Nous apprenons le décès de Louis Cauchy, directeur des communications à la FTQ. Louis était le père de Clairandrée Cauchy, qui a occupé le poste de rédactrice en chef de l’aut’journal au milieu des années 1990. Nos plus sincères condoléances à la famille au nom de l’équipe de l’aut’journal.
Les Cauchy père et fille, Louis et Clairandrée, ont signé dans les pages de l’aut’journal (15 mars 1995 – numéro 133) un article qui leur a valu le prix du journalisme d’Amnistie International dans la catégorie « Presse alternative ». L’article intitulé « Au nom du père : le film et la réalité » était basé sur une entrevue avec Gerry Conlon, ex-prisonnier politique en Irlande du Nord.
Nous reproduisons de larges extraits de l’article pour saluer le combat de cet infatigable défenseur de la cause des travailleurs et des peuples opprimés.
Les dessous des prisons britanniques
_ Au nom du père : le film et la réalité
Par Clairandrée et Louis Cauchy
Décembre 1993, un film coup de poing du cinéaste Jim Sheridan sort en salle. On y décrit le véritable coup monté dont furent victimes quatre jeunes originaires du nord de l’Irlande et de leurs familles, de la part des policiers, de la magistrature, du système politique et des services secrets de l’armée britannique.
Une bombe explose le samedi 5 octobre 1974 dans un pub de Guildford, en Angleterre, attentat revendiqué par l’Armée républicaine irlandaise. L’opinion publique britannique veut des coupables, les politiciens aussi; on leur en fabriquera donc de toutes pièces!
C’est ainsi que la vie de Gerry Conlon, 20 ans, personnage interprété par Daniel Day Lewis dans le film, basculera dans un scénario d’horreur qui le mènera en prison durant 15 ans pour un geste qu’il n’a pas commis… et que les autorités savent qu’il n’a pas commis! L’aut’journal a rencontré Gerry Conlon, de passage à Montréal, le 28 février dernier.
Son opinion sur le film de Sheridan est quelque peu mitigée. « J’ai comme perdu le contrôle de mon histoire quand Hollywood s’est impliquée à coups de millions », déplore-t-il. « Un des éléments que je voulais y voir développé, c’était l’état de détresse extrême et de peur où tu te trouves dans une cellule d’isolement, complètement perdu et, surtout, hors de portée d’oreille des autres prisonniers lorsque les gardes te passent à tabac. »
La loi sur la prévention du terrorisme
Ce n’est que quelques jours après l’adoption par le Parlement britannique d’une loi autorisant la détention incommunicado durant sept jours (alors que le maximum était auparavant de deux jours) de toute personne soupçonnée de terrorisme, que Gerry Conlon, Paul Hill, Paddy Armstrong et Carole Richardson, maintenant connus comme les « Guildford Four », furent arrêtés.
« Sans cette loi, ils n’auraient pas pu nous arracher notre signature par la torture sous des confessions forgées de toutes pièces », affirme Conlon qui souligne que Paul Hill a été la première personne arrêtée en vertu de cette loi d’exception.
Arrêtés en décembre 1974, les Guildford Four ne seront condamnés qu’en octobre 1975 pour l’attentat de Guildford. En mars 1976, la tante de Gerry Conlon ainsi que son père Guiseppe et cinq autres membres de sa famille (Maguire Seven) seront arrêtés et accusés de possession de nitroglycérine en vue de fabriquer des bombes. Les seuls éléments de preuve déposés contre eux étaient des traces de glycérine (donc de savon) prélevés sur leurs mains et… sur les gants de vaisselle de la tante de Conlon!
« Ils savaient que nous étions tous innocents, et le seul fait que des membres des services secrets de l’armée britannique m’aient interrogé que durant 20 minutes le confirme », nous dit Gerry Conlon. « Si nous avions réellement été ce qu’ils disaient, c’est-à-dire des fabricants et des poseurs de bombes professionnels pour le compte de l’IRA, il est évident qu’ils m’auraient interrogé durant des jours pour me faire sortir des noms, des adresses, etc. Et d’ailleurs, je n’ai jamais revu ces gens-là par la suite. »
Garder sa dignité en prison
« Il y a des choses qu’ils peuvent t’enlever en prison, comme tes vêtements, la liberté; mais ils ne peuvent t’enlever ta dignité! »
« Tu es assis complètement nu dans ta cellule et ils (les gardiens) te poussent de la nourriture sous la porte, sans qu’il n’y ait aucun contact; ils lisent ton courrier et ils connaissent tes choses les plus intimes, les plus personnelles, dont ils se servent pour se moquer, pour abuser de toi.
« Mais tu dois conserver ta dignité à travers tout ça, parce que si tu baisses les bras, la honte que tu vas éprouver à l’intérieur de toi-même va être pire que tous les abus dont tu peux être victime. Si tu abandonnes ce combat pour la dignité, comment vas-tu pouvoir faire face à ta famille par la suite, sachant que tu as supplié des gardiens, que tu as pleuré devant des gens qui ont craché sur ta propre famille.
« Tu sais, quand je me suis trouvé en cellule d’isolement après la mort de mon père, ils ont continué sans cesse à me rappeler sa mort et à me dire que lorsque tu es un prisonnier IRA, tu sors de prison dans une boîte au lieu de franchir les grilles sur tes deux pieds.
« Donc, je pense que si on avait abandonné notre dignité durant ces quinze années en prison, nous n’aurions jamais trouvé la force nécessaire pour mener la campagne que nous avons menée pour recouvrer notre liberté. La prison est une société très complexe où l’affection, l’amour, la compréhension de l’autre sont considérés comme des signes de faiblesse, tant par la population des détenus que par les gardiens. Et cette supposée faiblesse, si tu la montres, ils vont bûcher dessus encore et encore, jusqu’à ce que tu exploses. »
Présumé membre de l’IRA : la prison dans la prison
« Être identifié à un prisonnier membre de l’IRA, c’est un facteur majeur de stigmatisation parce qu’on te place en haute sécurité, parce que tout le monde te connaît.
« Tu es distinct des autres prisonniers par le type de cellule où on te place, par les gens avec qui tu peux communiquer, par le type de visites auxquelles tu as droit et même par le type de livres que tu as le droit de lire. Ces conditions vont bien au-delà du statut de simple prisonnier.
« Et tu sais que tout le monde en prison sait qui tu es, ne serait-ce que par l’imposante escorte de quatre à cinq gardes avec chien qui t’accompagne dans tous tes déplacements. Tu es donc le point de mire de tout le monde et tu te fais dévisager par des gens dont tu ne sais pas lequel va t’agresser, et quand.
« Les gardiens se font d’ailleurs un devoir de répandre la nouvelle comme une traînée de poudre lorsqu’un présumé membre de l’IRA pénètre dans l’enceinte de la prison. Nous l’avons vécu, tout particulièrement au début de notre incarcération; ils (les gardiens) faisaient clairement savoir aux prisonniers britanniques qui il fallait attaquer.
« Des gens entrent en prison tous les jours et personne ne les connaît; c’est seulement un autre type qui entre avec l’uniforme gris traditionnel et qui se fond dans l’ensemble.
« Mais quand tu entres comme membre présumé de l’IRA, ou condamné pour un crime relié à l’IRA, on te flanque un uniforme brun avec une longue bande jaune sur le côté et de larges morceaux de tissu jaune dans le dos, tout comme pour les Juifs dans les ghettos ou le camps de concentration à qui on imposait une grosse étoile jaune sous le régime fasciste de Hitler. »
19 octobre 1989 : la libération
Après 15 années passées dans 14 geôles britanniques, Gerry Colon recouvre enfin sa liberté le 19 octobre 1989, mais quelle liberté!
« À mon retour à Belfast, ma famille et moi avons continué à recevoir des menaces et à subir l’intimidation, tant de la part des patrouilles britanniques que de la RUC », soutient Gerry Colon.
Celui-ci relate un épisode où, circulant à Belfast, une patrouille britannique l’a arrêté pour un supposé contrôle d’identité et en a profité pour ameuter les passants sur qui il était, et pourquoi il avait été condamné.
« J’ai même éprouvé des problèmes à entrer au Canada, probablement parce que mon nom figurait sur une liste, et pourtant le fonctionnaire qui a effectué mon contrôle d’identité était lui-même un réfugié… et il m’a demandé un autographe par la suite! »
(Encadré : L’apartheid déguisé)
Guiseppe Conlon, père de Gerry Conlon, est mort le 23 janvier 1980 à la prison de Parkurst. Il a été doublement victime du système imposé par les Britanniques. Non seulement a-t-il passé quatre années de sa vie en prison injustement, mais aussi a-t-il subi les politiques discriminatoires en matière d’emploi.
Guiseppe Conlon est mort d’une tuberculose provoquée par l’inhalation de substances toxiques au cours des nombreuses années où il a travaillé à repeindre des bateaux. Comme le spécifie son fils, Gerry Conlon, « seuls les Catholiques étaient embauchés au chantier maritime où il travaillait, car ils ne trouvaient pas d’autre emploi et aucun Protestant ne voulait de la job ». C’est sans masque que le père de Gerry Conlon maniait des substances à forte teneur en plomb.
Cela ne figure dans aucune constitution, mais les Irlandais catholiques sont systématiquement victimes de discrimination lorsque vient le temps de se chercher un emploi. Malgré la politique du Fair Employment (amorcée en 1976) visant à réduire l’écart entre les Catholiques et les Protestants en matière d’emploi, le taux de chômage reste deux fois et demie plus élevé chez les Catholiques que chez les Protestants.
Une police sectaire
L’exemple de Guiseppe Conlon n’est d’ailleurs pas le seul cas de discrimination basée sur la religion. La police d’Irlande du Nord, la Royal Ulster Constabulary (RUC) ne compte à peu près pas de Catholiques dans ses rangs.
Une enquête de la Commission Stevens a notamment prouvé qu’il y avait collusion entre la RUC et les paramilitaires protestants. Gerry Conlon dénonce cette collusion : « Il suffit d’une photo d’un supposé sympathisant de l’IRA qu’un policier passe en douce à un paramilitaire loyaliste pour que ceux-ci prennent comme cible sa famille, ses amis, ses collègues de travail, le pub qu’il fréquente… »
« Il n’y aura pas de paix durable tant que la RUC ne sera pas démantelée pour laisser la place à une force de police objective, non sectaire », a dit celui qui, même s’il n’était pas originaire d’un milieu très nationaliste, a appris à reconnaître la RUC comme l’ennemi à fuir.
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