On ne saura jamais si, comme le veut une rumeur persistante, Ottawa a vraiment proposé de fusionner la Banque nationale avec la CIBC l'an dernier pour sauver cette dernière de la faillite à la suite de la crise des papiers commerciaux adossés à des créances (PCAC). Mais le sauvetage in extremis des deux plus grands bailleurs de fonds hypothécaires auprès des banques américaines, Fannie Mae et Freddie Mac, avant la faillite de Lehman Brothers et la vente-surprise de Merrill Lynch, soulève une question fondamentale au Canada: les banques d'ici sont-elles devenues trop grandes pour être sauvées en cas de crise?
Cette question, que l'on ne peut plus éviter sans jouer à l'autruche, pose la question de la capacité des régulateurs canadiens et relance tout le débat sur la concurrence et l'intégration bancaire. De la crise qui secoue actuellement le marché financier américain, le Canada peut tirer trois leçons.
- L'urgence de limiter la taille des institutions canadiennes en ouvrant le marché à la concurrence et en cessant de les surprotéger contre le capital et les marchés étrangers. Cela rendrait les tarifs bancaires plus concurrentiels et redonnerait un nouveau souffle aux banques. C'est exactement ce qui s'est passé avec les sociétés d'assurance vie canadiennes qui, grâce à la concurrence, ont pu grandir à l'échelle mondiale (Manulife, Sunlife et GreatWest).
- Revoir le modèle d'assurance-dépôt pour plafonner le risque couvert par chaque institution au profit d'une couverture plus large ou imposer des «primes de taille», une approche naturelle pour tenir compte de l'appétit limité de risque de la Société d'assurance-dépôts du Canada (SADC) ou de son pendant québécois géré par l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Après tout, il faut se rappeler qu'il aura fallu presque 20 ans pour que la SADC puisse reconstituer ses coffres après la crise des banques de l'Ouest au début des années 80. La prime d'assurance-dépôt serait désormais fixée en fonction d'un critère supplémentaire en plus du risque: une prime de taille nommée «trop grande à sauver» (de l'anglais «too big to rescue»), plutôt que de laisser payer les contribuables en vertu de la règle alternative actuelle, «trop grande pour faire faillite».
- Revoir le modèle de «banque universelle», intégrant tous les services financiers sous le même toit, au moment où de plus en plus de banques internationales reviennent sur leur pas. C'est le cas de la séparation prochaine de Dresdner et d'Allianz en Allemagne, la reconfiguration de la banque suisse UBS en trois unités séparées dans le monde, la sortie de Citibank et de Merrill Lynch de la gestion d'actifs, de l'exit de CIBC de la banque d'affaires World Markets aux États-Unis, etc.
Une des conclusions majeures de la fraude à la Société générale est justement la faillite du système d'intégration et l'importance de bien séparer les diverses fonctions de la banque. En examinant de près les comptes de résultats des banques canadiennes -- y compris le Mouvement Desjardins --, on constate une volatilité de leur revenu qui se compare à celle de la Bourse de Toronto. Est-ce normal?
Diversification
Le débat porte sur la taille des banques canadiennes avec 60 à 85 % de part de marché en crédit commercial et de l'activité fiduciaire (en courtage de valeurs mobilières, en garde de valeurs et en gestion de portefeuille). Un niveau de concentration qui gêne la concurrence, maintient des coûts de service élevés et réduit l'efficacité des institutions. Le tout résulte en partie d'une jurisprudence anti-cartel faible au Canada, contrairement aux États-Unis, à l'Allemagne et au Japon.
La première question est de savoir si la culture de crédit d'une banque commerciale permet de contrôler les activités de sa branche fiduciaire dont la nature est totalement différente. Le principe de «diversification de risque», permettant tantôt à la banque commerciale, tantôt à la banque fiduciaire, de faire l'équilibre selon les conditions du marché, est ce qui a incité les régulateurs à favoriser pareille intégration.
Mais l'utilisation de la banque d'affaires comme outil de levier par la banque commerciale devient une source dangereuse de risques, comme on vient de le voir aux États-Unis. Au lieu de diversifier le risque, cela n'a fait que l'amplifier.
«Trop grandes pour être sauvées»
Si l'économie de marché est la meilleure approche au développement et à la pérennité économique, la logique voudrait que sa règle centrale soit une concurrence bien observée.
L'exemple de la «décartellisation» du géant téléphonique AT&T aux États-Unis en 1984, qui a créé une véritable révolution des télécoms, est un modèle qui devrait en inspirer plus d'un aujourd'hui.
Mais au-delà de la règle de concurrence, il y a aussi la règle de la taille. Cela s'applique aussi bien au Canada qu'au Québec, qui supervise le Mouvement Desjardins: qu'adviendrait-il en cas de défaillance majeure de la Fédération, de sa caisse centrale ou d'un effet systémique de ses caisses? L'AMF pourrait-elle éviter une bascule de 150 milliards, elle qui n'a même pas pu assurer la protection des investisseurs de Norbourg pour 130 millions ou les déposants québécois exposés à plus de 20 milliards de dollars en papiers commerciaux devenus illiquides?
Note canadienne
Ou le Canada est devenu trop petit pour assurer le bon fonctionnement de ces institutions, ou ces institutions sont devenues trop grandes pour le Canada, dont la banque centrale, le superintendant des assurances et la SADC seraient bien capables d'assurer la continuité en cas de rupture de liquidités, comme l'a démontré la crise des PCAC.
Si petites soient-elles sur le marché international, les banques canadiennes sont devenues trop grandes pour permettre aux régulateurs d'assurer la protection des déposants. Dans ce contexte, pas étonnant que le Rapport mondial du Forum de Davos sur le développement financier cette année accorde des notes si faibles au Canada pour son cadre et ses enjeux réglementaires, l'exécution de ses contrats et l'efficacité de ses banques. Le Canada arrive en effet 13e derrière Hong Kong, les Émirats arabes unis, l'Australie, Singapour, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis pour la qualité de ses marchés financiers.
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Robert Pouliot, Coordonnateur de FidRisk et chargé de cours à l'ESG de l'UQAM et membre de la Coalition pour la protection des investisseurs.
Michel Roux, Doyen de la Faculté de sciences économiques et de gestion de l'Université Paris XIII et associé principal de Rating Capital Partners et membre de la Coalition pour la protection des investisseurs.
Crise financière aux États-Unis: des leçons pour le Canada
les banques d’ici sont-elles devenues trop grandes pour être sauvées en cas de crise ?
Crise mondiale — crise financière
Michel Roux1 article
Doyen de la Faculté de sciences économiques et de gestion de l’Université Paris XIII et associé principal de Rating Capital Partners et membre de la Coalition pour la protection des investisseurs.
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