Élections: les absents ont toujours tort

Le Québec est plus isolé qu'il ne l'a jamais été.

2 mai 2011 - Harper majoritaire


(Montréal) La poussière n'a pas fini de retomber à la suite des élections de lundi, qui ont refaçonné à la dynamite le panorama politique du pays. Mais, un constat s'impose déjà. Le Québec est plus isolé qu'il ne l'a jamais été.
Triste ironie que ce résultat. Après une aventure de 20 ans avec le Bloc québécois, le Québec s'est débarrassé du carcan de la question nationale, ce prisme qui déformait tous les enjeux nationaux. Alors que les positions se polarisent entre la droite et la gauche, le Québec s'est donné la liberté de juger de ce qui constitue un bon gouvernement.
La place du Québec dans le Canada n'est pas une affaire classée pour autant. Et le nationalisme québécois est loin d'être mort, qu'on se comprenne bien. Cependant, les Québécois en ont ras le bol de voir leurs députés se cogner la tête contre un mur à Ottawa. C'est vain. Le monde tourne, la Chine, l'Inde et le Brésil redessinent la planète. Peut-on enfin passer à autre chose?
Les Québécois ont tourné le dos au Bloc québécois pour en finir avec cette impasse. Ils se sont jetés dans les bras du NPD. Son chef, Jack Layton, a mené avec sa canne qu'il aime faire tournoyer une campagne positive qui est allée au coeur des préoccupations de citoyens qui se voient comme les laissés-pour-compte de la reprise. Peut-on faire preuve d'un peu plus de compassion dans une économie où la distribution des revenus est de plus en plus inégale? C'est avec ce message que le NPD a séduit le Québec.
Aucune région au pays n'a bu autant de Kool-Aid orange. Avec pour résultat que 58 des 75 députés de la province sont néo-démocrates. Et que plus de 55% des 102 députés néo-démocrates du pays viennent du Québec.
Cela va poser un problème au NPD, la nouvelle opposition officielle. Une fois l'euphorie de lundi passée, le parti de Thomas Mulcair devra défendre les Québécois tout en n'ayant pas l'air trop sympathique à la cause du Québec au Canada anglais.
Déjà, dans la presse torontoise, on accuse le NPD de s'être prostitué. En évoquant la possibilité de rouvrir la Constitution canadienne pour que le Québec y adhère. En suggérant que la loi 101 s'applique aux entreprises de compétence fédérale en sol québécois.
Mais cette vague orange va surtout se retourner contre le Québec. La province ne compte plus que six députés conservateurs, après avoir perdu cinq circonscriptions, dont celles des ministres Lawrence Cannon (Affaires étrangères), Josée Verner (Affaires intergouvernementales) et Jean-Pierre Blackburn (Anciens Combattants). Ont résisté les ministres Christian Paradis (Ressources naturelles) et Denis Lebel (Agence de développement économique du Canada pour le Québec).
Même avec le retour probable de Maxime Bernier, qui a perdu sa limousine en mai 2008 à la suite d'indiscrétions (rappelez-vous les documents confidentiels oubliés chez son ancienne amie Julie Couillard), la délégation québécoise ne pèsera pas lourd dans un caucus conservateur comptant 167 députés en tout.
Qui défendra le Québec? Qui défendra Montréal, alors qu'aucun député ne se trouve à moins de deux heures de route de la métropole? Pour la construction d'un pont de remplacement au pont Champlain, il faudra repasser!
L'on a une assez bonne idée des intentions du gouvernement conservateur sur le plan économique. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, n'a qu'à changer la date du budget qu'il a déposé le 22 mars. Tout en y ajoutant la compensation d'environ 2,2 milliards de dollars que les conservateurs se sont engagés à verser à Québec en campagne électorale pour l'harmonisation de sa taxe de vente avec la taxe sur les produits et les services du fédéral.
Ce budget prévoit notamment une baisse du taux d'imposition des sociétés à 15%, dans l'espoir d'accélérer l'investissement et l'emploi. Et un retour au déficit zéro d'ici l'année financière 2014-2015.
Mais pour y arriver, les conservateurs entendent réduire les dépenses de 11 milliards de dollars sur quatre ans. Or, des économies de cet ordre ne s'obtiennent pas uniquement par attrition. Dans les négociations qui se tiendront dans les coulisses, qui défendra les programmes chers au Québec?
Et puis, il y a plusieurs dossiers brûlants où le Québec doit faire valoir ses intérêts. Du nombre se trouvent les garanties de prêt que les conservateurs ont fait miroiter à Terre-Neuve pour le développement hydroélectrique du Bas-Churchill, qui faussent le jeu de la concurrence dans le marché du nord-est des États-Unis.
L'ouverture attendue de la concurrence dans les télécoms à des sociétés étrangères qui rivaliseront avec Bell Canada et Vidéotron.
Le rôle de Montréal dans le développement des produits dérivés avec l'achat du parquet torontois par la Bourse de Londres.
L'avenir des chantiers maritimes Davie, à Lévis, qui est précaire en dépit de l'élection du député conservateur Steven Blaney.
C'est sans parler de la commission des valeurs mobilières nationale, qui verra le jour à moins d'une décision défavorable de la Cour suprême du Canada.
Devant ses supporteurs de Calgary lundi soir, Stephen Harper s'est montré rassembleur. Avec une magnanimité qui tranchait avec l'acrimonie de sa campagne, le premier ministre a souligné que son équipe gouvernerait «pour tous les Canadiens, même ceux qui n'ont pas voté pour» elle.
Hier encore, Stephen Harper a affirmé en conférence que son gouvernement travaillerait d'arrache-pied pour gagner la confiance des Québécois.
À la fin toutefois, une réalité toute plate demeure. Les absents ont toujours tort.
Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca
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Les conséquences sur la politique fiscale et la politique monétaire devraient être modestes à court terme puisque le gouvernement devrait adopter le budget qu'il avait déposé avant les élections. Les restrictions budgétaires au cours des prochaines années agiront comme un substitut partiel à une hausse de taux agressive. L'impact sur le dollar canadien ne sera donc pas aussi positif qu'on pourrait le croire en surface.
Avery Shenfeld, économiste à la Banque CIBC
Les conservateurs se retrouvent au pouvoir haut la main avec un gouvernement majoritaire, ce qui est très positif pour les marchés financiers (le dollar canadien a initialement bondi à la suite de la nouvelle). Ça ouvre la porte à une réintroduction du budget de mars et il devrait être largement le même.
Jennifer Lee, économiste de chez BMO
C'est la première fois que les conservateurs gagnent trois élections de suite et c'est un exploit qui permet au pays de rester sur le chemin qui favorise la croissance, les affaires et les marchés. (...) Le meilleur ami de l'investisseur est la certitude et les marchés favorisent les gouvernements qui embrassent la création de valeur et des taux d'imposition plus faibles. C'est exactement ce que les Canadiens ont livré lundi soir.
David Rosenberg, économiste chez Gluskin Sheff


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