Déclaration du 18 mars 1955 de Maurice Richard
Maurice Richard, message livré à la radio le 18 mars 1955
La Presse jeudi 17 mars 2005
Mes chers amis,
Parce que je joue toujours avec tant d'ardeur et que j'ai eu du trouble à Boston, j'ai été suspendu.
Je suis vraiment peiné de ne pouvoir m'aligner avec mes copains les Canadiens dans les séries de détail. Je veux toutefois penser avant tout aux amateurs de Montréal et aux joueurs du Canadien, qui sont tous mes meilleurs amis.
Je viens donc demander aux amateurs de ne plus causer de trouble, et je demande aussi aux partisans d'encourager les Canadiens pour qu'ils puissent l'emporter en fin de semaine contre les Rangers et le Detroit. Nous pouvons encore nous assurer le championnat.
J'accepte ma punition et je reviendrai la saison prochaine pour aider mon club et les jeunes joueurs du Canadien à remporter la Coupe Stanley.
Merci.
50 ans après l'émeute au Forum
L'émeute racontée par Maurice Richard
Maurice Richard, 1995
La Presse jeudi 17 mars 2005
Dans l'esprit des Québécois, il n'y a aucun doute: Maurice Richard a été le plus grand joueur de hockey de tous les temps. Sans doute plus que tous ses exploits sportifs, c'est l'«émeute» du 17 mars 1955 qui a le plus contribué à inscrire celui qu'on surnommait le Rocket dans l'histoire du Québec. Longtemps collaborateur à La Presse, après sa retraite, Maurice Richard a souvent commenté cet épisode tragique de sa carrière. En 1995, 40 ans après les événements, il avait écrit l'histoire de l'émeute. En voici des extraits.
À 73 ans, ma mémoire n'est plus ce qu'elle était. Mais j'ai d'excellentes raisons de me souvenir particulièrement de la saison 1954-1955. Elle a été marquée, pour moi, d'événements parfois heureux, tel mon 400e but, mais surtout par une longue suspension, injuste à mes yeux. Cette suspension m'a fait si mal que même aujourd'hui, 40 ans plus tard, mes poings se serrent de rage quand j'y pense.
Que le président Clarence Campbell m'ait suspendu pour les trois derniers matches de la saison, je l'aurais accepté. Même si ma suspension s'était prolongée la saison suivante. La mauvaise conduite que l'on me reprochait avait eu lieu en saison régulière. Mais me bannir des séries éliminatoires, je ne l'ai jamais pris et je ne le pardonnerai jamais.
Reprenons le fil des événements.
Le 13 mars 1955, au Garden de Boston, tard dans la troisième période, le Canadien avait l'avantage numérique, mais tirait de l'arrière. L'entraîneur Dick Irvin retira son gardien pour un sixième joueur d'attaque. Dans la zone des Bruins, Hal Laycoe, accidentellement ou non, je ne sais, m'a atteint au-dessus d'un oeil d'un violent coup de bâton.
Je contournai le filet et, sentant le sang ruisseler sur ma figure, j'ai jeté mon bâton et je me suis précipité sur Laycoe. Le juge de lignes Cliff Thompson me saisit par en arrière, me paralysant les bras, et Laycoe en profita pour me marteler. Je réussis à me dégager une première fois et je voulus me ruer à nouveau sur Laycoe. Je ne savais plus très bien qui de mes coéquipiers, Doug (Harvey) ou un autre, ou le juge de lignes, cherchait à me maîtriser. La foule hurlait, le sang me bouchait un oeil et je ne pensais qu'à me venger. Dans la confusion, j'ai frappé Thompson.
Quand le calme fut rétabli, l'arbitre Frank Udvari m'a imposé une majeure et une punition de match.
Au lendemain de ma bagarre avec Laycoe, de retour à Montréal par train, j'appris que je devais me présenter devant le président de la Ligue nationale, Clarence Campbell, dont les bureaux étaient situés dans l'édifice Sun Life au Carré Phillips.
Deux membres de l'organisation du Canadien m'accompagnaient : l'entraîneur Dick Irvin et Kenny Reardon, ancien défenseur du club, devenu directeur. En attendant d'être introduit chez le président, je faisais les cent pas dans le corridor où un ou deux photographes et deux ou trois journalistes attendaient également.
À trois matches de la fin de la saison, le Canadien devançait de deux points les Red Wings au premier rang et j'occupais moi-même la première place chez les compteurs du circuit avec 74 points. Je me disais : «On va te suspendre pour les trois derniers matches et peut-être pour quelques parties la saison prochaine.»
Puis, la porte du bureau de Campbell s'ouvrit et Irvin, Reardon et moi entrèrent. Ma comparution fut de courte durée. La sentence m'assomma : suspension non seulement pour les trois derniers matchs, mais pour la durée des séries éliminatoires.
Je n'en revenais pas. Le coup me fit aussi mal que celui que Laycoe m'avait asséné.
Avant de laisser tomber son verdict - encore aujourd'hui je crois qu'il lui avait été dicté par les propriétaires des autres équipes - M. Campbell me rappela que quelques semaines auparavant, j'avais été impliqué dans une bataille à Toronto, avec Bob Bailey, des Leafs, et qu'à cette occasion j'avais frappé le juge de lignes George Hayes. En réalité, j'avais l'un de mes gants de hockey à la main et j'en avais frappé l'officiel pour qu'il s'écarte et me laisse m'approcher de Bailey. Ce geste m'avait valu une amende de 250 $, ce qui représentait une jolie somme à une époque où les salaires des joueurs étaient très bas.
La remontrance servie, le président m'annonça ma longue suspension. J'en étais estomaqué. Mais j'étais loin de me douter des événements qui allaient suivre.
Juste à côté de Campbell...
Le 17 mars 1955, le Canadien recevait les Red Wings de Detroit au Forum. Le match était très important. Les Wings avaient battu les Bruins la veille et se retrouvaient à égalité avec le Canadien au premier rang. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque, la LNH ne réunissait que six équipes.
Suspendu, j'avais pris place derrière le filet des visiteurs, à coté du juge des buts, en compagnie de Tom Leggett, chef de police de la Ville de Montréal. Je savais que, derrière moi, le président Campbell occupait un siège dans les gradins, accompagné de sa secrétaire.
Ce n'est qu'à la fin de la première période, alors que les visiteurs menaient par 4-1, que le grabuge a commençé. Une attaque vers Campbell, d'abord, puis une bombe qui a éclaté dans ce secteur.
Mon compagnon me prit vivement par le bras et m'amena rapidement dans la clinique du physiothérapeute Bill Head, située à quelques pas de mon siège.
«C'est effrayant», dis-je à Leggett. «Ce n'est rien à côté de ce qui va suivre», me répliqua-t-il.
Sur le coup, je ne compris pas très bien le sens de ses paroles. D'ailleurs M. Campbell lui-même et sa secrétaire arrivaient également dans la clinique. Les personnes présentes firent en sorte qu'on soit éloignés l'un de l'autre, séparés par une cloison. Il n'y eut aucune parole prononcée entre nous.
On nous a gardés entre 45 et 60 minutes, le temps d'évacuer complètement le Forum. Puis, on nous fit sortir par la rue Closse. Avec Ken Mosdell et un ou deux autres joueurs, nous nous sommes donné rendez-vous au Pot-au-Feu, à Cartierville, pour manger.
Inutile de dire que cette nuit-là, j'ai très mal dormi. Le lendemain matin, Camil DesRoches, tout d'abord, responsable de la publicité au Forum, puis un représentant de Petrofina Canada, qui me commanditait, m'ont téléphoné tour à tour pour m'inviter à aller à la radio, demander aux amateurs de hockey de retrouver leur calme. Que j'acceptais ma suspension. Que j'étais à la fois surpris et touché de leur appui. Je l'ai fait.
En réalité, ce n'était pas tout à fait vrai. Ma suspension, celle des séries, je ne l'acceptais pas. Par ailleurs, j'étais étonné de la réaction du public. Je ne crois pas que le phénomène ait été de nature nationaliste, comme certains l'ont laissé entendre...
Il y avait peut-être un peu de ça, mais surtout la colère des amateurs de hockey, exploitée par des réactionnaires.
Ce ne sont pas les gens qui étaient au Forum, quelques éléments mis à part, mais des jeunes qui ont profité de la situation pour déclencher l'émeute.
Je n'ai pas vu de matchs des séries qui ont débuté la semaine suivante. Le Canadien devait éliminer les Bruins de Boston en cinq matchs, en demi-finale, mais il s'est incliné en sept parties devant les Red Wings qui conservaient la Coupe Stanley.
Moi, la direction du Canadien m'avait éloigné. J'ai voyagé un peu partout au pays, agissant comme arbitre de matchs hors concours et signant des autographes.
Je garde un mauvais souvenir de cet épisode de ma carrière. Et je me dis parfois que je n'étais pas si coupable puisque le juge de lignes Thompson n'a plus jamais réapparu comme officiel dans la LNH. On avait certainement quelque chose à lui reprocher.
Pour ma part, j'avais encore cinq saisons devant moi... cinq Coupes Stanley aussi!
L’émeute du Forum 50 ans plus tard
Le rôle de Maurice Richard dans le début de la Révolution tranquille
Marc de Foy
Journal de Montréal 17/03/2005
Red Fisher est d’accord avec les historiens qui associent l’émeute du Forum au début de la Révolution tranquille.
«Je sais que plusieurs personnes rejettent cette thèse, mais il ne fait aucun doute à mon avis que cet événement a marqué le début de la révolution culturelle québécoise», affirme le journaliste.
«À cet égard, cette page d’histoire s’est peut-être avérée une bonne chose. Les francophones avaient l’impression d’être considérés comme des citoyens de deuxième classe, ce qui était le cas.
«Au travail, ils étaient employés tandis que les anglophones occupaient les postes de direction.»
Ce n’est pas pour rien que Maurice Richard a toujours été considéré comme un héros plus grand que nature par ses compatriotes. Pour sa part, le Rocket disait être un simple joueur de hockey.
«Il le pensait vraiment», ajoute Red Fisher.
«Au fond de lui-même, il réalisait peut-être ce qu’il représentait pour le peuple du Québec, et pourquoi pas ? Mais il ne l’a jamais dit.
«Le seul qui rivalisait avec lui en termes de popularité était le lutteur Yvon Robert.»
Dans l’esprit de Red Fisher, Maurice Richard était la seule personnalité québécoise, voire canadienne, pour qui on était prêt à descendre dans la rue.
«Il faut se rappeler aussi qu’il était en position de remporter un premier championnat des marqueurs dans la Ligue nationale», ajoute-t-il.
À faire peur
Le journaliste l’avoue sans honte : il a eu la chienne le soir du 17 mars 1955.
«Quand les spectateurs ont été évacués du Forum après l’explosion de la bombe lacrymogène, je me suis dirigé au restaurant Texan, situé au coin des rues Lambert-Closse et Sainte-Catherine, pour dire à John Maffre, le patron de service à mon journal ce soir-là, que ça chauffait à l’extérieur du Forum et qu’il ferait bien d’envoyer un reporter», raconte M. Fisher.
«Il devait y avoir entre 6 000 et 7 000 manifestants dans la rue quand les spectateurs sont sortis. Quand mon patron m’a demandé de circuler dans la foule, je lui ai demandé pourquoi il ne viendrait pas lui-même. Une balle provenant d’une arme à feu a été tirée à travers une fenêtre de la façade du Forum.
«L’endroit le plus sécuritaire était l’intérieur de l’édifice. J’y suis retourné. Au fait, je ne sais pas comment j’ai pu y pénétrer malgré tous les policiers qui se trouvaient là.»
Dans le vestiaire des Red Wings, le directeur général Jack Adams n’a pas manqué d’écorcher le Rocket.
«Maurice Richard est une honte pour le hockey !» avait lancé Adams aux journalistes qui recueillaient ses commentaires.
La meilleure citation est venue de l’entraîneur du Canadien, Dick Irvin, déclaration devenue célèbre.
«J’ai vu le Rocket attirer les foules dans plusieurs arénas, mais c’est la première fois que je le vois en vider un», a-t-il dit.
Du Rocket à Donald Gordon
André Duchesne
La Presse jeudi 17 mars 2005
Avec Marcel Bonin et un autre joueur prometteur du nom de Roch Lasalle, qui a bifurqué vers la politique, Joliette était une ville de hockey. «Et une ville nationaliste aussi, s'enorgueillit Bernard Landry qui, adolescent, étudiait au Séminaire de l'endroit. Les deux grands historiens nationalistes de l'époque, les pères Farley et Lamarche (des clercs de St-Viateur) étaient des Joliettains.»
Bernard Landry et ses camarades de classe jouaient au hockey. En fait, ils étaient des «fanatiques» de hockey. Plusieurs de leurs professeurs chaussaient aussi les patins. Entre deux parties fougueuses, ils écoutaient les matchs à la radio. Et leur club, c'était bien sûr le Canadien. Chez eux, la suspension de Maurice Richard fut bien mal accueillie.
«Le monde était en maudit. Et, c'était clair, c'était une affaire Anglais-Français indique M. Landry. Je ne veux pas faire d'évaluation historique, je donne la perception. C'était clair pour nous qu'un anglophone, Clarence Campbell, persécutait le héros national numéro un des Canadiens français du temps. (...) C'était une injustice et si Richard s'était appelé, disons Mahovlich, ce ne serait pas arrivé.» D'après, toujours, la perception joliettaine du temps, dit-t-il.
L'ancien premier ministre et maintenant chef de l'opposition à Québec trace un parallèle entre l'affaire Richard et l'affaire Gordon. Le 20 novembre 1962, le président du Canadien National Donald Gordon comparaît devant un comité parlementaire fédéral. On lui demande pourquoi aucun des 17 vice-présidents du CN n'est francophone. Chez nous, c'est la compétence qui prime, répond-il. Chez les Canadiens français, c'est le tollé. L'Association des étudiants de l'Université de Montréal organise une manifestation monstre devant l'hôtel Reine-Élizabeth, propriété du CN. Le président de l'association et organisateur de la manifestation s'appelle Bernard Landry.
«Cette manifestation Richard a eu une répétition, un rappel, avec la manifestation Gordon. (C'était) une suite au même contenu idéologique si je puis dire : un Anglais qui nous méprise et qui nous persécute», explique M. Landry.
Devant la pression populaire, M. Gordon avait même reçu quatre étudiants, dont M. Landry, dans son bureau. On avait parlé fort, assure ce dernier.
Selon Jean Dorion, actuel président de la Société Saint-Jean-Baptiste, l'affaire Gordon a eu plus d'impact que l'émeute du Forum sur l'affirmation des Québécois. L'affaire Richard était «une réaction très émotive», perçue comme «une injustice générale de la société envers les Canadiens français».
Alors que dans le cas de Donald Gordon, l'indifférence, voire le mépris d'une personne s'était exprimé sur la place publique. «Je pense que cet incident (Gordon) a été beaucoup plus structurant parce que la discrimination était plus évidente», croit M. Dorion.
La révolte en cachait une autre
Yves Boisvert
La Presse jeudi 17 mars 2005
Maurice Richard a été un héros national, mais un héros malgré lui. Peut-être le dernier héros naïf québécois. Naïf dans les anciens sens du mot : de naissance, naturel, authentique.
Au contraire de Muhammad Ali, le champion du monde de boxe qui a milité pour la cause des Noirs américains, Richard transportait sans le savoir sur ses épaules les aspirations des «Canadiens français ». Ce n'était pas son projet. Lui, il jouait au hockey.
Mais le peuple ne demande pas son avis aux héros qu'il se fait.
Le 17 mars 1955, quand une émeute a éclaté au Forum de Montréal pour protester contre sa suspension, pour Maurice Richard, c'était un match de hockey qui tournait très mal. Le résultat déplorable d'une injustice dans une ligue de hockey. Pas un événement politique.
Les historiens, et bien avant eux André Laurendeau dans Le Devoir, y ont vu au contraire une révolte populaire aux dimensions beaucoup plus profondes.
Une sorte de révélateur spontané de la société québécoise de l'époque.
Qu'était le Québec en 1955? Une société où la majorité francophone était écrasée économiquement par la minorité anglophone, où l'essentiel du pouvoir économique, financier et scientifique était du côté des « Anglais ». C'était avant la nationalisation de l'électricité, à l'époque où des hommes d'affaires anglophones disaient ouvertement qu'il n'y avait pas au Québec de francophone capable d'occuper un poste de direction dans une grande entreprise, et de fait, il n'y en avait à peu près pas.
À cette époque, l'Université McGill formait pratiquement deux fois plus de diplômés que l'Université de Montréal (12 000 contre 7200 entre 1946 et 1955). Mais le premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, disait que nous avions « le meilleur système d'éducation au monde ».
De vraiment, incontestablement meilleur, le Québec français de 1955 n'avait pas beaucoup d'exemples à montrer au reste du monde.
Il y en avait au moins un: Maurice Richard.
Maurice Richard n'était pas le meilleur comme Jean Béliveau allait l'être après lui, ou Guy Lafleur ensuite. Richard n'était pas un « gentleman » ou un patineur élégant. Il était le meilleur avec rage. Richard se battait. Richard cognait. Richard répondait coup pour coup. Et puis, Richard « plantait les Anglais ».
Ce n'est pas ainsi qu'il se voyait. Mais les héros ne sont pas maîtres de ce que le peuple voit en eux.
Tous les anciens partisans vous le diront, ce n'était jamais la faute du Rocket! « Ils étaient deux ou trois accrochés à son chandail! Il ne faisait que se défendre! »
Comme ils vous diront que Richard ne faisait « que se défendre », le fameux soir où il a donné des coups de bâton à Hal Leycoe, puis un coup de poing à un juge de ligne qui tentait de le retenir.
C'est ainsi qu'on pardonne aux héros. Aussi, quand Clarence Campbell, le président de la Ligue nationale, a suspendu Richard pour les trois derniers matchs de la saison et pour toutes les séries éliminatoires, et qu'il a eu le culot d'aller s'asseoir au Forum pour le match suivant, la provocation, l'arrogance, l'humiliation ont mis le feu aux poudres.
Pour Richard, on a fini par mettre beaucoup trop de sociologie dans cette nuit chaude de la Saint-Patrick 1955.
Il n'y a pas de doute, cependant, en jetant un coup d'oeil 50 ans derrière, que ce peuple a fait un bond prodigieux vers la modernité, après s'être révolté. Tranquillement, certes, mais révolté quand même.
Et qu'il le veuille ou non, Maurice Richard a une paternité dans cette avancée, en ce sens qu'il a inspiré des générations de Québécois.
J'entends encore autour de moi un enfant de 5 ans dire à son grand-père: as-tu vu, je l'ai compté comme Maurice Richard!
Des fois, bien sûr, le hockey est juste du hockey. Mais au mois de mars 1955, à Montréal, pour qui avait des yeux pour voir, le hockey préfigurait de grandes choses à venir.
Un aller-retour Trois-Rivières-Montréal payant
André Duchesne
La Presse jeudi 17 mars 2005
Chef des nouvelles au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières, Guy Fournier n'aurait jamais osé croire que le voyage qu'il s'apprêtait à faire à Montréal dans l'espoir d'assister au match Montréal-Detroit serait aussi payant, médiatiquement parlant.
À l'heure du lunch, dans la salle de rédaction du quotidien trifluvien, on était en train de boucler l'édition d'après-midi (à l'époque, les journaux publiaient deux éditions par jour) et la discussion allait bon train avec les collègues des sports.
Certes, tout le monde s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose durant cette première partie, suite à l'annonce de la suspension de Maurice Richard. Mais quoi? Et où? Sur la glace? Dans les gradins? À l'extérieur du Forum?
«On avait l'impression qu'il se passerait quelque chose de grave mais on ne savait pas quoi», raconte aujourd'hui le prolifique producteur de télévision, auteur du téléroman Jamais deux sans toi et actuel président de l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision.
Il y avait de la nouvelle dans l'air, donc. Et comme, à l'époque, une ballade en voiture de Trois-Rivières à Montréal et vice-versa n'avait rien de banal, le jeune chef des nouvelles a pris la route avec le photographe Roland Lemire pour une soirée qu'ils n'étaient pas prêts d'oublier.
«Très honnêtement, on a trouvé que ça faisait une occasion de faire une belle ride, payée par le journal, à Montréal. Mais on n'aurait jamais pensé que ça puisse prendre des proportions semblables. Notre impression était que Clarence Campbell se ferait chahuter, que ça n'irait pas plus loin que ça. Mais on s'est dit »Tout à coup qu'il se passe quelque chose...«, on va descendre à Montréal. Ça va être le fun. Finalement, ça a été plus le fun qu'on pensait», raconte-t-il en riant.
Arrivés vers 18h près du Forum, les deux représentants du Nouvelliste ne purent obtenir de billets pour assister au match et décidèrent de rester dans les alentours, aux aguets. Ils n'ont pas eu à attendre longtemps. Selon M. Fournier, quelques milliers de personnes, incapables d'avoir une place, s'étaient aussi rassemblées. Plusieurs essayaient d'entrer dans l'enceinte. Le chahut a commencé. La police a essayé d'intervenir et la colère s'est amplifiée.
«Les gens se sont mis à casser des vitres, poursuit-il. Nous, on était pris dans la foule et disons qu'à Trois-Rivières, personne ne nous avait habitué à ce type d'émeute-là (rires). On a réussi à prendre des photos et tout, on s'est fait bousculer sans se faire blesser, mais on a eu peur en maudit.»
Une fois le travail bouclé, Fournier et Lemire retournèrent précipitamment à Trois-Rivières avec des photos de l'émeute, publiées dans le journal du lendemain matin.
Guy Fournier comprend l'espèce de sentiment d'injustice des Canadiens français de l'époque et reconnaît dans les événements du 17 mars l'expression de l'antagonisme francophone-anglophone. Et Clarence Campbell en était le symbole. «En fessant sur Campbell, t'avais l'impression de fesser sur les Anglais que t'haïssais...», dit-il.
Mais, selon lui, jamais au grand jamais cette affaire n'a-t-elle été un facteur important de la montée du nationalisme ou le déclencheur de la Révolution tranquille, comme certains l'ont affirmé, notamment à la mort du Rocket.
D'ailleurs, en 1960, M. Fournier avait travaillé sur un documentaire portant sur la carrière de Maurice Richard, intitulé Le numéro 9, à la suite de l'annonce de sa retraite. Et dans son souvenir, jamais Maurice Richard n'avait vu dans cette émeute une réaction de nature politique ou n'avait souhaité voir cet incident prendre une tangente politique.
«C'est sûr que, comme la plupart des Canadiens français de l'époque, il (Richard) était écoeuré de se faire bosser en anglais parce qu'évidemment, au club de hockey Les Canadiens, tout se passait en anglais. Je ne suis même pas sûr que les joueurs canadiens français parlaient français entre eux. Ils se faisaient bosser par Toe Blake, par les propriétaires, en anglais. Donc, c'est plus une espèce de frustration générale contre l'élément anglophone qui était dominante», estime-t-il.
«Les gens se sont mis à casser des vitres. Nous, on était pris dans la foule. On a réussi à prendre des photos et tout, on s'est fait bousculer sans se faire blesser, mais on a eu peur en maudit.»
L’émeute du Forum 50 ans plus tard
Red Fisher a commencé à couvrir le Canadien le jour de l’émeute
Marc de Foy
Journal de Montréal 17/03/2005
Le début d’une grande carrière dépend souvent d’un événement fortuit. Red Fisher en est un bel exemple.
Doyen des chroniqueurs couvrant la Ligue nationale de hockey, à 78 ans, le vétéran journaliste du quotidien The Gazette était déjà âgé de 28 ans quand il a assisté à son premier match du Canadien, au Forum.
M. Fisher attendait ce moment depuis ses débuts au défunt Montreal Star, le 15 mars 1954.
Au moment de son embauche, cet ancien employé du service des relations publiques de la Northern Electrics avait fait preuve d’une grande assurance en sollicitant le poste de reporter responsable de la couverture du Tricolore. Le hasard a permis que son rêve devienne réalité à une date importante de l’histoire du Québec moderne.
C’était le jeudi 17 mars 1955, jour où le peuple canadien-français, comme on l’appelait à l’époque, s’est rebellé contre la suspension imposée à son idole, le seul et unique Maurice Rocket Richard.
La veille, le président de la LNH, Clarence Campbell, avait suspendu Richard pour les trois derniers matchs du calendrier régulier et les séries éliminatoires, à la suite d’un incident survenu lors d’un match disputé à Boston, le 13 mars.
Après avoir été coupé au visage par un coup de bâton de Hal Laycoe, un ancien coéquipier, Richard, fou de rage, ramassa un bâton sur la glace et frappa son rival au dos à trois reprises.
Au cours de l’altercation, le Rocket asséna un coup de poing au visage du juge de ligne Cliff Thompson, qui tentait de le retenir.
La sentence rendue par Campbell a engendré la colère de la population francophone de Montréal et de tout le Québec.
La Saint-Patrick, fête nationale des Irlandais, n’allait pas être ordinaire.
Quel début!
Cinquante ans plus tard, Red Fisher se souvient des moindres détails de ce qui fut sa première assignation à la couverture du Canadien.
«Quelle façon de commencer une carrière!» lance-t-il.
Mais il garde en mémoire un autre fait, encore plus important.
«Quand j’y pense, c’est un miracle que personne n’ait été tué», dit-il.
«C’était dangereux à ce point.»
Ce jour-là, M. Fisher avait reçu la directive de son patron Harold Atkins, directeur des pages sportives du Star, de passer la journée au Forum.
«Monsieur Atkins ne m’a pas demandé de faire un compte rendu du match», raconte-t-il.
«Il m’a dit d’acheter un billet, de m’asseoir dans les gradins afin de pouvoir sonder l’opinion et la réaction des amateurs.»
La ville était en ébullition.
«Je suis allé à l’entraînement matinal et on pouvait sentir la tension», poursuit M. Fisher.
«Les quelques personnes qui circulaient autour de l’édifice n’étaient pas très heureuses.»
Le maire Drapeau rabroué
Le soir venu, M. Fisher a pris place dans la sixième rangée, au centre de la patinoire.
Le Canadien affrontait les Red Wings de Detroit, une grande puissance de la ligue, avec lesquels il partageait le premier rang.
Il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps avant que le journaliste du Star constate que l’action se déroulerait en dehors de la surface de jeu.
«Après une dizaine de secondes à peine, un œuf lancé derrière moi s’est écrasé sur mon beau complet, qui m’avait coûté 17 $», relate le reporter en riant.
«Des objets fusaient de partout en direction de la patinoire.»
Les événements ont dégénéré lorsque Clarence Campbell, accompagné de sa secrétaire, a fait son entrée dans l’enceinte pour se diriger vers ses deux sièges, dans la 15e rangée, du côté de la rue Sainte-Catherine.
Campbell avait fait fi de la demande du maire Jean Drapeau de ne pas se présenter au Forum pour l’occasion.
«Pour lui, ça aurait été comme hisser le drapeau blanc», reprend M. Fisher.
«Clarence Campbell était un ancien militaire, un homme fier qui a participé au procès des criminels de guerre nazis à Nuremberg et personne ne pouvait lui dire quoi faire.
«Peu après qu’il se fut installé dans son siège, un individu s’est approché de Campbell, lui a tendu la main comme s’il voulait le féliciter, mais l’a giflé au visage.
«Jimmy Orlando, un ancien joueur des Red Wings qui avait suivi le type, l’a empoigné et lui a servi plusieurs coups. Les dents volaient de tous côtés.»
Campbell était sauf, mais la révolte ne faisait que commencer.
L’émeute du Forum 50 ans plus tard
Campbell aura suspendu tout un peuple
Serge Touchette
Journal de Montréal 17/03/2005
Le soir de l’émeute, Dickie Moore ne se souvient plus s’il était sur le banc des joueurs ou sur la glace. Mais pour le reste, il s’en souvient comme si c’était hier.
Selon lui, l’émeute aura été le résultat d’une décision erronée du président Clarence Campbell. Purement et simplement.
«J’ai vu un homme lancer une bombe lacrymogène en direction de Campbell», raconte l’ancien joueur du Canadien.
«Ma première réaction ? Campbell le mérite, que je me suis dit. Il n’avait pas raison de suspendre le Rocket.»
Moore était à Boston le soir où Maurice Richard, dans le tumulte, a frappé le juge de lignes Cliff Thompson.
«Quelqu’un lui a sauté dans le dos et il l’a aussitôt frappé», rappelle-t-il.
«Il pensait que c’était un joueur des Bruins, mais c’était le juge de lignes…»
Mais revenons à l’émeute.
«Sur le coup, je pensais qu’il n’y avait rien là», ajoute Moore.
«Quand tu as grandi dans le quartier Parc-Extension, ce n’est pas une bombe lacrymogène qui va réussir à t’énerver!»
Mais les événements, rapidement, ont dégénéré.
Des gens saccageaient des commerces sur la rue Sainte-Catherine.
Et Maurice Richard, à la radio et à la télé, invitait la population au calme.
«Nous, les joueurs, sommes rentrés dans le vestiaire», mentionne Moore.
«Plus tard, on nous a avisés que le match était annulé. Nous étions tous surpris de la tournure des événements.
«Nous avons emprunté la sortie Atwater. Avec quelques joueurs, je me suis ensuite rendu dans un restaurant de la rue Saint-Laurent.
«Le propriétaire, un monsieur Paquette dont le prénom m’échappe, était à la fois un ami et un fan de Maurice. On a donc tous mangé et bu sur son bras!
«D’ailleurs, j’aimais bien y aller avec Henri Richard. Je rappelais toujours à M. Paquette qu’il était le frère de Maurice. Ça ne nous coûtait pas cher!»
«Les gens veulent me voir marquer»
Au bout du fil, Moore, par moments, rit de bon cœur. S’il parle de l’émeute, il parle surtout d’une époque mémorable. Avec passion.
«Nous avions 2 $ dans nos poches et nous avions le sentiment d’être millionnaires», lance-t-il.
«Il n’y a pas assez d’argent dans ce monde pour acheter le plaisir que nous avons eu ensemble!»
Il s’attarde aussi longuement sur le mythe du Rocket.
«Une idole à Montréal, mais également dans tous les arénas de la planète», insiste-t-il.
Tout en bavardant de choses et d’autres, Moore rappelle une tournée des anciens Canadiens dans l’ouest du pays, dans les années 70.
«Si ma mémoire est bonne, dit-il, nous disputions un match à Calgary.
«Je jouais en compagnie du Rocket.
À un moment donné, j’étais complètement à découvert, mais Maurice a choisi de tirer au but. J’étais en maudit…»
Après le match, Moore a demandé des explications au Rocket.
«Dickie, m’a-t-il dit simplement, les gens veulent encore me voir scorer!
Et j’essaie de les satisfaire. Je n’ai pas le choix…»
L’émeute du Forum 50 ans plus tard
Maurice Richard au grand écran
Michelle Coudé-Lord
Journal de Montréal 17/03/2005
Moore n’a pas insisté. Quand le Rocket marquait, c’est tout le monde qui marquait avec lui. Même lorsqu’il participait à un match des anciens.
Et le jour où il l’a suspendu, c’est tout un peuple que M. Campbell a suspendu. On en a vu le résultat le soir du 17 mars 1955.
Roy Dupuis personnifiera le grand Maurice Richard au cinéma dans un film réalisé par Charles Binamé et produit par Cinémaginaire. Et on tournera au Colisée de Québec, le Centre Bell étant trop moderne, et certains des joueurs du Canadien de Montréal pourraient trouver des jobs d’acteurs.
En entrevue exclusive au Journal de Montréal, le cinéaste Charles Binamé et la productrice Denise Robert affirmaient qu’ils auront besoin d’excellents patineurs pour rendre encore plus vraie l’histoire de ce grand héros.
«Nous allons lancer un appel à certains joueurs du Canadien et peut-être à d’autres de la Ligue nationale de hockey», dit-il. D’autant plus que le film, pour respecter encore plus l’époque du Rocket, comportera des scènes en anglais. Ce film pourrait d’ailleurs connaître un beau succès dans le Canada anglais.
Le film sera tourné au Colisée de Québec dès ce printemps
Hasard de la vie, le film racontera la vie de ce héros unique jusqu’à la fameuse émeute du Forum de Montréal, un évènement qui date aujourd’hui de 50 ans.
«C’est tout de même spécial qu’on annonce un film sur Maurice Richard au moment où le hockey est en grève pour une grosse question de millions. L’homme aurait été en furie, c’est certain, lui qui a joué pour de simples piastres», explique le réalisateur.
Le scénario racontera l’histoire non seulement du héros mais aussi de l’homme intérieur, secret.
«Nous allons montrer sa force, sa détermination, l’impact de son combat sur patins sur le Québec moderne, mais nous allons montrer aussi l’homme secret», soulignent Denise Robert et Charles Binamé.
L’unique Roy Dupuis
Le réalisateur retrouve donc Roy Dupuis, son Alexis du film à succès Séraphin.
«Roy Dupuis a du feu dans les yeux, comme Maurice Richard. Il a non seulement son intensité, mais aussi son intériorité. Et bonne nouvelle : souvent je l’appelais pour lui parler de Maurice et chaque fois, il revenait d’un exercice de hockey. C’est un excellent joueur», souligne avec admiration Charles Binamé.
Un scénario de Ken Scott
Les producteurs de Cinémaginaire, Denise Robert et Daniel Louis, ont été audacieux et ont demandé l’écriture du scénario à Ken Scott, celui qui a donné au cinéma le fameux film La Grande Séduction.
«Son scénario est brillant et respecte le grand héros qu’était Maurice Richard. Il nous fait revivre sa route et aussi le combat du peuple canadien-français dans un environnement anglophone. Maurice Richard ne comprenait même pas un mot de son instructeur qui lui parlait en anglais, à l’époque. Il faut se souvenir. Ce film sera aussi un rappel de l’émergence du Québec moderne porté par ce grand héros. C’est excitant, tout cela», raconte le réalisateur, qui a vécu le grand succès de Séraphin au cinéma.
Denise Robert avait d’ailleurs très hâte de travailler avec Charles Binamé.
Maurice Richard est un film d’époque qui nécessitera un budget de 8,5 millions. «Il nous faut un vrai aréna, des vrais patineurs, un Colisée rempli. On ne peut filmer l’émeute du Forum de Montréal avec une vingtaine de personnes dans les gradins. Il faudra respecter toutes les émotions du moment», estime le réalisateur.
Roy Dupuis a déjà personnifié Maurice Richard dans la série commanditée par Robert-Guy Scully. On se souvient encore de son regard de feu.
«Il est unique comme acteur», rappelle Denise Robert.
Le tournage débute en mai, mais le réalisateur voudra peut-être profiter des patinoires extérieures et de la disponibilité actuelle des grévistes millionnaires…
La sortie du film est prévue pour Noël 2005. Il sera distribué par Alliance Atlantis Vivafilm, qui espère battre le record de 8 millions de dollars au box-office établi par Séraphin – Un homme et son péché.
«C’est une grande responsabilité et un honneur d’amener au cinéma l’histoire unique de ce héros. Il nous faudra être touchants, crédibles et respecter le fait que Maurice Richard était un héros malgré lui», conclut Charles Binamé.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé