(Ottawa) Des ONG, groupes communautaires et organismes à but non lucratif sont sur les dents alors que le fisc canadien multiplie les vérifications sur les activités politiques d'organismes de bienfaisance.
La Presse a recensé près d'une dizaine de groupes à caractère progressiste qui font actuellement l'objet de telles vérifications au Québec et ailleurs au pays, dont les organismes Kairos, Amnistie internationale Canada, Canada sans pauvreté et le Centre canadien des politiques alternatives.
Ces vérifications s'ajoutent à celles révélées la semaine dernière, qui sont actuellement menées auprès de sept groupes environnementaux, dont Équiterre et la Fondation David Suzuki.
La majorité de ces organismes ont en commun d'avoir pris position contre des politiques du gouvernement conservateur de Stephen Harper.
L'Agence du revenu du Canada (ARC) affirme que les entités vérifiées sont choisies de manière aléatoire, en fonction de leurs déclarations fiscales ou à la suite de plaintes.
«L'identification des organismes de bienfaisance qui feront l'objet d'une vérification est faite en tout temps par les fonctionnaires de l'ARC», a affirmé un porte-parole de l'ARC, Philippe Brideau.
Mais plusieurs craignent qu'on n'utilise maintenant le fisc canadien pour affaiblir les opposants au gouvernement fédéral.
«Je n'admets pas l'argument qu'il s'agit d'un échantillon aléatoire», a tranché le directeur général du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA), Bruce Campbell. Le CCPA se décrit comme un institut de recherche non partisan sur les questions de justice sociale, économique et environnementale.
Règle des 10%
L'offensive menée par l'ARC s'inscrit dans la foulée du budget fédéral 2012, dans lequel le gouvernement a annoncé un resserrement du contrôle des activités politiques menées par des organismes de bienfaisance au Canada.
Une règle fiscale de longue date stipule que ces organismes, qui peuvent remettre des reçus d'impôts à leurs donateurs, ne peuvent consacrer plus de 10% de leurs ressources à ces activités politiques.
Dans son budget, Ottawa a réclamé des organismes plus de détails sur la nature de leurs activités politiques et il a donné plus d'argent à l'ARC afin qu'elle les surveille de plus près. L'Agence a utilisé ces fonds pour mettre sur pied une équipe spéciale.
Peur et intimidation
Les sanctions pour un organisme qui dépasse le maximum de 10% vont jusqu'à la révocation de son statut de bienfaisance. Sans numéro de charité, il devient plus difficile d'amasser des fonds; ainsi, la perte de ce statut peut signifier la disparition de certaines organisations.
Des groupes de partout au pays ont affirmé à La Presse qu'un climat de peur s'est installé dans le secteur des organismes de bienfaisance.
Ce sentiment est exacerbé par l'incertitude qui règne quant à l'interprétation que fait l'ARC de ce qu'est une «activité politique».
Selon des personnes interrogées, la compréhension dans le milieu a toujours été que cette restriction se limitait aux activités politiques directes, comme l'appui accordé à un parti. Elles craignent que l'Agence du revenu ait élargi son interprétation.
L'ARC rejette ces préoccupations «Les règles concernant les activités de bienfaisance permises existent depuis longtemps et ne font l'objet d'aucun changement», a déclaré un porte-parole.
Mais pour plusieurs, le mal est fait «Le vrai problème est l'effet d'intimidation que ça peut avoir sur une petite organisation comme la nôtre et la difficulté à savoir si on respecte leur règlement - et même à le comprendre», croit néanmoins Leilani Farha, directrice de Canada sans pauvreté. Le groupe de deux employés établi à Ottawa fait l'objet de vérifications depuis plus de deux ans.
Différentes réactions
C'est le réseau CBC qui a révélé l'existence de vérifications auprès de sept groupes environnementaux la semaine dernière.
Ces informations ont convaincu des groupes comme Canada sans pauvreté et le CCPA de parler ouvertement de leur expérience, «pour ne pas céder à l'intimidation et à l'isolement» et pour que «l'on comprenne que c'est plus large que le seul secteur environnemental».
Mais tous les organismes visés n'ont pas réagi de la même manière: quatre groupes québécois qui sont eux aussi la cible de ces démarches n'ont accepté de nous parler qu'à la condition de conserver l'anonymat.
D'autres, comme la section anglophone d'Amnistie internationale Canada ou l'Église unie du Canada (qui partage son numéro de charité avec l'organisme Kairos), n'ont pas voulu critiquer le gouvernement.
«En ce qui me concerne, nous étions dus», a déclaré Erik Mathiesen, chef de la direction financière à l'Église unie.
«Certains dans notre communauté spéculent que c'est relié aux positions de Kairos ou voient les choses de ce point de vue... Mais je pense que la Direction des organismes de bienfaisance [de l'ARC] fait son travail.»
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