Décidément la monarchie belge ne va vraiment pas bien. Lors de la présentation des voeux de Nouvel An par le roi son père aux “Corps constitués” (Parlements, Magistrats, Gouvernements...), le Prince Philippe a interpellé assez durement et presque grossièrement deux journalistes flamands, l’un rédacteur en chef du journal De Morgen et l’autre responsable de la télévision flamande privée VTM, parce qu’ils avaient relaté en termes très critiques l’attitude du Prince héritier Philippe de Belgique lors d’une tournée commerciale en Afrique du Sud (en mars 2006). Le Prince a été jusqu’à dire au responsable de VTM : “Je ne vous saluerai plus et vous n’entrerez plus au Palais”.
Une suite d’incidents qui disqualifient le Prince-héritier
Le Premier ministre fédéral belge lui a adressé via la voie officielle (lettre au chef de cabinet du roi), de vives remontrances et, dans le monde politique, même les royalistes à tous crins du Cdh (anciennement parti social-chrétien, traditionnellement le plus royaliste), ne peuvent accepter que le fils du roi fasse pression sur la presse et menace des journalistes.
Cela intervient dans la foulée d’une série d’incidents qui l’ont souvent affronté avec la presse flamande: en décembre 2004, en Chine, il menace de se mettre au travers de la route du Vlaams Belang (parti fascisant), ce que peut-être on ne lui reprocherait pas, mais il ajoute aussi : contre ceux qui sont séparatistes. Et ces derniers mots ne passent pas. En mars 2006, il est critiqué justement pour cette tournée en Afrique du Sud où il fait preuve, selon les journaux flamands, de gaucherie, de maladresse, ne reconnaît pas des hommes d’affaires importants de la délégation belge, etc. Il tente de se rattraper dans une interview parue dans La Libre Belgique, mais c’est une interview remise par écrit où il écrit qu’il lit les philosophies pour comprendre le monde, ce qui fait rire les gens. Il vient donc de menacer de ne plus recevoir des journalistes au Palais. En outre, mercredi, dans le journal Le Soir, par réelle coïncidence, le chef des réunionistes wallons Paul-Henry Gendebien relatait deux incidents qui s’étaient déroulés à l’étranger dont l’un en Roumanie où un ministre désireux de s’exprimer en français en avait été empêché implicitement par la délégation belge, sans que le Prince ne réagisse (or, si l’on peut comprendre que les Flamands ne veuillent pas entendre parler le français chez eux, à l’étranger, le français demeure tout simplement une langue nationale de la Belgique et il serait sans conséquences sur les Flamands les plus radicaux que cette langue soit employée par un officiel étranger si c’est la seule langue “belge” qu’il connaît). L’article de Gendebien a sans doute fait moins de bruit que l’incident que je viens de relater, mais il est significatif du fait que le Prince est très maladroit et finira par mécontenter tout le monde.
Une monarchie plus si populaire que cela
Contrairement à ce que l’on dit souvent, la monarchie n’est pas nécessairement plus populaire en Wallonie qu’en Flandre. Ainsi, en 1991, une enquête très approfondie menée par l’Université flamande de Louvain donnait les résultats suivants:
Plus près de nous, un sondage du journal Vers l'Avenir (19 octobre 2004) donnait ces résultats (seules Flandre et Wallonie sont prises en compte):
Question: Si votre région devient un Etat indépendant souhaitez-vous qu’elle soit une république? :
Flandre une république à 40%, la Wallonie une république à 36%.
Question: Si votre région devient un Etat indépendant souhaitez-vous qu’elle soit une monarchie?
Flandre une monarchie à 47%, Wallonie une monarchie à 46 %
73% de Wallons veulent garder la famille royale contre 55% de Flamands. Seule cette question engendre un écart significatif.
On veut réduire les pouvoirs de la monarchie belge
Or comme je l’ai rappelé dans plusieurs chroniques du samedi, la question de la réduction du rôle du roi est à l’ordre du jour. Au plan politique, ce sont les partis flamands qui sont le plus demandeurs dans ce domaine. Il est fort regrettable que le président du PS (et Président du Gouvernement wallon), soit le moins radical alors que son parti a une tradition républicaine. Quand on le lui fait remarquer, Elio Di Rupo dit que la Belgique est surréaliste! Ce qui est quand même un peu sot, surtout venant de la part d’un homme intelligent. Mais par exemple le plus important journal francophone Le Soir s’est prononcé clairement en faveur d’une monarchie protocolaire. Or les partis politiques, tant wallons que flamands, veulent, selon la procédure normale en Belgique, soumettre la Constitution à la révision durant la prochaine législature, notamment parce que certains veulent accorder plus de pouvoirs aux Etats fédérés, mais il se pourrait que les articles concernant le rôle du roi soient aussi révisés.
D’autres juristes estiment cependant que la réforme du rôle du roi ne demande pas de révision constitutionnelle. En effet, même si sans doute au départ de l’Etat belge en 1830, les bourgeois démocrates ne voulaient pas en réalité autre chose que cette monarchie protocolaire que certains réclament aujourd’hui, les rois, par intelligence politique, ont réussi à exploiter à fond les articles de la Constitution qui leur donnent des pouvoirs théoriques en vue d’en faire des pouvoirs effectifs, notamment lors de la formation des gouvernements fédéraux (la coutume – mais elle seulement – veut que le roi nomme un informateur, puis un formateur et on estime que c’est dans ces tractations qu’il est en mesure d’avoir le plus d’influence).
Cela changerait-il quelque chose?
Deux questions méritent d’être posées. Est-ce que cela changerait quelque chose que le roi soit officiellement réduit à un rôle protocolaire? Oui et non. Oui parce qu’en politique, le fait de dire les choses les changent et il faut bien avouer que tant les hommes politiques, que les juristes, une partie de la presse laissent planer l’équivoque sur le rôle du roi affirmant en même temps, paradoxalement, qu’il a du pouvoir (pour qu’il demeure quand même pris au sérieux), et dans le même temps qu’il n’en a pas (ce qui est dit pour le couvrir en cas d’échecs de la politique menée par ses ministres). Non parce que dans l’opinion publique règne l’idée (je m’en rends compte quand les élèves me posent des questions à ce sujet), que “le roi n’a pas de pouvoirs”, opinion étrange qui va de pair avec le sentiment que le roi est quelque chose d’important, mais symboliquement.
Le point fort du récent canular de la RTBB était la fuite du roi. On m’a raconté que certaines personnes, certes plus âgées, avaient eu le sentiment de revivre les deux guerres qui ont ravagé la Belgique, en tout cas une situation de détresse extrême. Donc si le roi demeure, il gardera cette aura symbolique, même si les politiques éteignent son influence.
Mais on peut poser une troisième question: pour qu’il garde son pouvoir symbolique, le roi ne doit-il pas quand même avoir du pouvoir réel? Il est possible que même chez les citoyens peu intéressés par la politique, on comprendra encore plus vite, si cette réforme de la monarchie est mise en oeuvre, que la monarchie n’a plus guère de poids.
Les symboles belges s’usent très rapidement
Or ceci met en cause la Belgique elle-même. Certes, ce n’est pas la dynastie belge qui fait l’unité belge, mais cette croyance existe. Et, derechef, si la dynastie perd son prestige, le sentiment que la Belgique fout le camp va s’accentuer, car c’est une autre loi de la vie politique et sociale que les croyances font advenir les choses (donc la disparition des croyances fait aussi disparaître les choses)
Depuis que la Belgique est devenue un Etat fédéral (et même avant), on disait que plusieurs choses maintenaient la Belgique unie: les deux universités sises à Louvain (l’une wallonne, l’autre flamande), mais elles se sont scindées. La Province de Brabant qui incluait en son sein à la fois une partie de la Wallonie, de la Flandre et la région de Bruxelles-capitale qui est bilingue (mais majoritairement francophone). Or elle a été scindée également (il existe un Brabant flamand, wallon et Bruxelles est à certains égards aussi une province). La monarchie est mise au rang de ces symboles. Elle ne va manifestement plus très bien. Le frère du Prince Philippe a quand même été mis en cause dans une affaire récente (peut-être injustement d’ailleurs). Il reste la sécurité sociale mais qui, elle, est bien plus que symbolique. Il se fait que comme la Belgique n’est un Etat fédéral que depuis peu, cette compétence demeure nationale ou belge, mais les Flamands voudraient que certains secteurs de cette sécurité sociale soient régionalisés, quitte à ce que le financement en demeure national.
Enfin, la vraie agrafe qui maintient la Belgique ensemble, c’est Bruxelles, la plus grande ville du pays dont l’agglomération réelle déborde largement sur la Wallonie et la Flandre même si elle est confinée au territoire étroit de la région bruxelloise. Or récemment, j’en ai parlé aussi, a été publié un Appel de personnalités bruxelloises vraiment représentatives et qui – sans nullement être séparatistes, loin de là! - souhaitent quand même que Bruxelles devienne une région à part entière et se sépare en quelque sorte de la Communauté française de Belgique qui regroupe pour certaines matières les Wallons et les Bruxellois francophones. Avant même cet Appel bruxellois, la Communauté française (qui a elle aussi des relents d’unitarisme et sa suppression, je l’avoue bien franchement, est un des combats de ma vie), donnait des signes de faiblesse et d’ailleurs, cela depuis longtemps.
Bref, la Belgique va mal, tant mieux pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles! Ces trois entités sont certes la Belgique. Oui. Mais si elles demeurent unies par les liens qu’elles veulent librement nouer, la Belgique demeure-t-elle? A mon sens, non. On peut demeurer unis en ayant des liens: c’est le sens de la construction européenne. Et je dirais que l’idée que je viens d’exprimer est profondément ressentie par bien du monde en Belgique. En ce sens la construction de l’Europe unie ne joue pas en faveur de l’unité belge, c’est le contraire parce que le fédéralisme belge ou même le confédéralisme va dans le même sens que l’Europe même s’il a des aspects séparatistes. Il me semble que c’est la nouvelle donne du lien politique.
José Fontaine
PS : Les Parlements wallon et français doivent (et peuvent!!!) reconnaître que le Québec est une nation
Mardi soir, je confiais à un ami parisien qui me téléphonait que le Parlement wallon et l’Assemblée nationale française devraient eux aussi reconnaître que le Québec est une nation, la chose ne posant aucun problème juridique ni politique, puisque la Chambre des Communes l’a admis elle aussi. Mais symboliquement, ce serait quand même quelque chose de fort, qui se justifierait dans le cas wallon et français par le fait que des traités unissent ces deux pays au Québec. Je ne sais pas ce que la France fera. Pour le moment, en ce qui concerne la Wallonie, je suis peu optimiste. Les gens qui nous gouvernent sont pour le moment des couillons comme l’on dit en français régional, ce qui est une manière de dire qu’ils sont des couards. Mais l’idée vaut la peine d’être lancée et j’en profite pour le faire ici. Albert Salon, responsable du Forum Francophone International, a repris cette idée en m’en reconnaissant très courtoisement la paternité. J’en parlerai partout où je le pourrai. Vive le Québec libre! Vive la nation québécoise!
Décidément la monarchie belge ne va pas bien
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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