L'enlèvement de deux soldats ne peut donner à l'État israélien le droit de pratiquer des châtiments collectifs contre des civils désarmés
Que l'on aime ou que l'on haïsse le Hezbollah au Liban ou le Hamas en Palestine, l'important est de réaliser à quel point, encore une fois, les règles classiques du droit international sont piétinées. Le droit de représailles, en effet, n'est légitime que s'il est pratiqué avec mesure et dans la symétrie. En aucun cas, l'enlèvement de deux soldats israéliens par un commando du Hezbollah ne peut donner à l'État israélien le droit de détruire les infrastructures libanaises, de mettre le pays sous blocus maritime, aérien et, bientôt même terrestre, et de pratiquer des châtiments collectifs de civils désarmés fuyant sur ordre de l'armée israélienne leurs villages et qui font l'objet de massacres sur la route par l'aviation israélienne. En droit international, cela s'appelle des « crimes de guerre ».
Malheureusement, dans le cas du Liban, cela n'est pas la première fois que l'État d'Israël pratique cette politique. De 1968, date de la première attaque israélienne sur l'aéroport de Beyrouth à l'année 2000, date de l'évacuation du sud du Liban, l'armée israélienne a pratiqué la politique de destruction et de déstabilisation de l'État libanais et de la société civile et de l'économie du pays. Elle a gardé de nombreux prisonniers dans ses prisons, dont certains y croupissent depuis trente ans.
Sabra et Chatila
Une partie du sud du Liban a été occupée durant 22 ans, cependant qu'en juin 1982, l'armée israélienne arrive jusqu'à Beyrouth qu'elle pilonne sauvagement durant deux mois et demi par terre, par mer et par air, faisant 20 000 victimes civiles (dont les massacres de Sabra et Chatila). La justification donnée alors fut l'incapacité de l'État libanais de mettre fin à l'activité de la guérilla palestinienne sur son sol et la nécessité d'aider les Libanais à chasser l'OLP du Liban; le prétexte donné fut l'attentat contre un diplomate israélien à Londres revendiqué par un groupuscule palestinien.
Outre le nombre invraisemblable de victimes civiles de toutes ces agressions israéliennes hors normes, les dégâts matériels causés par l'armée israélienne au Liban depuis 1968 sont estimés à environ soixante milliards de dollars.
Ne serait-il pas temps pour la communauté des nations dites « civilisées », si soucieuses de démocratie et de droit, de réfléchir un instant, au lieu d'avoir les mêmes réflexes conditionnés de soutien à la politique israélienne. Tant que l'État israélien continuera d'occuper des territoires arabes, de les coloniser et de martyriser la population occupée en infraction à toutes les règles du droit international et aux conventions de Genève, peut-on sérieusement penser apaiser la violence dans cette région du monde? Hier il s'agissait de l'OLP, aujourd'hui du Hezbollah; demain, nous aurons une autre étiquette, mais une même réalité sous des habits nouveaux.
Il est certes facile de pointer un doigt accusateur sur la Syrie ou l'Iran. La France coloniale l'avait fait pour l'Égypte, dirigée alors par Gamal Abdel Nasser accusé de fomenter la rébellion algérienne et, de ce fait, elle avait accepté de participer à l'invasion de l'Égypte par Israël en 1956; dans les années 1970, les Américains et les Israéliens accusaient l'URSS d'être le soutien et l'incitateur des mouvements armés de résistance palestinienne qualifiés, bien sûr, de terroristes.
Un trompe-l'oeil
Les temps n'ont malheureusement guère changé. Les progrès du droit international n'ont été qu'un trompe-l'oeil. La politique de la canonnière du XIXe siècle colonial européen a repris de plus bel, en ce début du XXIe siècle, sous la houlette américaine qui soutient sans réserve la politique hors norme du droit de l'État d'Israël qui s'accroche à ses conquêtes territoriales de 1967 en infraction à toutes les résolutions des Nations unies.
Vouloir appliquer par la force la résolution 1559 du Conseil de sécurité qui enjoint le gouvernement libanais, entre autres choses, de désarmer le Hezbollah risque fort, à terme, de n'être qu'un nouveau coup d'épée dans l'eau. Si la « communauté internationale » est sérieuse dans son désir de rendre le Moyen-Orient à la paix, il lui revient de faire appliquer l'ensemble du droit dit par l'ONU sur le conflit israélo-arabe et de le faire appliquer par toutes les parties en cause, y compris, bien sûr l'État d'Israël, qui est en infraction permanente à tant de principes de base du droit international. Tout le reste n'est que bavardage de mauvais goût face aux souffrances inadmissibles des populations libanaises et palestiniennes.
Georges Corm
_ Ancien ministre des Finances du Liban l'auteur a écrit plusieurs ouvrages dont « Le Liban contemporain. Histoire et société » (La Découverte).
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