Dubois, Létourneau et Trudeau, même combat

"Dying at home with" René-Daniel Dubois ou apprivoiser l’amnésie collective avec Jocelyn Létourneau

1759-2009: 250e de la bataille des Plaines d'Abraham


«Le nationalisme, c’est le contraire de la démocratie: c’est opposer aux
droits de l’homme le devoir d’assurer la survie de l’ensemble dans des
termes-qu’il est interdit de discuter.»
([René-Daniel Dubois, La Presse, 2
février 2008->11565])
«Je m’élève contre la conception [...] qui veut qu’il y ait un héritage
fondateur aux sociétés [...] parce que l’histoire montre qu’il n’en est
rien. Les sociétés sont au contraire en continuelle évolution, au même
titre que le sont les cultures et les identités.»
([Jocelyn Létourneau, Le
Devoir, 6 novembre 2007->14387])
***
Ces deux citations sont extraites de deux charges pour le moins
virulentes dirigées contre le nationalisme, cette maladie honteuse qui
affligerait grandement la société québécoise francophone, un nationalisme
débilitant, rétrograde, une grande noirceur quoi. De la plume de Dubois,
on ne peut s’attendre à quelque chose de trop pondéré. Par définition, un
pamphlétaire ne s’enfarge pas dans les nuances parce que cela risque
atténuer son argumentation. Par contre, du crayon historien de Létourneau,
on se serait attendu à plus de mesure. N’est-ce pas le propre de
l’historien de faire la part des choses?
Ces deux cris ont aussi en commun une sorte d’incapacité à ne voir autre
chose qu’un fléau dans le nationalisme, une sorte d’impuissance à
distinguer le nationalisme défensif et conservateur d’avant 1960 de celui
issu de la Révolution Tranquille comme si tous les deux, ils étaient restés
fixés au constat du »citélibriste» Trudeau qui n’avait sans doute pas
remarqué que Duplessis était mort en 1959. Il s’agit du même Trudeau qui
tout en vilipendant les méchants nationalistes s’appliquait paradoxalement
à créer artificiellement un authentique nationalisme «canadian». La dette
publique canadienne s’en rappelle.
Le nationalisme naît de la privation de quelque chose, de l’humiliation,
de l’oppression, de l’exclusion, de l’exploitation. C’est une réaction.
C’est le réveil des particularismes face à une volonté d’hégémonie. Les
Étasuniens n’ont pas à être nationalistes, ils sont impérialistes. Les
Anglais n’ont pas développé de sentiment nationaliste, le soleil ne se
couchait jamais sur leur Empire. On pourrait dire la même chose, à des
époques différentes, de la France, de l’Espagne, de l’Autriche-Hongrie, de
l’Empire Ottoman. Les guerres napoléoniennes, plus que toute autre chose,
ont grandement stimulé l’émergence de sentiments nationalistes en Europe.
Le nationalisme allemand, celui qui a fait tant de dommage et auquel on
cherche parfois de manière vicieuse à nous identifier, trouve sa source
dans le traité de Versailles quand les vainqueurs de 1919 ne se sont pas
contentés d’abattre l’ennemi mais aussi de le piétiner, de l’enfoncer. Il
ne manquait alors qu’un élément catalyseur pour tout faire sauter. Hitler
est donc une création des vainqueurs de Versailles comme Saddam Hussein a
été une créature des États-Unis.
Que dire du Québec ? Il y a des peuples qui ont été beaucoup plus
opprimés que nous. Il faut en convenir. Gardés subalternes pendant le
régime français, la conquête anglaise n’a rien changé à cet état de chose.
Ils ont continué à nous exclure jusqu’au jour où ils ont eu besoin de nous
dans leur affrontement avec leurs Treize Colonies. Pendant qu’ils
accaparaient l’essentiel du pouvoir économique, ils ont fait mine de nous
donner un pouvoir politique en nous octroyant un droit de vote qui ne
voulait rien dire. Quand les Patriotes ont cherché à obtenir des
institutions vraiment démocratiques, ils ont été écrasés et est revenue sur
le tapis cette volonté de nous mettre en minorité pour nous assimiler.
Minoritaires, nous le sommes devenus. Notre nationalisme est né de cette
nouvelle tentative d’assimilation de 1840. Oui, il en a été un de repli.
Oui, il était carrément défensif. Il était même clérical et conservateur
et ce jusqu’en 1960 où il a plutôt évolué vers un natioanlisme
d’affirmation, d’ouverture sur le monde et d’accueil.
Voilà où réside le problème des pourfendeurs du nationalisme. Ils sont
incapables de concevoir que l’on puisse défendre son héritage tout en
évoluant, que l’on puisse s’affirmer tout en s’ouvrant. C’est l’héritage
le plus pernicieux et le plus persistant du discours passéiste de Trudeau
sur le nationalisme, discours que son rejeton continue à nous seriner ad
nauseam. Mais il n’est pas le seul. Dubois et Létourneau s’appliquent
tous les deux à identifier le nationalisme actuel comme une menace, comme
“le grain duquel ont germé les autoritarismes politiques les plus abjects.”
(Létourneau) Et Dubois de renchérir: “Le nationalisme, c’est une manière
de maintenir sur la place publique une et une seule vision de ce que peut
être la vie en commun: celle dans laquelle, par le recours à la notion de
menace, la population est sommée d’obéir à des élites qui [...] sont les
seules à avoir le droit de parler, [...]. “ Le nationalisme est donc du
totalitarisme pur si l’on interprète sa pensée.
Il me semble qu’il n faut pas avoir été un observateur bien perspicace du
Québec moderne pour y aller de tels avancés. Comment peut-on affirmer sans
sourciller avec Létourneau qu’il n’y a pas d’héritage fondateur pour les
sociétés ? Comment poser comme un dogme qu’un tel héritage puisse éliminer
l’évolution ? Comment ajouter qu’il y a des évidences historiques qui
nuisent à l’essor des cultures ? Dans la bouche d’un historien, ces propos
sont plutôt troublants. Il faut être un peu débranché quand on affirme
comme Dubois que le nationalisme au Québec est essentiellement défensif.
C’est occulter l’histoire du Québec depuis 1960. Comme le nationalisme se
nourrit d’une menace, Dubois prétend qu’il n’a pas avantage à ce que les
problèmes se règlent s’il veut perdurer. Il ne lui vient même pas à l’idée
que peut-être l’indépendance acquise, ce nationalisme n’aurait pas autant
sa raison d’être. Dubois prétend même que le nationalisme peut mener à la
mort ce qu’il prétend défendre. On peut alors légitimement se demander ce
qu’il attend pour devenir un nationaliste militant pour pouvoir enfin
contribuer à sa mort.
Au contraire, on peut très bien construire autour d’un héritage fondateur
tout comme on peut modifier et améliorer une construction en gardant
intactes les fondations. Le Canada ne se construit-il pas sur l’héritage
de 1867? Aux nouveaux arrivants, il faudrait dire: Voilà, c’est notre
histoire. Nous ne sommes pas plus intelligents que les autres peuples. On
a fait des erreurs, réalisé des bons coups. On a vécu des épreuves et on a
connu de bonnes phases. Nous avons déjà plusieurs chapitres d’écrits,
voulez-vous rédiger les suivants avec nous ? Voulez-vous les enrichir de
vos expériences et de vos sensibilités ? Et eux, ils devraient être
conscients qu’ils montent à bord d’un véhicule qui roule depuis bien
longtemps. Ils seront peut-être plus en mesure de nous comprendre, de
saisir notre cheminement. Ils n’arrivent pas en l’an 1 de la nation. Cela
n’impliquent pas qu’ils doivent faire le vide complet de ce qu’ils sont.
Évidemment, cette situation souhaitable est impossible dans le contexte
politique actuel.
Se rappeler, se souvenir, refuser d’oublier, ce n’est pas se complaire
dans une geignarde victimisation. Ce n’est pas non plus s’appliquer à
ruminer une quelconque revanche. C’est bien plutôt assumer ce que l’on a
été et réaliser ce qu’on est devenu. Qu’on le veuille ou non, ce qu’on a
vécu façonne grandement ce que l’on est. Messieurs Dubois et Létourneau
tiennent sûrement à leur histoire personnelle. Ça leur appartient, c’est
unique et ça explique en partie ce qu’ils sont. Pourquoi en serait-il
autrement pour les collectivités ? Occulter le moindre détour, le moindre
recoin, tordre la réalité pour la faire entrer dans une schématisation
excessive bardée de concepts abstraits, c’est agir comme l’enseignement de
l’histoire qui tend présentement à se répandre, c’est polir un miroir
déformant de notre mémoire collective, c’est une quête de l’insipidité
cachée derrière le noble objectif de l’éducation à la citoyenneté. Bref,
c’est comme participer à une oeuvre de déracinement annonciatrice d’une
amnésie débilitante. C’est se culpabiliser en s’excusant d’exister.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Gilles Ouimet66 articles

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Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 octobre 2008

    Dubois parle des terreurs du nationalisme européen (pas juste allemand) qu'il applique au nationalisme québécois ... sans armée officielle et bien faible à côté d'un nationalisme américain possédant une grosse armée lui !
    Létourneau parle un langage post-nationaliste et pseudo-universaliste désincarné ... après avoir beaucoup écrit sur le Québec et son Histoire ! " Que veulent vraiment les Québécois ? " demandait-il, à quoi il faut répondre par une même question : " Que veut vraiment Létourneau, ce lauréat Trudeau (de la Fondation) et historien de cette Université Laval qui collabore au Dictionnaire biographique du Canada depuis longtemps ?
    Bravo M. Ouimet pour votre attention à la rhétorique fédéraliste inavouée servant aussi un nationalisme pancanadien ...
    Sébastien Harvey
    sebastien_harvey1@hotmail.com
    Montréal

  • Michel Guay Répondre

    23 juillet 2008

    Le nationalisme permet de dépasser l'individualisme et nous protège des abus des internationalistes .
    Ils confondent volontairement nationalisme et impérialisme et ils laissent croire bêtement que les fédéralistes ne sont pas des nationalistes canadians .

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juillet 2008

    « Le nationalisme, c’est le contraire de la démocratie : c’est opposer aux droits de l’homme le devoir d’assurer la survie de l’ensemble dans des termes-qu’il est interdit de discuter. »
    (René-Daniel Dubois, La Presse, 2 février 2008)
    M. Dubois n'a que le mot "nationalisme" à la bouche, le "nationalisme" européen oui qui a causé du trouble ! Évoque-t-il jamais le mot "patriotisme" ? Hmmm... on en doute.
    Pour ce qui est de la distinction entre nationalisme ethnique et nationalisme civique, ça non plus il ne semble vouloir la définir !
    Parle-t-il aussi de ce nationalisme pancanadien (faussement multiculturel) renforcé à coups de centaines de millions de dollars ?