? En 1977, le gouvernement du Parti québécois aurait-il dû renoncer à la Loi 101 de peur que la population, sa sécurité linguistique mieux assurée, s’intéresse moins à la souveraineté ? Il appartiendra toujours aux Québécois de décider de leur avenir politique.
• Toute réouverture du dossier constitutionnel inciterait les provinces, les territoires et les autochtones à en profiter pour solliciter, en leur faveur, des modifications avantageuses. Le processus deviendrait outrageusement laborieux et le «cas du Québec» serait perdu de vue dans le débat politique qui s’ensuivrait. Réponse : Pas question de rouvrir le dossier constitutionnel en général. L’opération «rapatriement» a atteint les objectifs d’Ottawa et du reste du Canada, mais au détriment des aspirations nationales des Québécois et des intérêts du Québec comme État. Dans cette optique, c’est à l’endroit du Québec, pas des autres provinces, qu’il y a un tort à réparer. D’ailleurs, s’il n’y avait pas eu de tort à réparer, qu’est-ce donc qui aurait justifié la saga de l’Accord Meech? Interviendrait ici l’article de la Constitution de 1982 qui, ironie, prévoit justement la possibilité d’un accord bilatéral entre Ottawa et la province concernée par un amendement constitutionnel.
• Si le projet était accepté, le Québec devrait «en échange» consentir à des compromis politiques peut-être déplaisants. Réponse : Compromis déplaisants ? Tout dépendrait, le cas échéant, de la dimension et de la nature de l’entente en cause. Si elle était complète, le Québec pourrait envisager la ratification des dispositions introduites dans la Constitution en 1982, puisqu’elles auraient été corrigées à sa satisfaction. Il serait en revanche inconcevable qu’on lui demande de consentir, «en échange», à céder à Ottawa telle ou telle de ses compétences, sous prétexte qu’on aurait – tardivement – corrigé un préjudice à son égard. Pour la même raison, serait également irrecevable et sûrement antidémocratique toute exigence, sous forme d’engagement politique ou constitutionnel, qui serait destinée à geler une fois pour toutes le Québec dans son statut actuel, style, par exemple, plus jamais de référendum sur la souveraineté. Personne n’est propriétaire de l’avenir.
Aucune de ces objections prévisibles et leurs variantes n’est si probante ni si puissante qu’elle interdirait d’utiliser une approche nouvelle pour sortir le Québec du carcan politique dans lequel certains tiennent à le maintenir.
***
NOTES
1- Jean-François Nadeau dans Bourgault, p. 307 : «Les membres du RIN se joignent [alors] à un parti dont les perspectives politiques ne sont pas parfaitement semblables aux leurs. La souveraineté dans le même souffle que l’association, ce n’est pas ainsi que le RIN envisage le passage du Québec à l’indépendance.»
2 - Terme utilisé pour la première fois par le journaliste Michel Roy du Devoir, en décembre 1973.
3 - Fin des années 1960, on tenait pour acquis que le Québec, entré dans la fédération de 1867 sans référendum, pouvait en sortir de la même manière. S’il est vrai qu’au XIXe siècle l’usage du référendum était pratiquement inexistant, de nos jours on y recourt à peu près partout. Même en Grande-Bretagne. En 2004 le gouvernement Blair envisagea une consultation populaire à propos de la Constitution européenne. Et un référendum est maintenant prévu pour 2011 sur la réforme du mode de scrutin.
4 - Des adeptes d’une élection référendaire (maintenant désignée sous l’euphémisme «élection décisionnelle») aiment rappeler ce qu’ils estiment être un précédent : la campagne électorale de 1962 sur la nationalisation de l’électricité. Ils oublient que la nationalisation représentait une réforme économique réalisable dans le cadre du régime politique en place, qu’elle avait depuis longtemps été faite en Ontario, qu’elle n’indisposait aucun autre gouvernement et, surtout, qu’elle n’était pas assimilable à un projet destiné à remplacer le régime lui-même en transformant le statut du Québec. En outre, même si le thème de la nationalisation y a été largement présent, le débat électoral de 1962 a aussi porté sur les bilans et mérites respectifs du Parti libéral et de l’Union nationale, et sur maints enjeux locaux. Personne n’a jamais su combien exactement d’électeurs avaient voté pour le Parti libéral à cause du projet de nationalisation et combien pour d’autres raisons.
5 - Suivant cette logique, le gouvernement du Parti québécois élu en 1976 aurait pu – et dû –, fort de sa majorité parlementaire, «voter» la souveraineté, même s’il n’avait obtenu que 41% du vote populaire...
6 - Deux analyses pénétrantes sont disponibles sur Internet : On ne peut pas faire naître un pays par élection de Denis Monière dans http://classiques.uqac.ca/contemporains/moniere_denis/election_referendaire/election_referendaire.html et Manifeste pour une approche réaliste de la souveraineté par un collectif d'auteurs : http://classiques.uqac.ca/contemporains/briere_marc/manifeste_appr_souverainete/manifeste.html
7 - Voir, par exemple, La souveraineté du Québec, hier, aujourd'hui et demain de Jacques Parizeau et Quelque chose comme un grand peuple de Joseph Facal.
8 - D’autres utopies existent. Celle-ci par exemple que je mentionne pour mémoire, sans commentaire : «Forcer un Oui». Le PQ s’engagerait sans détour ni restriction mentale à tenir, à l’intérieur d’un délai rapproché, à un moment précisément fixé, un troisième référendum sur la souveraineté, même perdant au départ. Il parierait que, confrontés à l’énorme responsabilité historique qui serait la leur après deux référendums perdus, saisis par la solennité de l’affaire (bref, coincés), les Québécois n’oseraient tout de même pas prendre lucidement la décision, aux séquelles fatales, de se dire Non à eux-mêmes une troisième fois...
9 - «Si tu déchires, tu brises. Mieux vaut découdre.» Félix Leclerc à l’auteur, un dimanche après-midi chez lui, en avril 1980.
10 - Jean-François Lisée, pp. 368-370, Sortie de secours, Boréal, 2000.
11 - Quand l’idée du référendum commença à faire son chemin en 1974, il n’était pas question que le PQ promette de le tenir à un moment précis, les circonstances qui prévaudraient dans le futur étant imprévisibles. Malheureusement, lors du congrès de novembre 1974, l’engagement référendaire a été «gravé» dans un calendrier. Résultat : en 1980, parce qu’il avait promis que le référendum aurait lieu pendant son premier mandat, le PQ alla de l’avant, même si ses sondages internes et ceux des médias laissaient augurer une défaite...
12 - On n’a qu’à penser aux conséquences négatives sur l’économie québécoise de l’actuel projet fédéral d’une Commission pancanadienne des valeurs mobilières dont le siège social et le centre de décisions seraient à Toronto, Ontario. Ou à la réforme du Sénat projetée par le gouvernement Harper.
13 - Voir http://www.vigile.net/Constituante-et-referendum et http://www.vigile.net/Chaque-nation-suit-son-propre d’André Savard.
14 - Approche intéressante suggérée par un militant à qui j’en laisse le mérite. Dans le même ordre d’idée, voir un texte de Pierre Cloutier : http://www.vigile.net/Pour-une-constitution-quebecoise,21641
15 - Pas chez les libéraux de Jean Charest. Auxquels s’ajoutent, parfois les mêmes, des colonisés contents et des profiteurs. Plus quelques intellectuels de l’espèce «branchée», apôtres du renoncement national, pour qui nous formerions un peuple qu’il serait grand temps d’ajuster aux valeurs soi-disant postmodernes en atténuant son caractère propre. Car, selon eux, ses aspirations linguistiques et culturelles, sympathiques sur le plan folklorique, souffriraient de désuétude avancée...
16 - Engagement de Pierre Elliott Trudeau, le 14 mai 1980 : «Je m'adresse solennellement aux Canadiens des autres provinces. Nous mettons notre tête en jeu, nous du Québec, nous disons aux Québécois de voter NON ; nous vous disons que nous n'accepterons pas qu'un NON soit interprété par vous comme une indication que tout va bien, que tout peut rester comme avant. Nous voulons des changements. Nous mettons nos sièges en jeu pour avoir ces changements !»
17 - On comprend mal pourquoi certains suggèrent parfois que le Bloc se saborde, sous prétexte qu’on pourrait ainsi «grouper toutes nos forces à Québec au lieu de les disperser». Ce serait céder aux adversaires des positions déjà conquises. Plus nombreux, ils en profiteraient, comme par le passé, pour soumettre en toute quiétude les intérêts du Québec à ceux de l’ensemble canadian.
18 - La nomenclature qui suit, inspirée de celle contenue dans mon livre Les prophètes désarmés? (Boréal, 2001), n’est pas rédigée en termes juridiques ni nécessairement exhaustive.
19 - Richard Le Hir, ministre dans le gouvernement Parizeau, a ceci à dire sur la période de transition vers la souveraineté (http://www.vigile.net/Au-risque-de-choquer, 14 août 2010) : «Nous devrons rapatrier des compétences (le commerce, les banques, la défense, la poste, le transport aérien maritime, ferroviaire, interprovincial, les pêcheries, la propriété intellectuelle, les lettres de change et les effets de commerce, les Indiens, l’immigration, le droit criminel, la faillite et l’insolvabilité, etc.) mais aussi du personnel (les fonctionnaires fédéraux québécois qui demanderont à être intégrés à la fonction publique québécoise), des infrastructures (ports et aéroports, édifices publics, ponts, voie maritime du St-Laurent, pénitenciers, bases militaires, laboratoires scientifiques, etc.), des biens (aéronefs civils et militaires, parcs automobiles, navires, brises-glaces, la part du Québec des réserves d’or du Canada, etc.), de l’argent (la part du Québec des réserves de la Banque du Canada, le capital pour couvrir les engagements des régimes de retraite des fonctionnaires rapatriés, etc,), mais aussi des obligations financières (part du Québec des obligations du Canada, bons du trésor, dette publique, etc.), en plus d’assumer des services divers tels que ceux qui sont dispensés par la Société centrale d’hypothèques et de logement, entre autres. […] Comme il est à toutes fins pratiques impossible qu’une telle transition puisse s’effectuer du jour au lendemain, il faut prévoir qu’elle s’échelonnera sur quelques années.»
20 - Gilles Duceppe a raison de dire que: « les Canadiens ne permettraient plus, aujourd’hui, à un nouveau Brian Mulroney de proposer de négocier une nouvelle entente avec le Québec» (page 9 de son tout récent livre d’entretiens avec Gilles Toupin). L’initiative – l’impulsion – doit venir des Québécois.
21 - Là-dessus on lira avec intérêt La Dénationalisation tranquille de Mathieu Bock-Côté, Boréal, 2007.
22 - Le reste du Canada s’y oppose à 83%, mais l’idée d’une reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise correspond au souhait de 73% des citoyens du Québec selon un sondage réalisé pour le compte des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) et du Bloc Québécois, rendu public en mai 2010.
23 - Étude de Patrick Taillon sur ce sujet disponible dans internet : http://irq.qc.ca/storage/etudes/IRQ-obstacles_juridiques_reforme_federalisme-PT-etude_complete_7.pdf
24 - Citation de 1992 tirée du blogue de Jean-François Lisée, 24 octobre 2009 : http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/langue-la-prophetie-stephane-dion-se-realise/66/#more-66
25 - Elles proviennent d’un article fort documenté de Me André Binette, L’Action nationale, avril 2008, p. 125. Ce juriste propose une démarche originale concernant l’abolition de la monarchie au Québec. M’en inspirant, j’en étends l’application à un ensemble plus vaste de changements (qui pourraient évidemment aussi comprendre le remplacement de la fonction de lieutenant gouverneur par celle de représentant du peuple québécois). Voir aussi : http://www.ledevoir.com/politique/canada/205437/reconnaissance-de-la-nation-quebecoise-duceppe-veut-modifier-la-constitution-sans-pour-autant-revivre-meech. Les spécialistes devraient également explorer les possibilités que laisse entrevoir le constitutionnaliste José Woehrling : «Une nouvelle évaluation des modalités de l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, à la lumière des précédents intervenus depuis une décennie, nous fait dorénavant conclure que la] procédure dite "bilatérale" permettrait probablement de faire adopter, avec le seul consentement de l’assemblée législative du Québec et des deux chambres fédérales, des modifications constitutionnelles affirmant le rôle des autorités politiques québécoises de protéger et de promouvoir le statut de la langue française et le caractère distinct du droit civil québécois.» : [http://www.saic.gouv.qc.ca/publications/documents_inst_const/10-JoseWoehrling.pdf.
26 - S’il n’y avait pas eu de «tort à réparer», qu’est-ce donc qui aurait justifié la saga de l’Accord Meech?
***
Photo: SRC, Claude Morin à l'émission Tout le monde en parle
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6 commentaires
Marcel Haché Répondre
17 octobre 2010M. Morin
Je salue votre grande contribution sur Vigile. Cela est à votre honneur. Il y a sur Vigile de vrais indépendantistes, qui le sont par conviction plutôt que par conclusion, comme ceux du Devoir.
Votre texte est tout simplement remarquable. Mais je me demande…
Pourquoi tenez-vous tant à placer le combat souverainiste ou même indépendantiste—au cas où ce dernier terme vous intéresserait—pourquoi souhaitez- vous toujours et encore placer la question nationale dans les méandres de la diplomatie et des « négociations » constitutionnelles ? Un prochain gouvernement péquiste pourrait être entraîné là où il ne veut pas aller, c’est-à-dire renouveler le fédéralisme, et rééditer par là très précisément, peut-être, les échecs passés.
Il n’avait pas été au programme du P.Q. de jouer dans le film du rapatriement de la constitution canadienne. Le fait non moins indéniable que tous les gouvernements québécois successifs n’aient pas « signé » 82 n’est pas une grande consolation : la Charte s’applique et une gang de collabos a même pu s’installer dans notre capitale.
Je suis loin d’être convaincu par ailleurs que le P.Q. puisse seulement être élu bientôt avec vos propositions, tant l’électorat québécois est tanné des affaires constitutionnelles de « reconnaissance » (par opposition aux « vraies affaires »).Ce n’est pas parce que le P.Q. pourrait acheter vos propositions, que l’électorat achèterait après celles du P.Q. !
Je comprends mieux maintenant vos réserves quant l’élection référendaire. Mais c’est un peu agaçant de vous voir expliquer et justifier constamment votre point, encore et toujours, avec cette insistance suspecte à la fin, concernant l’exemple de l’élection de1962.Vous placez la perspective, et la dénoncez, comme si la prochaine élection pouvait être celle de 1962, alors que Mme Marois serait plutôt dans la position de G.E.Lapalme en 1958.
L’élection de 1962 était référendaire, même si vous n’aimez pas le terme. Elle n’était pas nécessaire à la reconduction ou la recomposition de l’Assemblée Législative du temps. Elle suivait de bien trop peu celle de 1960.Chaque candidat à l’élection de 1962 mettait sa tête sur le billot….ce qu’ils se gardèrent bien depuis, tous et toutes, avec l’arme du référendum, qui démobilise sous le prétexte d’enrégimenter dans des comités. Il n’y eut pas de comités du oui et du non en 1962.Et même si le sujet majeur de l’élection n’était pas la constitution d’un pays, il y eut surtout un exemplaire gouvernement responsable qui assumait et qui vendait activement son idée--René Lévesque en était-- et qui faisait ce que les souverainistes n’ont plus jamais fait depuis l’avènement de l’étapisme : mettre leurs sièges en jeu.
Vous pouvez bien dénoncer P.E.T., et vous avez raison. Mais cet infâme a osé dire ce qu’aucun souverainiste n’a jamais osé faire : « Nous mettons nos sièges en jeu… »
M. Morin, en tout respect, ce n’est plus la seule élection de 1962 qui est à remarquer. Ce sont plutôt LES DEUX élections, carabinées, de 1960 et 1962 qui le sont devenues. Il y a là toute la différence entre un gouvernement ayant le sens de l’État, 1962, et un autre simplement dévoué à la diplomatie et la négociation, 1981.
Pour l’heure, 2010 au P.Q., pourquoi pas quelque chose de simple pour une fois, simple et suffisant sans doute pour assurer une prochaine victoire électorale, quelque chose comme : « Il faut que ça change ».Quelle ironie ce serait, n’est-ce pas ? Les libéraux eux-mêmes Nous le démontrant à tous les jours…
Cela pourrait être suivi rapidement, si élu, si « nécessaire », si possible évidemment, par un retentissant « NOUS SOMMES CAPABLES » piloté par le gouvernement lui-même. Car s’il est une seule chose—une seule-- qui soit plus incontournable qu’un référendum, à supposer qu’un référendum soit incontournable, c’est précisément qu’il y ait d’abord à Québec un gouvernement, un État, et qu’ensuite ce gouvernement soit lui-même porteur de l’idéal. Un véritable gouvernement souverainiste ne peut pas être en retrait de la Cause, il devrait en être le fer de lance !
C’est ainsi—C’EST PRÉCISÉMENT POUR CELA, que même si le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s’invitaient à un très lointain référendum ou à une prochaine élection référendaire (pas l’immédiate prochaine élection)—et ils s’inviteraient certainement, voyez donc où Nous en sommes rendus avec l’actuel gouvernement provincial—la charge politique de la seule implication d’un gouvernement souverainiste pourrait être déterminante.
« Autrement », selon vos propositions, il se passera très longtemps avant qu’un gouvernement péquiste puisse réunir un environnement favorable, laissant au gouvernement fédéral tout loisir et tout le temps nécessaire d’intervenir dans l’opinion publique québécoise, et surtout de convaincre les capitales étrangères à l’encontre de la « reconnaissance ». La multiplication des délais multiplierait les problèmes qui multiplieraient les délais. Nous tournerions en rond. Ce film du futur pourrait bien ressembler au film ancien du rapatriement, à l’intérieur duquel a figuré bien malgré lui le gouvernement péquiste du temps, qui était incidemment le vôtre.
L’indépendance n’est pas si compliquée. C’est la dépendance qui l’est. Nous n’y sommes pas condamnés. Et un gouvernement souverainiste, convaincu et décidé, peut agir plutôt que simplement réagir. Car enfin, l’indépendance n’est pas « à dire » ni même « à espérer »--ce n’est pas une incantation-- elle est « à faire »… par un gouvernement instigateur, c’est-à-dire un gouvernement qui ne se défile pas. C’est cela seulement qui est incontournable.
Archives de Vigile Répondre
16 octobre 2010Toute la réflexion de Claude Morin repose sur un postulat: "Depuis quelques années déjà, les mesures de l’opinion portent à croire que, pour l’avenir prévisible, un nouveau référendum sur la souveraineté serait perdant s’il prenait modèle sur ceux de 1980 ou de 1995. Dans ce cas, que faire?"
Or ce postulat est loin d’avoir la solidité du roc, surtout si l’on prend en considération le fait que lors du référendum de 1995, les sondages, donnant une forte avance au camp du non dans les premiers jours, sont vite devenus par la suite beaucoup plus favorables au oui. Ce fut tel que le camp du non a dû mobiliser, entre autres, des autobus et des volontaires venant de l’Ontario pour nous chanter « Combien ils nous aimaient ». Ce référendum a été gagné à l’arraché avec 0.6% en faveur du non sans que nous n’ayons jamais su le sort réservé aux milliers de bulletins de vote annulés, ni de ceux ajoutés à la dernière minute.
http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0010730
Personnellement je pense que la conjoncture actuelle est plus que favorable pour que les Québécois et Québécoises discutent de l’indépendance, d’autant plus que nombre de nos problèmes reposent sur ce système fédéral qui, quoi qu’on en dise, ne favorise pas la mise en valeur et le développement du Québec. Une campagne référendaire permettra de débattre de ces questions et cette fois la question devrait être sans ambigüité :
« Êtes-vous d’accord pour que le Québec soit un pays? »
Je ne pense pas qu’un peuple fasse l’indépendance uniquement pour ses valeurs culturelles, mais aussi pour assumer et développer sa capacité de croissance économique et de mieux être. Ceux qui disent : « réglons d’abord nos problèmes économiques, puis après nous verrons à notre indépendance, ne réalisent pas que nombre de ces problèmes économiques viennent de ce mauvais mariage dans l’union canadienne. Nous sommes un peuple sans constitution et sans avenir national. C’est le temps plus que jamais, me semble-t-il, de passer à l’action. Plus de 192 pays font partie des Nations Unies et nombreux sont ceux qui sont loin d'avoir le potentiel économique dont dispose le Québec. Pourquoi ne pas y être comme peuple, comme culture et comme pays? Haïti, Cuba, Costa Rica, le Honduras, le Nicaragua pour ne citer que quelques uns de ces pays, sont bien présents aux Nations Unies. Alors pourquoi ne pas y être nous-mêmes?
Je soupçonne que les forces fédéralistes pensent également que l’indépendance est plus que jamais à la portée des Québécois et Québécoises et qu’ils se doivent de faire diversion pour nous en détourner. Soyons vigilants et ne nous laissons pas berner. Il y a beaucoup de choses qui peuvent se négocier à la pièce, mais ce ne peut être le cas de l'indépendance. Elle s'acquiert uniquement par la volonté du peuple qui se dit oui à lui-même.
C’est là mon humble opinion.
Archives de Vigile Répondre
16 octobre 2010Vous êtes toujours à Québec M. Morin? C'est quoi le sujet de l'heure, le talk of the town? Le nouveau Colisée. Un projet qui rallie plus de 80% de la ville.
Qu'est-ce qui bloque? Qu'est-ce qui empêche le projet de se concrétiser? Harper. Harper qui ne veut pas donner à Québec de peur d'être puni dans le reste du Canada. Harper qui calcule ses votes: combien de pertes en Ontario et dans l'Ouest pour sauver Josée et ses 10 Larons?
Que font le PQ et le Bloc? Sont pour le projet évidemment. Pauline et Gilles étaient à la marche des Bleus. Mais qu'est-ce qu'ils ont comme discours souverainiste? Rien. Zéro. Le vide total.
Les deux sont incapables de lier ce sujet brûlant d'actualité à la souveraineté. Incapables d'expliquer qu'on envoie 50 milliards par année à Harper et que c'est humiliant d'aller quêter NOTRE argent. Incapables d'expliquer qu'on est colonisés à l'os, qu'on ne contrôle pas la moitié de nos taxes qui est dans les mains d'un gars de l'Alberta qui a reçu à peine 800,000 votes au Québec. Incapables d'expliquer qu'un Québec libre aurait plus de 100 milliards de budget annuel et n'aurait pas à aller s'humilier ainsi. Incapables d'expliquer que la ville de Québec, qui roule déjà grand carosse, roulerait sur l'or en devenant une véritable capitale nationale, avec ses nouveaux ministères, qui changeraient le visage de la haute-ville, et ses nouvelles ambassades qui doubleraient la valeur des maisons de Sillery. Le Klondyke. Sans parler des commerçants qui verraient débarquer 20,000 fonctionnaires d'Ottawa et leur petite famille (plus de 50,000 personnes), avec une masse salariale de plus d'un milliard de dollars. Et le super Klondyke pour la construction en ville, pour loger tout ce monde.
Vous êtes à Québec M. Morin. Regardez le Pont de Québec. Regardez le Manège militaire. Regardez le Bureau de poste qu'ils ont fermé et devait sauver. Regardez le zoo. Josée est une catin, Harper ne fout rien, absolument rien. Mais le PQ et le Bloc sont incapables de scorer dans un but désert, incapables de lier tout ça à notre statut colonial.
Prenez Montréal, prenez l'anglicisation de l'ile, prenez la démographie, prenez la nouvelle carte électorale où 100 votes au Québec vont valoir 88 votes dans le ROC, prenez l'immigration (en 2016, le Canada va compter plus d'immigrants que de Canadiens français), prenez l'Afghanistan (5 fois plus de victimes québécoises que toute l'histoire du FLQ!), name it; le PQ et le Bloc sont incapables de scorer alors que le but est là, tout grand ouvert.
Pourquoi? Parce que le PQ et le Bloc sont devenus deux vieilles picouilles qui ont perdu leur passion première. Le PQ a très très mal vieilli. Regardez les scores depuis 3 élections.
1 141 751 votes en 2008
1 125 546 votes en 2007
1 269 183 votes en 2003
Sont incapables de se renouveler avec la jeune génération, intoxiquée elle à l'environnement. La mort de 50,000 vieux devrait avantager le PQ. Mais le PQ est incapable d'aller chercher les jeunes. Les ethnies, qui rentrent à plus de 55k par année, n'en parlons même pas. Bref, la cause n'avance pas puisque le renouvellement ne se fait pas chez les nouveaux électeurs.
Moi, quand j'écoute Pauline, je m'endors. Je ne sens pas la passion, le goût du Québec. Le feu au derrière. La rage, l'urgence de faire l'indépendance. C'est pas le programme qu'il faut changer, c'est le PQ au grand complet.
Archives de Vigile Répondre
15 octobre 2010Très intéressante solution à notre situation constitutionnelle de la part de M. Morin avec laquelle je suis d'accord. Fallait y penser.
Voici une suggestion de nature rassembleuse et unificatrice qui ne devrait déplaire qu'à très peu d’extrémistes québécois qui manquent de sens pratique.
Bravo, félicitations ! Faudrait que l'idée soit adoptée par le PQ et les autres partis provinciaux, même le PLQ qui devrait commencer par lever un peu le nez mais qui devrait se joindre, s'il veut se racheter un peu.
Merci à Vigile de nous avoir présenté ce projet de M. Morin.
Archives de Vigile Répondre
15 octobre 2010«Sauf que l’adhésion du public à cette Constitution suppose son accord avec la souveraineté elle-même.»
Nous avons déjà obtenu la majorité francophone absolue aux fameux deux tiers dits de qualité "syndicale" lors du référendum volé de justesse de 1995.
Votre présupposition est alors pour le moins négative, excusez-moi de devoir vous le dire aussi franchement, nulle et non avenue en ce qui ne concerne que nous-mêmes. Elle joue encore sans le vouloir ou pas sur nos vieilles peurs ataviques.
Vous le soulevez vous-même, monsieur Morin... «Comme enjeu, thème de réflexion et texte de référence, elle donnerait lieu à un débat à bien des égards différent de ceux qui ont prévalu lors des référendums de 1980 et 1995.»
Cela déclencherait en fait un ramdam du tonnerre de Dieu, un véritable électrochoc de la démocratie participative de cette deuxième et ultime ronde des États généraux de notre histoire politique*...
Les Québécois confrontés à de telles circonstances extraordinaires, poussés au pied du mur d'une "élection mandataire impérative et catégorique" à l'effet d'adopter la Constitution québécoise rédigée par une Assemblée constituante, ce qui établirait de facto notre pleine et entière souveraineté populaire, n'auraient pas le choix, à moins de se faire hara-kiri sur la scène mondiale, de se reconnaître à nouveau pour ce qu'ils sont comme peuple fondateur du Québec de toujours.
Là, la majorité simple suffirait amplement, quel que soit le taux d'abstention, comme pour toute élection démocratique, à élire le tout premier "bon gouvernement" dédié enfin à l'exercice plénier de la souveraineté populaire par le truchement de son Parlement élu.
Le seul leader souverainiste qui n'a jamais branlé dans le manche depuis le début de son engagement (il a démissionné à la suite du Beau risque encouru jusqu'à l'absurde par Lévesque lui-même), duquel la population n'a donc jamais pu suspecter la mauvaise foi dans ses profondes convictions d'une droiture et d'une probité exemplaire, quasi idéale, l'honorable Jacques Parizeau, a fait la preuve inaliénable que lorsque l'on a le courage et la volonté, la détermination inexpugnable de promouvoir la souveraineté jusqu'au bout avant de mettre finalement le peuple québécois au défi devant son devoir moral face à l'Histoire, ce dernier est bien capable de se dire OUI haut et fort, en fin de compte et une fois pour toutes.
Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Morin, car je vous considère comme un grand intellectuel, je vous suggère de présenter votre programme de "constitution interne", tout à fait légale dans le carcan de la Constitution "canadian" de 1982 dont nous ne sommes même pas signataires, toute empreinte de provincialisme ringard, au PLQ qui en aurait bien besoin, lui, comme renouveau nationaliste/fédéraliste, au risque, sinon, qu'elle finisse de couler à pic le PQ avec des tactiques mi-chair, mi-poisson.
"L'étapisme", quelle qu'en soit la forme élégante que vous lui donnez ou l'intention louable dont vous l'enrobez, n'a que trop duré, avec les résultats existentiels catastrophiques que l'on connaît depuis 1982 que nous moisissons dans le cul-de-sac d'un statu quo perpétuel. Il faut en sortir, et virilement, s'il vous plaît! Fini le temps fou des fausses subtilités et des calculs sibyllins!
Gary GAIGNON
Consulter ici même mon article, "Pas une élection référendaire, mais mandataire impérative: Québécois, des agents libres au sein du Canada", paru aussi sur Agoravox où je collabore à l'occasion: http://www.vigile.net/Quebecois-des-agents-libres-au
*Réf.: cet article de la défunte UFP, brosse le tableau de la petite histoire de l'idée d'Assemblée constituante au Québec: http://www.lagauche.com/lagauche/imprimersans.php?id_article=1002
Archives de Vigile Répondre
15 octobre 2010Excellente idée : reprenons l'initiative d'avancer!
Elle a le défaut de sa qualité: Elle donne au PQ souverainiste un rôle de réformateur de la constitution que nous aurions "aimé" voir jouer par le partit libéral fédéraliste, mais du coup elle oblige les fédéralistes à officiellement se replier sur le statut quo, ou à avancer.
Je crois que peu importe l'option que nous préconisons, il est important de régler la question nationale. Le statut quo n'est pas et n'aurait jamais dû être une option, même pour le Reste du Canada.