Détournement démocratique

L'idée fédérale

Ainsi, à en croire le ministre d'État à la Réforme démocratique, Steven Fletcher, bien des Canadiens en ont assez de financer le Bloc québécois à travers l'allocation gouvernementale aux partis fédéraux. «Virtuellement, chaque Canadien est obligé de faire une contribution non volontaire sur la base des résultats des partis politiques. Je sais qu'il y a beaucoup de gens dans d'autres régions du pays qui ne sont pas du tout contents que la vaste majorité du financement d'un parti, le Bloc québécois, provienne de cette subvention», a-t-il confié au Hill Times.
Si M. Fletcher allait au bout de sa logique, il devrait se demander ce que pensent tous ces Canadiens qui en ont assez de subventionner son propre parti à partir de leurs impôts. Après tout, son parti est indirectement mais lourdement subventionné par le biais du crédit d'impôt pour contribution à un parti politique.
En quoi cette aide financière publique serait-elle plus légitime que l'autre? Au fond, l'allocation est directement proportionnelle au nombre de votes obtenus. Un parti reçoit chaque année 1,95 $ par vote obtenu. On peut en déduire que les taxes des électeurs bloquistes paient le versement fait au Bloc et celles des électeurs conservateurs, celui fait au PC.
La hantise des conservateurs et autres détracteurs de l'allocation gouvernementale est qu'ils n'aiment pas que ces fonds permettent à des partis de survivre et de se mettre en travers de leur chemin.
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Le Parti conservateur veut depuis longtemps mettre un terme à cette allocation, surtout pour briser les libéraux qui tardent à s'ajuster aux nouvelles règles de financement des partis. Le PC a cru pouvoir y arriver l'automne dernier en insérant la mesure dans son énoncé économique, mais l'opposition a répliqué avec une coalition et la promesse de défaire le gouvernement à la première occasion. La crise qui a suivi est maintenant du passé, mais les conservateurs n'ont pas perdu de vue leur objectif.
Cette fois, cependant, ils ont trouvé l'argument populiste par excellence pour faire accepter leur projet: brandir l'épouvantail séparatiste. Peu importe que tous les partis reçoivent la même somme par vote obtenu, on tente de présenter la chose comme anormale et même choquante dans le cas du Bloc, alors que chaque électeur finance, en réalité, le parti pour lequel il a voté.
Les conservateurs évitent par contre de remettre en question un autre volet du financement étatique qui les sert bien: le crédit d'impôt pour contribution politique. Grâce à ce crédit dont ne peuvent que rêver les organismes de charité, un électeur qui verse 400 $ à un parti a droit à un crédit de 300 $. Il ne donne, en somme, que 100 $, les autres Canadiens finançant le reste de son don. La part du remboursement diminue graduellement pour atteindre environ la moitié de la somme, mais l'aide reste substantielle.
Le PC étant le parti récoltant le plus grand nombre de petits dons, c'est lui, à travers ses partisans, qui profite le plus du crédit en question. C'est lui aussi qui a le plus de succès. L'an dernier, il a récolté 36,3 millions de dollars en contributions, comparativement à un peu plus de 42,6 millions pour tous les autres partis réunis.
Et ce ne sont pas les seuls fonds publics dont se servent les conservateurs. Cet été, ils n'ont cessé d'utiliser les envois postaux de leurs députés, payés par la Chambre des communes, pour rejoindre des électeurs d'autres circonscriptions. Bien que ces envois soient censés parler d'affaires parlementaires, les conservateurs ne se sont pas gênés pour attaquer leurs adversaires. Le Bloc, comme le révélait Le Devoir à la fin de juin, y a d'ailleurs goûté. Or M. Fletcher ne voit pas de problème à faire de la propagande aux frais du contribuable.
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Le crédit d'impôt pour contribution politique et l'allocation aux partis coexistent depuis que le financement populaire s'est imposé à Ottawa en 2004. Le premier système a été maintenu et le second, ajouté parce qu'ils reconnaissent, chacun à leur façon, un aspect du processus démocratique. Les dons aux partis sont à la mesure de l'enthousiasme que les formations suscitent et, en les encourageant, le crédit d'impôt favorise le financement nécessaire à des formations politiques en santé. L'allocation gouvernementale, de son côté, est proportionnelle à l'appui qu'un parti obtient le jour du vote, test démocratique s'il en est un.
Rejeter l'allocation pour ne garder que le crédit d'impôt équivaudrait cependant à récompenser les plus forts, car le financement populaire exige des machines efficaces et bien rodées. Ainsi, même si le PC est celui qui reçoit la plus grosse allocation, celle-ci ne représente que 37 % de ses revenus. Sans elle, en revanche, les nouveaux partis, comme le Parti vert, n'auraient à peu près aucune chance d'émerger et, surtout, de progresser pour donner une autre voix aux citoyens. Le Bloc n'est pas une nouveauté, mais il donne encore aux Québécois, surtout à ceux d'allégeance souverainiste, une voix qu'aucun autre parti ne peut leur offrir. La démocratie, c'est aussi cela.
Si les autres partis fédéraux veulent avoir raison du Bloc, ils n'ont qu'à donner aux Québécois une raison de voter pour eux. Couper les vivres à un parti ou à un autre, c'est une méthode de gros bras qui ne croit pas au pouvoir des idées pour rallier ceux qui résistent à son camp.
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mcornellier@ledevoir.com


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