De quel Nord veut-on?

Plan nord


(Montréal) Un chantier de 80 milliards en 25 ans. C'est ainsi que titrait La Presse. Et à lire le Plan Nord, ce cadre pour développer le Québec au nord du 49e parallèle, l'on se sent aussi étourdi que si l'on avait gagné le million au loto. Prenez ces 20 000 emplois créés ou maintenus par année, ces 14 milliards en revenus pour le gouvernement, cette contribution de 162 milliards au PIB. Ouf !
Mais avant de se laisser emporter par ces chiffres, il faut revenir sur le plancher des vaches. Il est hasardeux de faire des projections sur 25 ans à propos d'investissements et de retombées qui dépendent en grande partie des cours des matières premières.
Tout en progressant de façon générale - c'est une tendance lourde -, les prix des ressources évoluent en dents de scie.
Or, les sociétés minières sont promptes à remiser au congélateur leurs projets lorsque les vents sont contraires. Il faut donc prendre ces chiffres pour ce qu'ils sont: une estimation assez approximative de la richesse qui devrait revenir au Québec.
Cela dit, il faut saluer la démarche du gouvernement. Québec a mis en place un cadre pour développer le Nord. Cette démarche s'appuie sur la concertation et les partenariats, plutôt que sur un développement sauvage et à la pièce. Et cela, même si le droit de regard que Québec compte accorder aux municipalités est d'une portée encore trop limitée.
Mais, pour une fois qu'un gouvernement n'a pas le nez collé sur le pare-brise et qu'il regarde loin devant, il ne faudrait surtout pas le lui reprocher.
Néanmoins, le Plan Nord escamote deux débats essentiels pour la suite des choses. Le Québec s'est-il assuré de toucher sa juste part des profits qui seront tirés de son sous-sol ? Et puis, comment la ruée vers le Nord se fera-t-elle, concrètement ? La province va-t-elle privilégier le développement des petites communautés ? Ou va-t-elle s'appuyer sur une armée de travailleurs volants ?
Considérons les redevances. Le ministre des Finances, Raymond Bachand, affirme que le Québec s'est doté de l'un des régimes miniers les plus exigeants au monde.
Il est vrai que le taux des redevances sur les profits des mines grimpera de 12% à 16% d'ici 2012. Québec a aussi éliminé certaines déductions qui réduisaient de façon significative les profits, mais pas toutes.
«On pense qu'on a atteint probablement le seuil où on va chercher notre juste part, le plus d'argent possible, mais en s'assurant de ne pas mettre en danger les investissements qui s'en viennent», a dit le ministre Bachand cette semaine.
Toutefois, avec les 11 projets d'investissement totalisant 8,2 milliards attendus au Nord, le Québec touchera seulement 120 millions de plus en redevances d'ici cinq ans. Au total, les redevances s'élèveront à 1,4 milliard sur cinq ans, soit un peu moins de 300 millions par année, en moyenne. Même si ce montant devrait croître lorsque les projets atteindront leur pleine production, cette somme semble peu élevée eut égard aux profits.
La plupart des régions minières du monde comme l'Australie, le Chili, le Brésil et le Nevada sont en train de revoir leurs rapports avec l'industrie. Soit en haussant leurs redevances, soit en augmentant leurs participations dans des sociétés d'État hybrides, comme le Brésil l'a fait avec Petrobras.
Les sociétés minières font actuellement des profits faramineux sur des ressources limitées. Dans le contexte, ce sont les gouvernements qui ont le gros bout du bâton, et non l'inverse. Surtout dans les régions qui connaissent la stabilité politique. Affirmer l'inverse, c'est entretenir cette vieille mentalité selon laquelle les Québécois sont des porteurs d'eau.
En Australie, qui n'a rien d'un pays communiste, les redevances s'appliquent sur les «super profits», les profits passé un certain seuil de rendement. Ainsi, le pays goûte au boom minier.
Cette taxe, de 40% lors de son introduction il y a un an, a été réduite à 30% à la suite des vives protestations de l'industrie. Son taux effectif est de 22,5%, après les déductions.
Les Australiens semblent toutefois regretter cet adoucissement. Et le Parti vert, qui prendra le contrôle du sénat en juillet, s'est engagé à relever le taux des redevances à 40%.
Dans un article récent, les chercheurs Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu critiquent le taux de redevances constant sur tous les minerais, quelle que soit la valeur de la ressource extraite du sol. Ils prennent en exemple l'or, dont le prix va de sommet en sommet. «Une telle pratique donne des résultats inacceptables, laissant aux exploitants d'une ressource qui appartient à tous les Québécois une part indue des profits», écrivent-ils.
Bref, c'est une question que le Québec devra soupeser avec grand soin. Compte tenu de ses finances publiques délabrées, la province n'a pas le droit à l'erreur.
L'autre question que le Plan Nord esquive, c'est l'occupation du territoire. Ces grands projets nécessitent des infrastructures, des travailleurs et des logements, dont il y a déjà un manque criant. Les logements projetés par le Plan Nord ne combleront même pas le déficit actuel.
Par ailleurs, les mines emploient des travailleurs qualifiés. Ces postes pourront difficilement être comblés localement, du moins à court terme, notamment en raison du taux de décrochage très élevé dans les communautés autochtones (70% chez les Naskapis, 81% chez les Inuits, 92% chez les Cris). C'est un drame sur lequel le Sud ferme les yeux.
Là où Terre-Neuve a créé, dans les années 60, la dynamique communauté de Labrador City autour du projet minier de la Compagnie minière IOC, Québec semble privilégier l'approche de travailleurs itinérants, surnommés «fly in, fly out». Leurs horaires peuvent ressembler à ceci : huit journées de travail suivies de six jours de congé.
Mais ces travailleurs, souvent des hommes célibataires et sans enfant, n'enrichissent pas toujours les communautés locales, étant logés dans des dortoirs d'entreprise et dépensant l'essentiel de leur paie au Sud. Ces travailleurs peuvent aussi créer du désordre dans les communautés nordiques, si l'on se fie à l'expérience australienne, où des problèmes d'alcoolisme, de violence et de prostitution sont documentés dans les villages miniers éloignés.
De quel Nord veut-on au juste ? Alors que le Québec entrevoit son Eldorado, c'est le temps ou jamais d'y réfléchir.


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