Défendre le français… mais aussi la chouenne de Charlevoix!

Défendre la langue de Molière, soit, mais il faut se préoccuper aussi des autres langues françaises du Québec et du Canada qui disparaissent à vive allure

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La chouenne, c'est pas d'la pitchaouinne !

À un moment où l’on polémique autour de la sauvegarde de la langue française et que certains craignent sa « tribalisation », j’ai pensé bon de partager avec vous quelques expressions pour défendre, au contraire, la diversité linguistique. C’est qu’à entendre ces discussions, je suis en démence. Et il y a de quoi à avoir une bonne faillette ! Pour vous donner une idée de ma crise, c’est pire que d’être dans un quatre roues à planches ou une échelette et de l’avoir dur avec des panses de vache ! On se fait berdasser pas mal… Ces personnes sont avenantes et courageuses d’affirmer vouloir défendre le français, mais toutes les langues méritent de survivre, et il faudrait se préoccuper des parlers régionaux.
La France a découvert trop tard les excès de son jacobinisme, le Québec devrait s’en souvenir. Pierre Perrault nous a mis sur la voie avec ses films. Défendre la langue de Molière est une chose, mais on devrait s’intéresser davantage aussi aux autres langues françaises du Québec et du Canada qui disparaissent à vive allure alors qu’elles font la richesse de ce pays.
Je dis tout de suite au lecteur que je ne veux pas me tirer un rang ni montrer un grand envoyement, mais rappeler combien le charlevoisien vaut la langue de Rabelais. Quel magnifique patrimoine qu’il faut, avec le joual et d’autres parlers, chérir et préserver. Voyons votre entendement.
Bigorne, kiouks, brimbale...
En arrivant au Québec, il y a vingt ans, j’ai d’abord appris à endurer l’hiver et à faire des amas. Quand le camion de bigorne arrive chez nous pour la cheminée, je calcule bien le nombre d’arrimes de la charge. Certes, les voleurs, les besins, les kiouk, les niaiseux, les salonippes, les mourons et les belones sont rares dans ce pays mais tout de même ! Et puis comme ma maison est placée en bisc-en-coin, cela n’aide pas car le vent fait de grosses falaises près de la brimbale. Je fais des réserves pour mon callbrett, au moins pour tenir jusqu’à la bordée-des-oiseaux ou le revers des corneilles. Et pas de carvelles dans le bois à cause que ça brûle pas ! D’ailleurs, on m’a conseillé d’acheter plutôt du bois foireux chat-en-poche et de le hangarer, ou de le bûcher moi-même. Malheureusement, n’étant pas bien emmanché, je dois me résigner à transporter le cartel de bois sur un traineau. Je tire le diable sans harcer-du-cul. C’est certain que je ne prends pas de chance, et c’est pour cela que j’ai fait l’acquisition d’une bonne bigoune. À l’intérieur de ma maison, je passe mon temps à aganter mes animaux, il faut les habituer à voir de nouvelles faces et je découvre que les marcous de ce pays sont bien plus gros que ceux de la vieille Europe !
À propos de jardin, on m’a dit d’acheter un broc et de planter du blé pour ramasser des biseaux, hormis qu’il nous faudrait une moulange. Je pourrais alors faire des pains en bourzaille, y mettre un peu de brulette. Mon épouse, elle, préfère faire des pets-de sarrasin ou des tarteaux. Je ne veux pas l’emmichouenner mais elle accomplit d’excellentes choses et on se remplit bien la gagaouette. Je ne cherche pas à l’empicheter mais je suis un galafre. J’aime la soupe à l’ivrogne, la soupe aux gourganes, la terrinée et ce genre de tambane. Par contre, je me méfie toujours du jambon, sauf s’il est fait avec des souronnées.
Quand je vais me promener sur le fleuve, y a pas de trous chauds mais je dois faire attention aux cailles et à celui qui tient la fourcat. Je prends mes précautions pour ne pas embarquer un cofion ou un égarouillé, autrement je pourrais me retrouver à l’eau et là faut se débrager. Et puis quand je pars en campagne, je place des regiboires pour l’automne. Mon grand-père qui a eu un beau règne disait qu’après l’empirement du temps à l’automne il y a réparement du temps, il faut donc en profiter.

Bliner, dégrimoner, pioucher...
L’autre soir, j’ai eu de la grande visite. Il y a eu du bardas. On a brouillé l’eau pas mal. C’est vrai qu’on était un peu bésette mais pas de quoi bliner ! On a parlé d’un tas de choses ce soir là et une chance, personne n’a fait une bourrée-de-carottes. Faut dire que le corne-en-cul était délicieux. La charpette aussi. On a bien tenu le coup car il y avait de quoi gambetter ou de s’engatter facilement. En fait, on a tous failli coucher sur le ravaud. Le père Pacaud, lui, avait peur de tomber dans le pendant de la rue. Et puis heureusement que je lui ai dit qu’il avait embelle, sinon on y serait encore ! Comme c’est un incommode, je lui ai murmuré : « Eh, mon gars, monte l’horloge et brasse la poche du chien. » Enfin, je ne suis quand même pas entable ni grattine, ni malavenant mais il fallait bien qu’il parte se coucher ! Moi, cela me dégrimone de voir cela. Quand on tombe sur un cave, ça me donne envie de te le grémir. J’en perds un pain de ma fournée. Croyez-vous que je dépeletonne quand je dis cela ? Ça se peut.
Ces jours-ci, ma maison est en gandole. J’ai l’air d’un menique qui a le fourcat à terre. J’ai froid à la tête. J’ai besoin d’une menterie pour un pompon. Autrement, je risque de tomber malade et de me faire opérer de la grosse ouvrage. Je me suis éveillé tout en sueur la nuit dernière, j’ai eu le pesant de cela. Et ma dame me dit d’arrêter de bretter ! C’est fort ! Moi je ne lui dis pas qu’elle est toute débiscaillée ! Excusez, chu un peu brûlé !
L’autre jour, je lui ai dit d’arrêter de pioucher si elle veut un jour lâcher-la-queue-de-la-chatte et ne pas devenir une marraine-salope. J’aimerais bien quand même qu’on puisse moucher le bébé pour qu’il ne soit pas morveux. Elle me rétorque que moi je piaque quand je déguste un piron. Elle m’accuse de chabailler, enfin je veux dire chobeiller quand je me fais un sang de punaise.
Bon, fini de pétucher, on me huche. Un dernier point. Souvenez-vous que « l’argent du diable tourne en son ». J’arrête de vous faire étriver, c’est le mal des bons esprits. Mon père, lui, me disait toujours que prendre sa quenoche ou se renfionner, c’est pareil. À vous de voir si ce sont des menteries. Oh, et procurez-vous le petit livre de Jean Moisan « La chouenne de Charlevoix », c’est un trésor.

Squared

Frédéric Laugrand1 article

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Anthropologue, Université Laval, directeur de la revue Anthropologie et Sociétés





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