Égypte: le pouvoir d'une idée

Géopolitique — Proche-Orient




Les manifestants, notamment au Caire, ont continué de demander le départ du président, comme cette femme, dont le message est sans équivoque: «Dégage Mubarak».
PHOTO: MANOOCHER DEGHATI, AP

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Jean-Noël Ferries -
L'Égypte est en pleine crise et il est difficile de dire comment elle en sortira. La violence de l'opposition au chef de l'État, l'absence d'une scène oppositionnelle organisée, le retour des militaires aux commandes - le nouveau vice-président comme le nouveau premier ministre sont issus de l'armée - ne suggèrent pas que nous allions vers une «révolution de velours» sur le modèle tunisien. Pour l'instant, le régime n'est pas en train de se démocratiser, il est en train de revenir dans le giron de l'armée. La seule question qui se pose, à vrai dire, est: jusqu'où ira celle-ci pour le maintenir? Si elle ne faiblit pas, elle possède les moyens d'imposer ses vues et probablement aussi de contrôler le prochain processus électoral, puisque l'on devait procéder cette année, à l'automne, à l'élection présidentielle.
La seule chose qui semble clairement exclue, aujourd'hui, est le scénario de succession qui avait longtemps agité les débats égyptiens: celui d'une succession du père au fils, voyant Gamal Moubarak, fils cadet du président, lui succéder. C'est du reste paradoxal, puisqu'il représentait l'aile réformatrice du parti au pouvoir, le PND, et travaillait à promouvoir une ouverture démocratique de celui-ci, en s'inspirant de grands partis occidentaux. Lorsqu'on faisait des hypothèses sur la succession, on opposait généralement à la possibilité de sa candidature celle d'Omar Souleiman, actuel vice-président et chef des services de renseignement. Il était le candidat préféré de la «vieille garde» du parti, qui n'appréciait pas le programme de Gamal Moubarak. Aujourd'hui - même s'il s'agit d'une victoire à la Pyrrhus -, c'est cette vieille garde qui semble l'emporter.
Le retour de l'armée et la défaite des réformateurs du régime sont ainsi les premières conséquences de la convulsion violente qui parcourt l'Égypte. C'est une manifestation de l'imprévu démocratique. Mais celle-ci ne doit pas nous faire ignorer sa manifestation la plus importante. La situation de l'Égypte n'était pas pire à la veille des manifestations qu'elle ne l'était auparavant. Aucune augmentation des tarifs des produits de première nécessité n'est à son origine. Le gouvernement n'a pas pris une mesure précise qui déclenche l'ire de la population, il n'a pas davantage raboté ses libertés. Les Égyptiens sont avant tout descendus dans la rue parce que les événements tunisiens leur ont insufflé l'idée que c'était possible. C'est cette simple idée qui a débridé leur colère et ce qu'ils demandent, c'est tout simplement la fin du régime et le départ de son chef. C'est l'autoritarisme en lui-même qu'ils rejettent et non quelque chose de précis qu'il aurait fait. Il est fascinant de constater ainsi le pouvoir d'une idée et sa force soudain mobilisatrice. Quoi qu'il arrive dans les jours et les semaines qui viennent, c'est l'irruption de cet imprévu démocratique qui marquera les esprits et laissera des traces profondes dans la région. Les gouvernants devront intégrer dans leurs programmes des impératifs qui ne se limitent pas à traiter la question sociale. Ils devront, notamment, considérer que les gouvernés sont également, et peut-être surtout, des citoyens. Ce serait une véritable révolution.
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Jean-Noël Ferries
Spécialiste du monde arabe, l'auteur est directeur de recherche au CNRS, au Centre Jacques-Berque, à Rabat, au Maroc.*
* L'auteur a publié en 2008, «L'Égypte entre démocratie et islamisme - Le système Moubarak à l'heure de la succession», aux éditions Autrement.


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