L’agriculture québécoise est en crise à l’heure de la mondialisation

Crier famine

reprise d'un article composé à l'automne 2007

Chronique de Patrice-Hans Perrier

L’agriculture et le monde agricole sont en crise au Québec. Face à une mondialisation qui semble inéluctable plusieurs petits producteurs lancent un cri d’alarme, incapables de faire face au dumping des grandes corporations. La population, pour sa part, prend conscience de la fragilité de nos sources d’approvisionnement et des incidences de l’agrobusiness sur l’environnement.
La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois termine présentement une tournée de consultation à l’échelle du territoire québécois et les contribuables attendent avec impatience ses conclusions qui devraient être rendues publiques l’hiver prochain.
Face à la mainmise des grands conglomérats de l’agrobusiness, à l’instar de la firme Monsanto, certains organismes mettent de l’avant le concept de souveraineté alimentaire. Il s’agit d’une approche citoyenne qui stipule que le secteur agricole ne devrait pas être soumis au pouvoir des forums internationaux de décision économique. Alors que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) tente par tous les moyens de régenter les systèmes nationaux de mise en marché collective, la résistance s’organise au sein d’une communauté de petits producteurs agricoles qui refusent de plier sous la menace.
Souveraineté alimentaire et mondialisation
C’est en 1996 que le concept de souveraineté alimentaire faisait son apparition. Fruit de la réflexion d’une organisation paysanne internationale, Via Campesina, le concept allait faire l’objet d’une discussion publique dans le cadre du Sommet mondial de l’alimentation par la suite. Des agriculteurs provenant de 56 pays profitèrent de l’occasion pour unir leurs voix en déposant une déclaration proclamant le droit des peuples à cette souveraineté alimentaire qui allait faire couler beaucoup d’encre dans les médias. Depuis peu, certains pays ont pris la courageuse décision de freiner la mainmise des marchés internationaux sur l’organisation des rapports de production du monde agricole. C’est ainsi que le Mali, un état qui a particulièrement souffert de la mondialisation, a adopté une loi d’orientation agricole fondée sur la souveraineté alimentaire.
L’OMC fait pression présentement sur le Canada pour que nos dirigeants mettent un terme à notre système de mise en marché collective et que l’agriculture canadienne se soumette aux lois du marché dans un contexte où la mondialisation nivelle les modes de production. Ici, au pays, les agriculteurs jouissent d’un pouvoir de négociation qui leur permet de contrer les aléas du marché. Des coopératives de mise en marché s’occupent de réguler les flux de production et de distribution des denrées alimentaires à l’échelle locale, alors que des quotas de production sont répartis entre les producteurs afin de garantir une certaine stabilité des prix. Au Québec, c’est le système de gestion de l’offre qui suscite une levée de boucliers chez les tenants de la libéralisation des marchés à outrance. Ce système a permis à l’industrie laitière et aux producteurs avicoles d’échapper à la crise qui sévit présentement dans le monde agricole au Canada. Il s’agit d’un régime qui favorise la réglementation de la production en fonction du marché intérieur.
Une guerre larvée
Tout dernièrement, un organisme d’obédience néo-libérale, l’Institut économique de Montréal (IEM), lançait les hauts cris en affirmant que le système de gestion de l’offre du lait, des œufs et de la volaille coûterait autour de 300 $ par année à une famille de quatre personnes au Québec, ce qui entraînerait une ponction globale de 575 M $ à l’échelle de la province. Les principaux intéressés y voyant une forme de pouvoir de taxation octroyé par l’État aux producteurs agricoles, arguent que ce système n’aide pas notre secteur agroalimentaire à s’adapter à la concurrence. Les analystes de l’IEM affirment haut et fort que les consommateurs seraient pris en otage par une caste de producteurs agricoles ayant institué, rien de moins, un véritable cartel qui fait en sorte de soustraire ses membres aux règles internationales du marché. Le système de quotas et les tarifs douaniers imposés aux produits étrangers constitueraient une forme d’impôt régressif pour les consommateurs à faible revenu et nos producteurs s’exposeraient à de prochaines représailles de la part des compétiteurs étrangers.
Daniel Mercier-Gouin, le titulaire de la Chaire d’analyse de la politique agricole de l’Université Laval, concède que la position canadienne est en porte-à-faux face aux négociations internationales qui se déroulent présentement dans le sillage du cycle de Doha. S’il admet que le système de la gestion de l’offre puisse entraîner des déboursés additionnels pour les consommateurs à court terme, il estime qu’il s’agit d’une pratique qui permet de consolider une certaine souveraineté alimentaire. Notre système de gestion de l’offre nous aura permis de «discipliner la production afin de pouvoir compter sur des produits de qualité, sans envahir les marchés internationaux en contrepartie».
Cet observateur privilégié est conscient que la notion d’autosuffisance alimentaire a des limites en définitive. Toutefois, nos systèmes de mise en marché, à l’instar de la gestion de l’offre, ont réussi à protéger un certain nombre de nos producteurs face aux fluctuations des marchés internationaux. Qui plus est, l’agriculture serait une activité économique étant soumise aux interférences d’une foule d’intermédiaires qui faussent la donne.
Une déréglementation des modes de mise en marché pourrait profiter à des intermédiaires qui feront en sorte de «neutraliser» les gains d’économie pour le consommateur… alors que la classe agricole serait d’autant affaiblie. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Et, si ce système de mise en marché impose des mesures douanières qui peuvent paraître disproportionnées, il permet de contrer, en contrepartie, les tactiques de dumping des grandes multinationales qui tentent de casser les prix afin d’imposer leur mainmise sur les marchés locaux.
Des alternatives
Mais, gestion de l’offre ou pas, l’agrobusiness règle déjà une large part des rouages du monde de la production et de la transformation alimentaire au Québec. L’agrobusiness occupe déjà une place considérable au Québec alors, qu’entre 1941 et 2001, le nombre de fermes serait passé de 155 000 à 30 539. Et ce mouvement de concentration fait que 20 % des producteurs génèrent autour de 70 % des recettes agricoles totales. Pourtant, une majorité d’entreprises (soit autour de 56 %) n’arriverait plus à fournir que 9 % des recettes agricoles pour la même année.
S’il est vrai que le développement de nouvelles méthodes de production aura contribué à moderniser notre agriculture, c’est le lien entre la paysannerie et le développement des régions qui en aura le plus souffert. L’agriculture intensive ne respecte pas les cycles naturels, utilise des pesticides, des antibiotiques, des hormones de croissance et des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui menacent la biodiversité. Divers activistes, avec l’Union Paysanne aux premières loges, prônent une agriculture en lien avec le terroir et plus respectueuse de l’environnement. Souhaitant échapper au rouleau compresseur de l’agrobusiness, les tenants de la souveraineté alimentaire veulent soustraire notre agriculture aux lois d’un marché néo-libéral qui ne fait pas de quartier.
Ceux et celles qui souhaitent participer au débat public autour de l’avenir de notre agriculture pourront assister à une grande conférence sur la mondialisation et la marchandisation de l’alimentation qui se tiendra jeudi prochain, à partir de 19h30, à l’Olympia de Montréal. Des conférenciers prestigieux viendront partager avec nous la qualité de leurs réflexions sur la mondialisation. Un événement mis sur pied par Équiterre, la Coalition GO5 et la Coop fédérée. L’intellectuel réputé John Saul sera de la partie …
Pour de plus amples informations, 3 sites incontournables :
www.nourrirnotremonde.org
http://www.upa.qc.ca/
http://www.unionpaysanne.com/

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Patrice-Hans Perrier181 articles

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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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