Initiative palestinienne à l'ONU

Coup de poker ou acte de reddition?

Actualités internationales - Palestine à l'ONU



En décidant de soumettre à l'examen de l'ONU la demande d'adhésion d'un «État de Palestine» le vendredi 23 septembre, l'Autorité palestinienne a fait un pari dangereux: celui de l'unilatéralisme pour sortir de l'immobilisme figeant le processus de paix. Ce mouvement de la part de l'administration de Mahmoud Abbas, coutumier d'une grande pondération et longtemps considéré comme le «bon élève» des négociations, en a pris plus d'un à contre-pied. Comment l'Autorité palestinienne, d'habitude si docile et apathique, en est-elle arrivée à prendre soudainement le risque de tenir tête à ses «partenaires» (également ses principaux bailleurs de fonds) israélien et américain?
Coup de poker audacieux
Pour comprendre ce coup de poker, penchons-nous sur la situation du processus de négociation israélo-palestinien: cela fait désormais officiellement quatre ans — en réalité presque vingt — que celui-ci est au point mort, plombé par la dissymétrie des rapports de force entre les parties en présence. D'un coté, l'Autorité palestinienne, affaiblie par des années de guerre fratricide contre le Hamas et peu soutenue par la Ligue arabe, se trouve incapable de peser dans la balance ni rassurer suffisamment Israël sur sa capacité à faire respecter un hypothétique accord de paix.
De l'autre, l'État hébreu, plus conservateur que jamais, sait que le temps joue en sa faveur et poursuit sa stratégie payante consistant à jouer la montre et profiter de la faiblesse de la partie adverse pour conserver à tout prix le statu quo. Au «milieu», les États-Unis: incapables de répondre aux impératifs de neutralité requis par leur rôle de médiateur, ni de rééquilibrer le déséquilibre de puissance entre les deux camps, ni même d'influer d'un iota sur la stratégie de leur allié israélien. En somme, tous les ingrédients d'un échec cuisant.
Pendant ce temps, la politique du fait accompli se poursuit: les colonies s'agrandissent, se rapprochant dangereusement du «seuil de non-retour» où toute initiative de démantèlement deviendrait impossible. La proximité explosive des colons avec les villages palestiniens et l'impunité relative dont ils jouissent alimentent quotidiennement une frustration immense, faisant réapparaître le spectre d'un nouveau cycle de violence.
Effet de surprise
Décrédibilisée par son incapacité à donner à sa population les résultats promis en échange des énormes efforts concédés et inquiète de la possible inspiration que les mouvements de contestations voisins pourraient insuffler à la rue palestinienne, l'Autorité palestinienne savait donc qu'elle devait rapidement trouver une nouvelle stratégie, et frapper un grand coup.
En effet, seul un coup d'éclat symbolique pouvait donner une chance à Mahmoud Abbas de reprendre la main et relancer une nouvelle dynamique qui tournerait la page du fiasco de «l'après-Oslo». Ce projet d'adhésion a sans doute été l'idée la moins mauvaise et la plus originale qui a émané des réunions de travail des stratèges palestiniens. Elle a au moins déjà réussi à provoquer ce qu'elle cherchait à créer: un effet de surprise.
Légalement et politiquement, l'idée est intéressante. En plus de redonner aux Palestiniens l'avantage psychologique de l'initiative, elle permettrait à l'Autorité palestinienne d'utiliser contre Israël un éventail beaucoup plus large d'outils de l'appareil juridique international, notamment en intégrant la Cour pénale internationale. Elle forcerait également les États-Unis à poser un embarrassant veto au Conseil de sécurité, qui viendrait porter un coup dur à leurs efforts pour conserver la main sur une région moyen-orientale qui leur échappe depuis le Printemps arabe.
Une stratégie risquée
L'initiative reste cependant très risquée et critiquable sur de nombreux points. Si tout coup de poker possède sa part de bluff, le hasard et la prise de risque sont-ils aussi efficaces et souhaités lorsqu'il s'agit de diplomatie internationale? L'Autorité palestinienne est en effet critiquée pour le manque de transparence de sa stratégie, et donne l'impression à beaucoup de partir au «front» à l'aveugle, sans réel plan B en cas de rejet de sa demande d'adhésion. Elle est également critiquée pour l'absence de consultation interne dans l'élaboration de son projet. Le Hamas, qui y voit une tentative de coup de force du Fatah, a également fait savoir qu'il ne soutenait pas l'initiative, isolant et fragilisant encore un peu plus la position de Mahmoud Abbas.
Le prix à payer de cette stratégie semble également élevé sur le terrain. En plus de l'absence d'améliorations concrètes des conditions de vie de sa population, l'initiative de Mahmoud Abbas risque en effet de relancer un énième cycle de violence. Le commandement israélien a immédiatement réagi à l'appel du chef palestinien invitant son peuple à «descendre en masse dans les rues» pour soutenir le projet, prévenant qu'il réprimera toute manifestation «potentiellement dangereuse pour la sécurité d'Israël».
L'armée israélienne a de plus d'ores et déjà entrepris d'entraîner spécifiquement les colons en prévision des événements des prochaines semaines. Tout le monde se prépare donc à un regain de violence, et au vu du ratio blessés/participants lors des manifestations non violentes défiant l'armée israélienne tous les vendredis dans certains villages palestiniens, il y a de bonnes raisons de s'inquiéter. Un tel appel paraît également imprudent de la part du chef palestinien, qui sait parfaitement quelles seront les conséquences humaines d'un tel mouvement de foule. Utiliser sa population comme arme médiatique et psychologique peut être une stratégie s'avérant payante, elle n'en reste pas moins dangereuse et éthiquement très discutable.
Victoire pour le camp israélien
L'opposition des deux principaux acteurs à la stratégie palestinienne n'aidera enfin en rien la situation à évoluer favorablement. Les arguments utilisés par Israël et les États-Unis pour justifier leur opposition, à savoir que «seules des négociations directes sont légitimes pour aboutir à une solution à deux États», représentent cependant un summum d'hypocrisie politique. Ce geste aurait en effet maintes fois pu être évité si Israël avait été plus enclin à s'investir dans de véritables négociations.
Le gouvernement de M. Nétanyahou peut néanmoins se réjouir: l'initiative palestinienne, cherchant de son propre chef la légitimation d'un État au rabais, défiguré, ingouvernable et obsolète, signe dans tous les cas une victoire pour le camp israélien. En légitimant leur projet de séparation ethnoreligieuse et acceptant de facto les ravages laissés par le statu quo, le camp palestinien semble en effet bien signer ici un véritable acte de reddition.
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Joan Deas - Chercheuse à l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM


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