Wokanada: sortons de ce pays qui a perdu la raison

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« De plus en plus de fédéralistes “ à l’ancienne ” conviennent qu’ils se reconnaissent de moins en moins dans ce pays et confessent leur basculement mental vers le Oui. »


Les Québécois, nous le savons, ne sont pas des Canadiens et, au fond d’eux-mêmes, ils savent que le Canada n’est pas leur pays, et qu’il ne le sera jamais. Ou, plus exactement, qu’il ne le sera jamais plus. Le Canada tel qu’il existe n’a plus rien à voir avec le pays que nos ancêtres ont fondé avec Champlain en 1608 et auquel faisait référence François Legault dans son message d’aujourd’hui sur Facebook. Et si l’État fédéral a systématiquement pillé l’univers symbolique du vieux Canada pour se construire artificiellement une personnalité collective, en s’emparant d’abord de son nom, puis de son hymne, puis de son histoire, puis de mille et un symboles, c’était pour mieux trahir sa nature et ses fondements. Nous savons que nous ne sommes pas Canadiens et, d’ailleurs, nous ne célébrons pas le 1er juillet. Cette fête nationale n’est pas la nôtre. Elle ne nous engage pas.  


Les arguments pour sortir du Canada sont nombreux, connus, et je n’entends pas les récapituler. Rappelons simplement qu’ils tiennent pour l’essentiel dans un constat élémentaire: dans ce pays, nous sommes condamnés à la régression démographique et à devenir une fois pour toutes une minorité folklorique, une communauté parmi d’autres dans la diversité canadienne. Nous n’avons jamais contrôlé ce pays en fonction de nos intérêts et, notre poids diminuant sans cesse, nous le contrôlerons de moins en moins, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas moyen d’y faire une belle carrière, pour peu qu’on décide de servir le régime et de faire le pari du fédéralisme rentable. Et ne nous laissons pas bluffer par la passion soudaine d’Ottawa pour le français. Plus le Canada s’anglicise définitivement et traite le français comme une langue optionnelle, plus il est vu comme un obstacle à la diversité, comme on le dit pudiquement, plus le gouvernement fédéral se porte à son chevet comme à celui d’une langue en danger qu’il prétendra sauver. Au Canada, le français a le destin d’un bibelot. 


Il suffit de connaître un peu d’histoire et de savoir compter pour devenir indépendantiste, aujourd’hui. Certes, depuis un quart de siècle, avec deux grosses défaites référendaires dans le corps, les Québécois ont préféré se détourner de la question nationale dans sa forme classique, même s’ils n’ont jamais cessé de défendre leur identité, comme en témoigne leur opposition au multiculturalisme et à la logique des accommodements raisonnables, qui crée une société fragmentée où il est même possible, ne l’oublions jamais, de prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la complicité de la classe politico-médiatique qui y voit un signe de progrès. Plus se déploie la logique du régime de 1982, qui sacralise le multiculturalisme au point d’en faire une religion d’État, moins la différence vitale du Québec est tolérée en ce pays. Ce conflit de vision entre le Québec et le Canada n’a fait que se radicaliser ces dernières années avec la transformation du Canada en «Wokanada» – car le Canada est vraiment devenu le laboratoire du wokisme à l’échelle occidentale. Il s’y déploie sans résistance.


Les derniers mois nous en auront donné une frappante confirmation: que l’on pense à la position honteuse de Justin Trudeau dans la controverse internationale entourant Charlie Hebdo et la décapitation de Samuel Paty, lorsqu’il s’est rangé avec le parti de la censure et de la soumission devant l’islamisme, ou encore à celle qu'il a adoptée lors de la crise universitaire, à Ottawa, lorsqu’il a basculé dans le délire woke qui consiste à voir du racisme partout, surtout là où il n’y en a pas, en justifiant quasiment la cabale lancée contre Verushka Lieutenant-Duval. N’y voyons pas seulement le fait de Justin Trudeau: c’est la classe dirigeante canadienne dans son ensemble qui évolue dans cet univers mental. Le Canada devient un pays où la liberté intellectuelle – et plus largement la liberté d’expression – est compromise par un conformisme idéologique étouffant. À l’abri des caméras, de plus en plus de fédéralistes «à l’ancienne» conviennent qu’ils se reconnaissent de moins en moins dans ce pays et confessent leur basculement mental vers le Oui.


Le régime canadien ne nous pardonne pas d’exister et voit dans la résistance populaire spontanée, intellectuellement théorisée et politiquement déployée du Québec au wokisme une manifestation de l’intolérance congénitale qu’il prête à notre peuple. Le wokisme serait dans le sens de l’histoire et ceux qui y résistent seraient rétrogrades. D’ailleurs, tout est bon pour reconduire le procès de notre affirmation nationale, comme on l’a vu quand une bonne partie du commentariat canadien s’est autorisée à faire un lien entre l’attentat de London, en Ontario, et la loi 21. On revient à la logique de 1982: le Canada a renoncé à ses fondements historiques pour se définir exclusivement dans la matrice de l’utopie diversitaire – l’utopie diversitaire sous le signe de l’anglo-conformité, naturellement. Et le simple fait de s’y opposer nous vaut des accusations de racisme et de suprémacisme ethnique – et de racisme systémique à répétition, ne l’oublions pas. Ne nous faisons pas d’illusions: plus nous resterons dans le Canada, plus nous nous wokiserons, comme on le voit déjà chez les jeunes générations. 


Il faut dire que le Canada a une identité instable – c’est ce qui arrive quand un pays renonce à son histoire pour se définir comme une pure création idéologique. Aujourd’hui, il est quelque peu cyclothymique. Depuis les années 1990, il a voulu faire croire au Québec et au monde entier qu’il était le «plus meilleur pays du monde». Les Québécois étaient apparemment cinglés de simplement penser le quitter. Le Canada croyait représenter la prochaine étape dans l’histoire de l’humanité. Il s’offrait comme modèle au monde entier. Avec l’effroyable histoire des pensionnats autochtones qui remonte à la surface depuis quelques semaines, il passe de l’adoration de soi à la détestation de soi, au point de vouloir s’abolir, comme en témoigne le mouvement pour annuler la fête du Canada cette année. Le Canada bascule dans la cancel culture intégrale en voulant se «canceller» lui-même, alors qu’il devrait plutôt méditer sur son histoire sans vouloir s’anéantir symboliquement.


L’histoire des pensionnats est atroce: il s’agissait de réduire à néant l’identité des peuples autochtones. La politique globale dans laquelle elle s’inscrivait a profondément traumatisé les Autochtones, qui peinent encore aujourd’hui à s’en remettre. Mais le Canada ne résiste pas à la tentation de se décharger de sa responsabilité et de la faire porter au Québec, qui demeure le bouc émissaire absolu de ce pays. Faut-il vraiment rappeler que l’odieuse Loi sur les Indiens relève du racisme d’État et n’est rien d’autre qu’une traduction politique de la vision qu’a entretenue l’Empire britannique à l’endroit des populations qu’il colonisait à travers le monde et qui s’est institutionnalisée dans l’État fédéral canadien? On trouve même des benêts dans notre classe médiatique locale pour reprendre à leur compte l’idée que le Québec serait fondamentalement responsable, lui aussi, de cette politique: ces benêts sermonneurs qui représentent le bois mort de notre classe médiatique prennent leur inculture et leur manque de connaissance élémentaire de l’histoire canadienne pour de la lucidité. Comment peut-on sérieusement croire que les Canadiens français contrôlaient le Canada, alors qu’ils y étaient dominés et n’en maîtrisaient aucun paramètre? Et si on a évidemment trouvé des Canadiens français pour collaborer au régime fédéral à ce moment, c’était dans la mesure où ils s’y soumettaient ou étaient instrumentalisés par lui. Leur promotion individuelle se payait du prix d’un reniement de leur peuple. Ne faisons pas l’erreur de croire que cette stratégie de carrière n’existe plus. 


Inversement, l’État québécois, qui représente la continuité historique et politique de l’Amérique française au fil des siècles, a toujours entretenu une politique fondamentalement différente à l’endroit des Autochtones, et nous devons nous en faire une fierté. Notre responsabilité collective, comme peuple, se situe à l’échelle québécoise et non pas à l’échelle pancanadienne et fédérale: que ce simple rappel de bon sens passe aujourd’hui pour un propos scandaleux en dit beaucoup sur la perte des repères élémentaires de notre conscience historique. De Champlain à Bernard Landry, en passant par Honoré Mercier et René Lévesque, l’histoire de nos rapports avec eux s’inscrit dans une tout autre logique. Il faudra toujours rappeler qu’au moment où MacDonald persécutait les Métis, dans l’Ouest canadien, Honoré Mercier se solidarisait avec eux et parlait de son frère Riel. Cela ne veut pas dire que nos rapports avec les Autochtones sont immaculés: les rapports entre les peuples ne sont jamais angéliques. Cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas s’améliorer de mille manières. Cela veut dire que nous ne sommes pas coupables des crimes des Britanniques et de ceux qui ont poursuivi leur histoire au Canada. Il y a des limites à assumer les crimes des autres.


Alors, redisons-le en ce 1er juillet: nous ne sommes plus Canadiens depuis longtemps et nous ne le serons jamais plus, à moins de cesser d’être Québécois. Sachant ce que le Canada est devenu et sachant ce que le Québec ne veut pas cesser d’être, ces deux identités ne sont plus compatibles. Souhaitons, s’ils le veulent bien – mais le veulent-ils encore? –, une bonne fête nationale à nos voisins, souhaitons-leur de faire la paix avec eux-mêmes et d’avoir le courage d’aborder de front les injustices qui remontent aux origines du pays sans pour autant verser dans le wokisme intégral. Mais ce pays n’est pas le nôtre. Plus tôt que tard, nous nous en séparerons, et le peuple québécois sera enfin indépendant.




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