« Cela étant considéré, je définis la loi civile de cette manière : par LOI CIVILE, il faut entendre ces règles dont la République, oralement ou par écrit, ou par un autre signe suffisant de la volonté, a commandé à tout sujet d'user pour distinguer le bon et le mauvais (right and wrong), c'est-à-dire ce qui est contraire et ce qui n'est pas contraire à la règle.»(Hobbes (1651), Léviathan, Chap. 26.)
Les débats que suscite le projet de Charte des valeurs au Québec ne me semblent pas aller au fond des choses. La question du pluralisme religieux apparaît de plus en plus incompatible avec le concept de bien commun dans un régime de droit public qui établit fondamentalement la distinction entre la loi civile et la loi divine. Il se pose donc le problème, souvent presque insoluble, de la diversité des convictions et des appartenances au sein d’une même société civile.
Voici quelques idées sur cette question fondamentale du BIEN COMMUN. Mais, d’abord, trois extraits par trois auteurs différents :
PASCAL, "La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion ; l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie." Dans Pensées, 809, Paris, Gallimard, 1954, p. 1335. Bibliothèque de La Pléiade.
MYRIAM REVAULT D’ALLONNES : "Si nos sociétés sont construites sur la pluralité irréductible des individus et de leur liberté infinie, nous ne pouvons plus vouloir de bien commun. L'accord de tous les individus sur une unique fin est inconcevable." Dans Myriam Revault d’Allonnes, "La question du bien commun est-elle relative à la politique ?" Dans Les Nouvelles d’Archimède (mars avril 2000), no 23, p. 15). http://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna23.pdf Site consulté le 7 octobre 2013.
SAINT-EXUPÉRY : "Tu veux qu’ils s’aiment ? Ne leur jette point le grain du pouvoir à partager. Mais que l’un serve l’autre. Et que l’autre serve l’empire. Alors ils s’aimeront de s’épauler l’un l’autre et de bâtir ensemble. (p. 563.)"
"Mais ne crois pas que penser le présent soit simple. (p. 651)"
"Mais vient l’heure où le poisson mord et où la ligne résiste. (p. 651)" Dans Citadelle, Paris, Gallimard, 1961, (coll. « Bibliothèque de La Pléiade »). Voir : Bruno DESHAIES, « 400e CHRONIQUE. «L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre.» Dans Vigile.net, 15 janvier 2013.
Sur cette question de la hiérarchie des valeurs, Maurice Séguin voit la réalité sous cet aspect très général :
« Même en tenant compte de la hiérarchie des valeurs, une très grande place est tout normalement occupée par l’organisation économique, politique, etc. […] Les tâches dites "inférieures" dominent du moins par leur masse. […] Une telle société n’a pas l’allure d’une académie de savants, d’une chapelle de poètes, et encore moins l’apparence d’un cloître. »
Dans Les Normes, Chapitre premier, sous-section 1.3.2.4. Montréal, Guérin, Éditeur, 1999.)
Pour comprendre le projet de charte des valeurs, il faudrait jeter un coup d’œil sur le graphique ci-dessous qui représente des forces diverses. Chaque force peut devenir un facteur dans les rapports des différents domaines. Si le facteur « individu » et son « Église » ou sa religion prennent le pas sur la société et/ou l’État, il se peut que le Québec se retrouve devant un combat frontal.
Vision du théocentrisme et l’État théocratique
ÉTAT
SOCIÉTÉ THÉOCENTRISME INDIVIDU
ÉGLISE(S)
Ce graphique illustre donc l’ampleur du défi national pour le gouvernement du Québec si la société québécoise tombe sous le couperet du théocentrisme. Ce mouvement irrépressible peut entraîner une conception théocratique de l’État. Chaque individu se tournant vers son Dieu, dans un tel cas, l'autorité politique a une assise d'ordre divin. La neutralité de l’État et la laïcité seront anéanties sur l’autel de la loi divine. D’où le problème fondamental du BIEN COMMUN au-delà du vivre ensemble sans égard à l’unité et à la cohésion collective.
Le politique a une très grande responsabilité envers le bien commun. Chaque société est complexe. Tous ces débats sur le pluralisme, le multiculturalisme, le pluriculturalisme, le plurinationalisme ou l’interculturalisme soulèvent un dilemme fondamental entre l’individu, la société et la nation. Ils ne peuvent être sous-estimés, car l’unité politique de l’ensemble des individus, soit celui du bien général, risque de s’effriter graduellement. Le dilemme de Pascal (cité ci-dessus et le texte en exergue de Hobbes) prend tout son sens devant autant d’arguties qui ne peuvent se résoudre autrement sinon au point où "nous ne pouvons plus vouloir de bien commun" comme l’a écrit Myriam Revault d’Allonnes [cité ci-dessus (p. 54)].
Conséquemment, deux empires ne peuvent exister dans une seule et même société. La voie de l’"accord humain", sans tomber dans le pluralisme débridé, paraît être le compromis qui ne comporte pas trop de sacrifices. (Dans Citadelle, cette œuvre posthume de St-Exupéry, il y a une somme de réflexions insoupçonnée sur cette question des valeurs et de la vie des sociétés.)
La vision d’un "accord commun" permettrait de renforcer le tissu social québécois sur la base d’une finalité humaine et raisonnable afin de stabiliser la nation québécoise pour en venir à se reconnaître distincte pour de multiples raisons, très variables, mais unificatrices.
La commune origine, la commune langue, tout comme l’occupation d’un même territoire ainsi que l’intégration de la société et l’intégration à la commune société ou d’accueil sont des réalités que tous les Québécois doivent partager entre eux. Le bien commun de la nation québécoise concerne le sort de toutes les personnes sur la base de l’égalité de droit pour tous, du fonctionnement du régime démocratique où les notions de public et de privé doivent être reconnues et respectées comme "accord commun" intangible. Le « public » est du domaine civil qui implique son poids de contraintes, inévitables, dans la vie collective d’une société et sur les individus. Pour sa part, le « privé » inclut tout ce qui est intime ou d'ordre strictement personnel ou qui ne concerne pas directement les autres. C’est l’affaire de chacun, individuellement, chez lui, ou comme on dit souvent : « C’est sa vie privée ».
« Loi divine » contre « loi civile »
La question cruciale qui se pose est celle qui oppose la « loi divine » à la « loi civile ».
À travers les raisonnements tordus des défenseurs du libéralisme religieux soutenus par la charte canadienne des droits et des libertés canadian, une société comme la nôtre devenue laïque au sens civil du terme signifie qu'il faut rendre à César ce qui appartient à César.
Les protestataires contre la charte du gouvernement Marois s'en prennent à un projet public de loi civile au nom d'une loi divine individuelle qu'ils disent être appuyée par la charte canadienne de P. E. Trudeau enchâssée dans la constitution canadienne. Doit-on dire que la Charte en soi s'impose ou se superpose à la Loi constitutionnelle de 1982 comme telle ? Les juristes pourraient réfléchir à ce problème. Mais, c'est un autre histoire.
Le milieu universitaire vient de sortir ses griffes. Avec une désinvolture exemplaire, il nous lance à la figure la liberté universitaire. Si cette liberté s’adresse à l’enseignement et à la recherche, elle est essentiellement de l’ordre intellectuel, de la pensée et de l’esprit. C’est la vocation même de l’université. Cependant, nous savons tous que cette liberté est souvent bafouée par des préjugés et des cliques. Le problème de la Charte des valeurs (cf., mesures de transition : articles 44 et 45) ne visent pas cette « liberté universitaire » mais le statut de l’université au sein d’un ensemble plus large qui est la société québécoise. Les universités ont des obligations envers la société. Dans le cas du projet de Charte des valeurs québécoises
les milieux syndicaux et les universités ont pris un peu trop vite le mors aux dents.
Une institution d’ordre religieux qui s’opposerait à l’État du Québec qui a l’obligation d’assurer la cohésion nationale de la collectivité québécoise et le BIEN COMMUN est mal placée pour tenir le discours des libertés individuelles qui cacherait un théocentrisme qui ne s’accorde pas avec les principes d’une société civile démocratique où est reconnu le principe de la séparation de l’État et des Églises (ou des religions).
Et ceci n’a rien à voir avec la prétendue liberté universitaire. Celle-ci n’ait aucunement mise en péril. Ces protestations des institutions publiques d’enseignement universitaire tombent sous l’emprise du sophisme. Quant aux divers milieux syndicaux qui s’opposent au projet de loi, ils seraient mieux de s’interroger sérieusement les conséquences de l’étiolement social que crée aux Québec la Charte canadienne des droits et libertés adoptée par celui qui a eu le culot d’envoyer l’armée CANADIAN au Québec en 1970.
Le sociologue «Louis Dumont l'avait bien vu, quand il soutenait, au risque de choquer, que « contrairement à beaucoup d'affirmations, une “démocratie pluriculturelle”, ou simplement biculturelle, est une contradiction dans les termes » (Cité par Guillaume Garretta)
Pour se tenir debout devant cet individualisme intolérant, il faut que le gouvernement du Québec développe solidement sa pensée sur la portée de la loi civile dans une société démocratique et laïque. Il reste du chemin à faire. Une société qui désire être gouvernée par des lois humaines doit confiner les défenseurs de la loi divine à leur conscience individuelle et sans contradictions avec la loi civile. Même privément, ils ne peuvent s’autoriser à tuer leurs enfants ou leurs femmes selon leurs règles de vie ni chez eux ni entre eux.
Vouloir régler le droit au travail pour justifier le port du voile ou des signes ostentatoires et entreprendre une lutte contre le principe du bien commun est inacceptable. Si la notion de multitude ou de peuple a un sens véritable, c’est de s’opposer à la tyrannie.
Au-delà des luttes sociales, la lutte indépendantiste est NATIONALE.
Malheureusement, cette question des « valeurs québécoises » ne pourra jamais être réglée à l’intérieur du système pancanadien. Constatons les faits.
[1] Le Québec face au Canada sera toujours subordonné tant et aussi longtemps qu'il restera dans le système canadian (annexion et superposition politique et économique).
[2] La Charte des droits et libertés du Canada est l'affirmation de l'idéologie individualiste trudeauiste et du multiculturalisme canadian.
[3] L’État du Québec n'a pas signé la constitution de 1982, pourtant nous en sommes dépendants.
[4] Les souverainistes eux-mêmes sont prisonniers d’un nationalisme revendicateur et incapables de franchir le seuil de l’autonomisme patriotique et de la différence culturelle.
[5] La lutte nationale se résume à faire fonctionner le parlementarisme électoraliste depuis 221 ans sans dépasser franchement la politique domaine-des- rivalités-partisanes.
[6] Le combat n’a pas encore commencé que les adversaires le savent et ils luttent farouchement pour maintenir le cap sur la défense et l’illustration du principe fédératif si inculqué dans le cerveau des Québécois.
[7] L’aveuglement est si grand au sujet du fédéralisme que l’élite souverainiste, si tant est qu’elle existe, combat tout discours indépendantiste qui pourrait leur déplaire jusqu’à faire la censure du point de vue de ceux-ci.
[8] Des milliers de Québécois sont confinés finalement dans un état psychologique de désœuvrement, «ce grand ressort méconnu de tant de conduites humaines » (Henry de Montherlant).
[9] Le travail des Québécois et Québécoises franchement indépendantistes doit donc être consacré sur les concepts d'indépendance et d'interdépendance des nations en s'appuyant sur la nécessaire souveraineté complète de l'État québécois.
[10] Au final, la capacité suffisante d’agir (par soi) collectivement tant aux plan politique, économique et culturel demeure la seule solution valable pour se donner les capacités collectives d’action et de réaction (par soi), car la présence au monde par soi et la souveraineté nationale développent, enrichissent et épanouissent.
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3 commentaires
Bruno Deshaies Répondre
8 novembre 20162016-11-08
Je joins le graphique qui aurait dû apparaître à l'endroit qui suit :
Pour comprendre le projet de charte des valeurs, il faudrait jeter un coup d’œil sur le graphique ci-dessous qui représente des forces diverses. Chaque force peut devenir un facteur dans les rapports des différents domaines. Si le facteur « individu » et son « Église » ou sa religion prennent le pas sur la société et/ou l’État, il se peut que le Québec se retrouve devant un combat frontal.
Vision du théocentrisme et l’État théocratique
P. J. Graphique
Résumons sommairement la portée de ce graphique.
Ce graphique représente des forces diverses. Chaque force peut devenir un facteur dans les rapports des différents domaines. Si le facteur « individu » et son « Église » ou sa religion prennent le pas sur la société et/ou l’État, il se peut que le Québec se retrouve devant un combat frontal.
Ce mouvement irrépressible peut entraîner une conception théocratique de l’État. Chaque individu se tournant vers son Dieu, dans un tel cas, l'autorité politique a une assise d'ordre divin.
Le problème consiste à comprendre le sens du bien commun pour la vie en société. Nous avons de nombreuses questions à nous poser.
La notion de bien commun suscite beaucoup d’interrogations. Est-ce possible que le bien commun aille à l’encontre du bien individuel ? Jusqu’où le bien commun doit-il être partagé entre tous les membres d’une même société ? Jusqu’où, par ailleurs, les individus dans une société doivent-ils convenir de participer au bien collectif ? Comment peut se régler la notion de bien commun par rapport à la nécessité d’une vie nationale complète et entière ? La vie nationale doit-elle déterminer ce qu’est le bien commun ou bien est-ce le bien commun qui délimite l’étendue de la vie nationale ?
Puis le dilemme de la liberté individuelle, jusqu'où peut-on aller ?
Réflexion de Myriam Revault d’Allonnes, spécialiste de philosophie éthique et politique. Dans « La question du bien commun est-elle relative à la politique ? »} (Mars 2000)
{« Si nos sociétés sont construites sur la pluralité irréductible des individus et de leur liberté infinie, nous ne pouvons plus vouloir de bien commun. L'accord de tous les individus sur une unique fin est inconcevable. »
Archives de Vigile Répondre
3 janvier 2014Ce qui fait aussi tres mal et de plus en plus de mal
Nous avons le PLC fédéral et le PLC(q) se disant provincial.
ce PLC(q) sert-il le bien commun, des intérêts supérieurs ?
Le nerf de la guerre pacifique:
Faire la lumière , information objective , éduqué, questionné.
Quand j'écoute et regarde agir les libéraux du PLC(q) je me dits qu'ils ont Mesmer dans leur équipe . ils se font diriger vers la fosse aux lions avec le sourire. Pauvres petits eux, ça fait mal, c'est quand même une perte pour notre société.
Archives de Vigile Répondre
22 décembre 2013Merci! Votre article résume en une dizaine de points le type de guerre psychologique qu'Ottawa nous as menée:
La guerre psychologique est l'utilisation de techniques psychologiques pour amener l'adversaire à penser qu'il est en position de faiblesse ou qu'il a intérêt à se rendre. C'est la guerre par les idées plutôt que par les armes matérielles.
Votre article viens confirmer l’influence qu'on les média et l'administration 'fédérale' sur la population du Québec.
On ne sait pas utiliser nos forces, ou mal, et l’ennemi sait très bien exploiter nos faiblesses.
Il n'y a pire esclave que celui qui ne voit plus ses chaînes
Denis Landry