L'ignorance est un état d'enfance perpétuelle, nous dit un proverbe turc. Tant il est vrai que depuis la nuit des temps, maintenir les masses populaires dans cet état s'est avéré un moyen bien commode pour couper court, et par avance, à toute velléité de la plèbe de prendre son destin en main.
Le 2 septembre, Libé publiait une tribune rédigée par deux professeurs de français à la retraite, intitulée « Les crêpes que j’ai mangé » : un nouvel accord pour le participe passé.
« Employé avec l’auxiliaire avoir, le participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le complément d’objet direct quand celui-ci le précède (les crêpes que j’ai mangées). Mais si le complément suit le participe, il reste invariable (j’ai mangé les crêpes). »
A l’école les enfants se demandent : pourquoi avant et pas après ? Souvent, les enseignants savent expliquer comment on accorde, mais pas pourquoi. L’incohérence des règles traditionnelles les empêche de donner du sens à leur enseignement. Le temps moyen consacré aux règles actuelles est de 80 heures, pour atteindre un niveau dont tout le monde se plaint. Il serait tellement plus riche de le consacrer à développer du vocabulaire, apprendre la syntaxe, goûter la littérature, comprendre la morphologie ou explorer l’étymologie, bref, à apprendre à nos enfants tout ce qui permet de maîtriser la langue plutôt qu’à faire retenir les parties les plus arbitraires de son code graphique.
Donc, en gros, c'est trop compliqué pour nos chères têtes blondes, qui, fait bien connu, sont biesses de père en fils depuis Charlemagne. À moins que ce ne soit plus récent que cela en fait ? Cela évite en tout cas d'avoir à poser la question de la responsabilité des enseignants (et des programmes) dans le véritable naufrage qu'est devenu l'école obligatoire, notamment en Belgique.
Ce qui me gêne un peu aux entournures, c'est que nos deux larrons présentent ce projet de réforme au nom de « la Belgique », alors qu'ils ne représentent qu'une petite brochette de professeurs plus ou moins désoeuvrés, et quelques illuminés qui s'imaginent qu'une langue qui ne serait pas amendée tous les deux ans serait une langue morte. Basta !
Personne n'a jamais dit que c'était facile, ou même que cela devrait l'être : si vous voulez une langue facile, qui ne connaît aucune exception, et dont la grammaire au grand complet peut être maîtrisée en 150 heures, orientez-vous plutôt vers l'espéranto. C'est élégant, logique et efficace : dommage que personne ou presque ne le parle.
Abaisser le niveau d'exigence lorsque la moyenne des élèves ne parviendrait plus à satisfaire aux critères de maîtrise minimale est un aveu de capitulation, pas un progrès ! À quand les courses d'obstacles avec les barrières à 14cm du sol, les piscines olympiques de 15m et le marathon de 2km en marchant ? On pourrait étendre ce concept aux facultés universitaires, aussi ? À quand une école de la réussite pour les médecins, afin que chacun, quelque soit son niveau, puisse aussi arborer fièrement le caducée et tuer ses patients tranquillement sans avoir à étudier par coeur tout un tas de sornettes tellement trop compliquées ? Ce serait tellement plus rigolo de rouler dans des voitures fabriquées par des ingénieurs qui n'auraient pas la moindre notion de mécanique, de vivre dans des immeubles conçus par des architectes n'ayant jamais entendu parler de résistance des matériaux : l'aventure, la vraie, pour vraiment pas cher.
L'école doit être avant tout le lieu où l'on apprend à apprendre, pas un lieu où l'on vous bourre le crâne : c'est une chose que de connaître les règles, c'en est une autre de les appliquer, et c'est là que le bât blesse ! Pour maîtriser la langue, il est impératif de lire, et de lire encore. Ainsi il est nettement plus profitable pour un enfant d'apprendre à aimer la lecture qu'à faire des dictées. Les dictées ne servent qu'à le classer dans un système ou seuls les nombres comptent et où les individualités sont solubles dans la moyenne. D'ailleurs les auteurs le disent bien : « pour un résultat médiocre... ». Oui, mais un résultat de qui ? La moyenne ? C'est la moyenne qui va obtenir le diplôme ? C'est la moyenne qui deviendra médecin ou ingénieur ? C'est la moyenne qui sera garante de l'enseignement de demain ?
La véritable question qui se pose ici est celle de la fiction sociale qu'on appelle « égalité des chances »
Cette fiction sociale repose avant tout sur un malentendu que le politiquement correct entretient presque amoureusement. Parce que si au cours des siècles passés, l'enseignement supérieur était réservé la plupart du temps aux classes nanties, ce n'est plus le cas aujourd'hui, il suffit de regarder le nombre d'inscriptions dans les facultés pour s'en rendre compte. Et les élèves sont issus de toutes les classes sociales, de tous les milieux, mais sont-ils égaux pour autant ?
Bien sûr que non ! Certains sont issus de filières d'enseignement notoirement meilleures, même si le diplôme délivré a nominalement la même valeur, et permet à chacun d'entamer des études supérieures.
Plus important sans doute, le talent ne se décrète pas, les aptitudes non plus : tel sera plus doué pour les maths, et tel autre pour la littérature tandis que le troisième aura plus d'affinités avec le travail manuel. Et de même on a besoin de bons maçons comme de bons médecins, ainsi il y a de la place pour tout le monde.
Mais décréter qu'au nom d'une « égalité » de principe qui ne sert que de cache-sexe à la social-oligarchie, on devrait abaisser le niveau général dans toutes les disciplines me paraît pour le moins hypocrite, et contre-productif : pensez-vous vraiment que les facultés, elles, vont abaisser le niveau quitte à diplômer des ânes ? Évidemment que les universités sont élitistes ! Pas parce qu'elles favoriseraient telle ou telle classe sociale, mais parce que pour elles, ce qui compte, c'est le niveau atteint par les étudiants diplômés.
C'est d'ailleurs une manie assez récurrente chez nos dirigeants de penser que parce qu'ils sont arrivés à se hisser tout en haut du tas de fumier, leurs rejetons sont forcément des génies (parfois incompris) qui méritent de facto le droit (héréditaire, donc) de régner à leur tour sur le restant de l'humanité souffrante. La même fiction sociale, vue à travers le prisme de la domination financière de l'oligarchie sur les masses, comme les Medici se voyaient bien mériter une place en paradis et non dans le septième cercle de l'enfer s'ils finançaient tel ou tel monastère sur leurs propres deniers.