Séparatisme sexuel en Israël

Des rabbins secouent les fondements de l'État juif

Sacré racisme...



Une autre menace est apparue, au sein même d'Israël, venant cette fois d'un «séparatisme» judaïque. Près de 300 rabbins y avaient, en décembre, appuyé un interdit, lancé aux Juifs de Safed, de louer ou vendre des appartements à «d'autres qu'à des Juifs». Voilà que plusieurs de leurs épouses viennent d'inciter les femmes juives à ne pas fréquenter en privé, ni côtoyer au travail, d'hommes «arabes».
La déclaration de Safed avait suscité la réprobation de dirigeants politiques et religieux, en Israël et à l'extérieur. Le message des épouses, visant les Arabes, a été accueilli plus fortement encore. L'ex-premier ministre et titulaire de la Défense, Éhoud Barak, l'a stigmatisé comme faisant partie «d'une vague de racisme, qui menace d'emporter la société israélienne en des endroits sombres et dangereux». À Safed, de jeunes ultrareligieux avaient placardé «Mort aux Arabes».
Il y a quatre ans, un rabbin de Safed, Samuel Eliahu, avait interdit aux Juifs de sa cité de louer à des «Arabes». Menacé de poursuite pour racisme, il avait dans son message remplacé cette mention par celle de non-juifs en général («Gentils» ou Goyim). Ces femmes, elles, statuent, en plus, que les filles juives doivent éviter supermarchés et lieux de travail fréquentés par des hommes «non juifs». Mais leur lettre va plus loin.
Si elle a été bien traduite, elle vise aussi les «travailleurs arabes» qui se donnent des noms juifs et se rapprochent des filles juives. «Le moment où vous êtes dans leur main, dans leur village, sous leur contrôle, préviennent ces femmes influentes du Lehava, tout change.» Ce mouvement lutte notamment contre l'assimilation des Juifs. Une de ses manifestations protestait récemment contre la présence de citoyens arabes à Bat Yam, au sud de Tel-Aviv.
Pareil courant n'est pas représentatif du judaïsme conservateur en Israël. Ainsi, le rabbin Mauricio Balter tient la lettre des épouses pour «contraire au judaïsme», montrant même, à son avis, «une touche de racisme et de xénophobie». Le judaïsme favorise les mariages entre Juifs, mais, dit-il, «nous ne voyons pas de problème à travailler avec des gens qui n'en sont pas ou d'avoir des amis parmi eux».
Dénonciations
Les conservateurs sont en minorité dans le pays. Mais l'interdit de louer aux non-juifs aurait obtenu, d'après un sondage, l'appui de 44 % des Juifs israéliens. C'est beaucoup, bien que 48 % disent s'y opposer. Aussi, à Bat Yam, le maire Samuel Shlomo déclare-t-il avoir «honte» de ces manifestations. Devant l'ampleur du mouvement, même le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, dénonce cette campagne.
Il y a là plus qu'un incident. Les propos du rabbin de Safed n'auraient pas eu une telle réponse ni un si grand retentissement s'il n'avait remué un élément vital en Israël. Certes, il attribue aux Arabes l'insécurité que vivraient, la nuit venue, les Juifs de Safed, surtout les filles. Mais il blâme surtout les Arabes et les musulmans de s'établir dans le seul pays que Dieu, dit-il, a donné aux Juifs alors qu'ils en ont 22 autres où vivre.
Or, les fondateurs d'Israël avaient, pour la plupart, tourné le dos au judaïsme des rabbins. Ils voulaient, pour sauver les Juifs des persécutions en Europe, créer un État national à l'européenne. Des Juifs religieux, gardant plutôt leur confiance en Dieu, avaient cette idée en horreur. Du reste, Théodore Herzl, le génial auteur de L'État juif (1896) n'a pas conçu ce pays comme une théocratie. Sa vision, sans écarter la foi juive, n'entendait aucunement céder aux «velléités théocratiques» de certains.
Au sein de l'État qu'il envisage, Herzl en écrit pour ses futurs citoyens, dans le style de l'époque, un principe fondamental: «Chacun est aussi complètement libre dans sa foi ou dans son incrédulité que dans sa nationalité. Et s'il arrive que des fidèles d'une autre confession, des membres d'une autre nationalité habitent aussi chez nous, nous leur accorderons une protection honorable et l'égalité des droits.» L'histoire, toutefois, suivra un cours très différent.
Un État démocratique
Né dans la guerre, Israël fut néanmoins un pays démocratique. S'il reste injuste pour les Palestiniens qui en furent expulsés, les musulmans et les chrétiens qui en devinrent citoyens y obtinrent les mêmes droits que les Juifs. Mais l'État, malgré son nom, fut séculier. Or, la guerre-éclair de 1967 et l'occupation militaire de territoires restés palestiniens allaient changer la situation. Une question va dès lors se poser: un grand Israël peut-il rester démocratique et juif en même temps?
Plutôt que d'accepter un État palestinien, les dirigeants israéliens, à gauche comme à droite, ont alors entrepris de coloniser la Cisjordanie et Gaza. Nombre de Juifs qui s'y établirent, même s'ils n'étaient aucunement persécutés en France, aux États-Unis et ailleurs, ont justifié leur implantation en «terre biblique» — au mépris du droit international et de la théologie judéo-chrétienne — par un «don divin» qui, encore aujourd'hui, vaudrait seulement pour des Juifs.
On venait de renverser l'un des fondements du pays. D'abord, des Israéliens venus de communautés ultrareligieuses ont non seulement voulu y vivre selon leur tradition, mais aussi entrepris d'imposer leurs règles aux autres Juifs du pays, fussent-ils modernes et laïques. Puis, plusieurs d'entre eux ont résolu d'imposer aux Juifs l'obligation de vivre séparément des autres habitants d'Israël, notamment des Arabes.
On comprendra les Juifs démocrates d'Israël de s'inquiéter d'une telle évolution. Non moins inquiétante n'est-elle pas aussi la mobilisation de la diaspora juive, y compris au Canada, derrière les politiques jusqu'au-boutistes à l'origine d'une si grave impasse?
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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