Douce vengeance

L'élection d'un gouvernement minoritaire est peut-être ce qui pouvait arriver de mieux au système politique québécois

Québec 2007 - Résultats et conséquences


Quand l'électorat est à ce point divisé entre les trois principales formations, un gouvernement minoritaire est une bénédiction. Le prochain Parlement exercera un contrôle serré sur le gouvernement et aucun parti, pas même celui qui forme le gouvernement, ne pourra faire preuve de l'arrogance qu'on a connu au cours des dernières années.
Quand le gouvernement est majoritaire, les députés sont des "machines à voter". En 2000, un rapport déposé par quatre députés, dont la libérale Monique Gagnon-Tremblay, portait un jugement sévère mais juste quant au pouvoir législatif de l'État québécois: "Le Parlement est de moins en moins le lieu des grands débats de société." Il ne fait pas de doute que la voix de l'ADQ, étouffée depuis des années par le mode de scrutin et par les règles parlementaires, a trouvé dans cette élection une douce vengeance.
Si l'on pense aux travaux de la dernière législature, on peut imaginer que le gouvernement libéral aurait davantage hésité à couper 103 millions aux étudiants. Il aurait aussi mieux mesuré la charge symbolique du mont Orford. Le gouvernement du PQ aurait pour sa part été moins cavalier dans les fusions municipales en 2000. Craignant un vote de méfiance et le déclenchement d'élections générales, les gouvernements auraient probablement agi autrement s'ils avaient été minoritaires. L'ADQ a su canaliser cette colère populaire qui a monté au fil des ans.
L'élection d'hier chamboule complètement le jeu des partis, mais elle crée aussi un nouvel équilibre entre le législatif et l'exécutif. Pour plusieurs, cette situation constitue davantage un malheur qu'un bonheur. Les craintes d'immobilisme ou de blocage sont évoquées. Privé d'une majorité, le gouvernement pourrait devenir peureux, presque impuissant. Cela peut se produire si les différents partis se cantonnent dans des positions figées. Par contre, comme ils seront tous soumis à l'examen plus exigeant que jamais des médias et de l'opinion publique, il est probable qu'ils seront amenés à faire des compromis, sachant qu'une position rigide pourrait leur faire perdre des points. Et des compromis sont possibles dans plusieurs domaines.
En santé, l'analyse des projets libéraux, adéquistes et péquistes montre des similitudes plus que des oppositions: plus de médecins, plus d'infirmières, plus de budgets. Certes, Mario Dumont souhaite une part plus importante du privé, mais les mesures présentées par le ministre Couillard suite au jugement Chaoulli pavent la voix à un compromis entre les trois formations.
En éducation, tous les joueurs politiques proposent plus d'heures d'enseignement et plus de ressources pédagogiques. Les modalités sont différentes, mais les objectifs sont très similaires. Quant à la réforme scolaire, le PQ et le PLQ sont conscients que des correctifs doivent être amenés. L'ADQ devrait, quant à elle, abandonner l'idée d'abolir les commissions scolaires et les péquistes leur volonté de geler les droits de scolarité, mesure qui ne faisait pas consensus dans leurs propres rangs.
Quant aux mesures qui touchent la famille, c'est le programme de l'ADQ qui pourrait servir de base à un compromis. La vitesse avec laquelle l'ADQ est parvenue à séduire les familles de la classe moyenne obligera les autres partis à être plus attentifs à ce segment important de l'électorat. On peut ainsi penser que le modèle actuel, n'octroyant un support étatique que par le biais des garderies, sera revu. Des mesures natalistes pourraient également recevoir l'appui d'une majorité de députés.
Reste le fameux dossier constitutionnel. À toutes fins utiles, les partis se sont montrés satisfaits des efforts déployés par Stephen Harper quant au déséquilibre fiscal. Tous réclament l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser. Avec le revers qu'il subit, le PQ doit résolument ajourner son agenda référendaire, revoir sa "pédagogie" et recentrer son programme politique. On peut penser que cela sera bien vu, même dans plusieurs chaumières péquistes.
En somme, il est possible d'envisager des combinaisons permettant au gouvernement d'avancer à condition que l'imagination soit au rendez-vous. Un gouvernement minoritaire ouvre également de nouvelles possibilités aux dossiers qui piétinent depuis des années, notamment la réforme du mode de scrutin et une décentralisation des pouvoirs en faveur des régions.
On le saura un peu plus au fil des semaines, mais l'élection d'un gouvernement minoritaire est peut-être ce qui peut arriver de mieux au système politique québécois. Elle ouvre une période de réajustement majeur pour les trois partis. À l'ADQ, un gouvernement minoritaire donnera le temps d'aller chercher des personnalités plus prestigieuses. Quant au PQ, cette situation laisse présager une course à la direction!
Guay, Jean-Herman
L'auteur est politologue à l'Université de Sherbrooke.


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