Faire du funeste attentat contre la mosquée de Québec un levier politique risque d’attiser les tensions...
J’ai ressenti un certain malaise en écoutant les bulletins de nouvelles à la radio de Radio-Canada en lien avec la commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec. Ce ton, éminemment politique. Revendicateur.
Pareil malaise à la lecture du texte de Caroline Plante, de La Presse canadienne, publié dans L’Actualité, dont le titre résume la chose: «Attentat à la mosquée de Québec: une 3e commémoration à saveur politique».
N’en doutons plus, pour certains, la récupération politique de cet attentat est devenue un outil important dans la lutte contre la laïcité, contre la loi 21 votée par le gouvernement québécois.
Dans le texte de L’Actualité, toujours: «Ne me dites pas que cette commémoration, ce soir, n’a rien de politique, parce qu’elle l’est.» Avec ces mots, le rappeur Webster venait d’encapsuler la journée de mercredi marquant le troisième anniversaire de l’attentat perpétré contre la grande mosquée de Québec.
Imaginons un instant que le mouvement indépendantiste récupère l’autre funeste attentat de la décennie, celui perpétré contre les péquistes réunis à Montréal le soir de l’élection de 2012, celui qui a coûté la vie d’un homme, en a meurtri un autre... Par la providence, l’arme du tueur s’est enrayée. La nouvelle première ministre était tout près.
On ose à peine imaginer ce qui se serait produit si...
Je serais le premier à dénoncer toute récupération politique de cet attentat politique. Au même titre qu’il faudrait dénoncer quelque amalgame que ce soit entre le tueur et les anti-nationalistes.
Les gens qui critiquent l’islam politique, militant, ne sont pas des Bissonnette. Pas plus que ceux qui dénoncent tout nationalisme, qui luttent contre les indépendantistes ne sont pas des Richard Henry Bain en puissance.
Au discours très politique de Webster, j’opposerai la réponse puissante, pertinente, de Victor Teboul, Égyptien d’origine. Ce dernier a enseigné l'histoire des communautés culturelles à l'Université du Québec à Montréal et a été conseiller en communications au ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles.
En voici quelques extraits :
«J’estime que tu instrumentalises cet horrible assassinat pour faire avancer des idées trompeuses.
Même s’il s’agit d’un attentat terroriste comme tu l’affirmes, n’oublions pas qu’il s’agit de l’acte criminel d’un seul homme, qui a été condamné à la prison à vie par les tribunaux. Ne faut-il pas aussi rappeler que son acte odieux a été condamné par le Québec tout entier, comme on a pu le constater lors des manifestations de soutien à la communauté musulmane, dans les heures et les jours qui ont suivi l’attentat?
Que la commémoration du 29 janvier 2020 ait eu lieu dans une église n’est-ce pas en soi révélateur de la solidarité que manifestent les citoyens et les citoyennes de la ville de Québec avec la communauté musulmane?
Dans ton discours prononcé lors de la commémoration, tu as parlé d’islamophobie, mais j’aimerais que tu me dises de quoi parles-tu au juste, lorsque tu emploies ce terme? Du fait que nous critiquons les fondements extrémistes de l’islam dont le voile – qu'il soit intégral ou non – est un symbole? Je te défie de me nommer un seul pays musulman, où les femmes le portent volontairement ou par obligation, qui respecte les droits de la personne et la liberté d’expression dont tu jouis en terre québécoise.
Comme tu le sais, des musulmans et des musulmanes critiquent dans le monde libre les formes extrêmes de la religion musulmane, comme des juifs et des chrétiens dénoncent l’extrémisme qui se manifeste dans leur propre religion.
Si le fait de critiquer l’islam et certains symboles qui véhiculent – ou même promeuvent – des formes extrêmes de la religion musulmane me qualifierait comme étant un islamophobe, alors, oui, je suis islamophobe.
Selon ce raisonnement, je serais donc un antisémite si je critiquais certaines politiques du gouvernement israélien ou certaines pratiques du fondamentalisme juif. Tu vois où nous conduit ce type de raisonnement : il nous conduit tout droit au bâillonnement de l’esprit critique et de la liberté d’expression parce qu'il vise à disqualifier l'interlocuteur en l'accusant de raciste et en mettant ainsi fin à toute discussion possible.
D'ailleurs, lorsque tu parles de racisme, de quoi parles-tu au juste ? Vois-tu, moi aussi, j’ai combattu le racisme et l'antisémitisme; je combats dans mes écrits et dans mes actions toutes les formes d'exclusion, comme je le fais en publiant depuis dix-huit ans, sans aucune aide financière de la part d’organismes privés ou publics, un magazine en ligne qui porte pour nom Tolerance.ca. Mais je le fais aussi en défendant un esprit critique que l'on doit exercer envers toutes les religions et tous les dogmatismes, quels qu’ils soient, y compris envers ceux qui adoptent le discours de la bien-pensance, sous le couvert de la diversité.
J’ai remarqué aussi que ton discours a été couvert largement et objectivement par les médias québécois – considères-tu ce traitement raciste?
J’ai constaté également que de grands éditeurs québécois publient tes ouvrages dans lesquels tu exprimes librement tes points de vue sur l’esclavage et que tu es aussi le co-auteur de manuels destinés aux élèves du secondaire. Est-ce que cette reconnaissance de la part des éditeurs et du monde de l'enseignement québécois correspond à une attitude raciste ?
Comment ne pas remarquer aussi que tu prononceras des conférences en février 2020 dans trois bibliothèques et un centre culturel où tu t’adresseras librement sur ton sujet favori, soit l’esclavage et la présence africaine en terre québécoise.
Ces invitations que tu reçois pour t’adresser à des Québécois de toutes origines, seraient-elles aussi motivées par du racisme? »
On me pardonnera ce long aparté, mais il me semble sain et nécessaire. Surtout, il établit ce principe absolument inaliénable, ce droit que nous nous devons de défendre avec vigueur, celui d’exercer «un esprit critique envers toutes les religions et tous les dogmatismes, quels qu’ils soient, y compris envers ceux qui adoptent le discours de la bien-pensance, sous le couvert de la diversité».
Large appui à la laïcité dans la population québécoise
En terminant, et de façon plus générale, quand j’entends les militants anti-loi 21 répéter que cette loi est «raciste», «xénophobe», «islamophobe», je me demande sincèrement sur quelle planète ils vivent.
Je les inviterais à consulter ce énième sondage qui pointe dans la même direction que les autres en cette matière, soit celui de la firme Angus Reid, pancanadien, sur les questions «sociales», comme la laïcité (secularism en anglais).
Ce que l’on remarque, c’est que le principe général de la laïcité (la pratique de la religion devrait être tenue hors de la sphère publique) est appuyé par plus de la moitié des Canadiens dans l’ensemble et par 79% des Québécois.
Sur la question plus précise de l’interdiction des signes religieux pour les employés du secteur public, donc la laïcité effective, le Québec fait bande à part. 62% des Québécois appuient le principe alors que la moyenne pour les autres provinces est de 38% d’appui.
On est quand même très loin d’un rejet massif du principe et l’adhésion à l’esprit de la loi 21, au Québec, même après un an de militantisme intense des opposants à celle-ci, ne s’est pas démontée.
Peu de dossiers ont réussi à générer pareil assentiment collectif au Québec depuis 40 ans.