Devoir de réflexion face au « Manifeste […] pluraliste »

Tribune libre

Récemment, nous avons eu la chance de lire un Manifeste concernant la question des accommodements raisonnables et l’aspiration à une société pluraliste. Il s’agit d’un groupe de professeurs universitaires du Québec ayant appelé à l’appui de leurs pairs et des défenseurs de ce dit pluralisme. Bien que louable et passablement populaire, cette initiative rate la cible. Entre autres, l’idée part d’une opposition stérile aux défenseurs d’une option de consolidation de l’identité québécoise en tant que société d’accueil.
Prendre part à l’édification d’une société et à l’érection d’un État québécois n’incite aucunement à la neutralité, surtout en ce qui a trait aux diverses offensives du fédéral à l’encontre du tissu social québécois. Nous ne pouvons nous servir de l’argument de l’interdiction de quelque discrimination pour céder à ce réflexe immobiliste. Le devoir d’intégration des immigrants et des Québécois-es nous inculque la nécessité de peaufiner le sens et la portée donnée à quelque révolution prochaine.
Quand nous effleurons le propos du Manifeste pluraliste à propos de l’État et de son rôle : «[i]l exerce sa neutralité en s’abstenant de favoriser ou de gêner, directement ou indirectement, une religion ou une conception séculière de l’existence, dans les limites du bien commun.», cette conception fait preuve d’angélisme. Tout d’abord, je tiens à souligner ce fait notable dans la réflexion : l’immigration est une donnée indépendante de la religion dans la mesure où la laïcité est une règle qui équilibre le contrat social en vigueur, même s’il est constamment à renégocier. Dans la mesure où l’État s’abstiendrait de définir les paramètres de ce contrat social, alors nous serions tout aussi bien d’abdiquer à l’édification de ce dernier.
Avant d’adopter le tournant du port des signes religieux, une deuxième mise au point s’impose : la religion et l’intégrisme ne sont pas synonymes la majeure partie du temps. Tout d’abord, l’intégrisme touche une foule de sujets et pas exclusivement le domaine religieux. Pour des raisons qui justifient le maintien du bien commun toutefois, nous ne pouvons maintenir le dogme de la neutralité si bienveillant à la bonne marche de l’État québécois. Cette neutralité engendre une attitude passéiste de nature à inciter les adversaires de l’État québécois à l’affaiblir.
Nous arrivons à un deuxième extrait que voici : «le citoyen ne peut que constater ce signe religieux, de la même façon qu’il peut remarquer l’origine ethnique du fonctionnaire.» Tout d’abord, il est utile de se rappeler la devise nationale «Je me souviens». Comme le plaidoyer du Manifeste pluraliste appelle à une vision individualiste de la chose, comment pouvons-nous prétendre que l’individu reconnaîtra nécessairement le signe religieux ou encore qu’il s’apercevra de l’origine ethnique du fonctionnaire, surtout que cette origine peut parfois être inapparente? Ce n’est toutefois pas une excuse pour s’abstraire de la notion des droits collectifs, donnée inhérente au contrat social de la société civile québécoise.
Avant de parachever la fragilité du texte et du consensus sur la question, revenons à une conclusion du Manifeste pluraliste : «on doit veiller à ne pas dévaluer les textes fondamentaux que sont les chartes des droits.» Pourtant, quand nous disons que : «[l]a laïcité s’impose à l’État, non aux individus.», ce constat est plutôt friable dans la mesure où l’État du Canada peut actuellement imposer la conception de sa propre charte à l’ensemble des institutions de l’autre État – du Québec.

À insister du genre «I’m not» comme les auteurs du Manifeste le préconisent à l’égard des courants d’opinion contraire perçus, disons que l’état du débat s’appauvrit. Nous devons justement dénoncer les tendances unanimistes et qui réalisent l’économie d’une réflexion de fond sur la question. Ce serait injuste de laisser une dérive pluraliste s’imposer de plain-pied dans un univers politique déjà éclopé : la citoyenneté québécoise gagne à être consolidée dans un contexte d’immigration intensifié.


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2 commentaires

  • Élie Presseault Répondre

    10 février 2010

    M. Haché,
    C'est gentil à vous de m'écrire sur le sujet. Il y a des points et des préoccupations mutuelles qui ressortent de nos lectures concernant le Manifeste. Nous disons souvent que la fin justifie les moyens. Pour ma part, j'ai fait un pari d'influencer l'intelligentsia québécoise à long terme. Parmi les signataires du manifeste, il y a trois ou quatre de mes anciens professeurs qui y prennent part. Vous comprendrez ici que c'est un défi de se mesurer à leurs vues.
    Récemment, j'ai repris les études sous la lorgnette des Études littéraires. Ainsi, je suis à même de me servir des connaissances déjà acquises en Communication et politique. Par la même occasion, je me familarise avec certaines notions, telles que les écritures migrantes, argument que M. Pierre Nepveu, autre signataire de la liste du Manifeste, tente d'exposer dans le présent débat.
    À mon sens, nous gagnerions à lire l'analyse pénétrante d'Émile Ollivier concernant les préoccupations des immigrants de s'intégrer à la vie québécoise. Par la littérature, nous avons déjà accompli des essais de révolution. Il est plus que temps d'initier le coup d'envoi pour nous permettre collectivement de lever la tutelle multiculturaliste par défaut. Déjà, nous sommes en meilleure position que le Canada pour accéder à une vision plus représentative de nos valeurs.
    Dans un dernier contrepoint, je dois avouer que M. Michel Seymour démontre un point intéressant en présence dans les débats concernant les accommodements raisonnables. Pour le moment, le nationalisme québécois serait une donnée manquante dans l'équation. J'y souscris bien sûr, même si nous avons quand même nos griefs de principe.
    Ainsi, quand vous dites que le Canada est en guerre constitutionnellement contre le Québec, je ne peux qu'acquiescer à votre analyse des forces en jeu. Déjà, dans le domaine linguistique, la loi 104 vient confirmer l'étendue des données observées par Eugénie Brouillet.

  • Marcel Haché Répondre

    9 février 2010

    M.Presseault.
    Le “pluralisme” dont il est question dans le manifeste est bien davantage le multiculturalisme canadien que le pluralisme politique qui accompagne généralement la démocratie.
    La démocratie a besoin du pluralisme, mais n’a pas besoin du multiculturalisme. Il n’est pas nécessaire à une démocratie qu’elle adopte le multiculturalisme comme doctrine d’état.
    En constitutionnalisant le multiculturalisme, le Canada n’a pas déclaré la guerre au Québec--la Province de Québec n’est pas ostracisée par le multiculturalisme-- mais il devient chaque jour plus clair que le multiculturalisme canadien est une attaque immense, mais silencieuse, à l’encontre de notre identité québécoise.
    L’immigration est le fer de lance du multiculturalisme. Si les Tremblay d’Amérique en venaient à n’être plus que 10% de la population du Canada un jour, je vous laisse deviner que cette grosse minorité ne serait plus seulement soumise aux défenses constitutionnelles—c’est constitutionnellement que le fédéral aurait affaibli la minorité des Tremblay d’Amérique—mais qu’elle serait soumise à la très dure loi des nombres, c’est-à-dire aux rapports de force politiques.
    S’il y a « dérive » quelque part, c’est bien davantage du multiculturalisme que du pluralisme dont il s’agit.
    Un Québec libre et indépendant, si cela vous intéresse, serait nécessairement pluraliste. Mais les Tremblay d’Amérique pourraient très bien décider de ne pas faire du multiculturalisme une doctrine d’état.
    Cela voudrait dire qu’à l’égard de l’immigration, Nous pourrions être très « inclusifs ».
    Assimiler, c’est inclure.