En attendant Camus (!)...

Par Charles Binamé

2006 textes seuls

Libre-Opinion : Que Monique Proulx réponde par un parfait agacement au journaliste français qui lui demandait, au dernier Salon du livre de Paris, pourquoi elle écrivait en français, je ne peux que m'en réjouir.
Que la réponse de Madeleine Gagnon, à l'opinion exprimée par David Homel dans Le Monde, ait donné lieu à cet hymne de mépris («À la défense de la littérature québécoise», Le Devoir, 22 mars 2006), voilà qui, dans le contexte, est souverainement rafraîchissant. Non pas que je lui donne raison sur le fond, mais je ne peux que me troubler face à ce cri qui défie l'entendement. Un hurlement qui témoigne, bien davantage que le pieu noir qu'il enfonce dans le coeur du «traître», d'un lamentable constat de sujétion. Mais voilà, l'Académicienne (une vraie celle-là !) a vomi. Pour moi, c'est parfaitement hygiénique et, de plus, cela a le mérite de nous faire savoir où elle loge. On se plaint qu'ici nos intellectuels soient réservés, voire muets, eh bien, nous voilà comblés.
Cela dit, on n'a qu'à se souvenir de tout le frou-frou causé par le passage au Québec, il y a quelques années, du pape incontesté de la chose littéraire française, Bernard Pivot, pour saisir combien nous sommes encore et toujours égarés sur les rives de cette terre d'Amérique, avec quelques jolis complexes qui ont la vie dure.
N'est-il pas grand temps de se le répéter, et ce, jusqu'à épuisement de cette chimère, que l'aval, la bénédiction, que le visa d'entrée estampillé sur nos passeports des colonies ne nous sera jamais consenti par ceux qui se tiennent pour seuls dépositaires légitimes de la Lingua Franca. Hors de la France, point de salut ! Point d'intérêt.
Les dernières marches du temple

Mais alors, se demande-t-on dans les chaumières, comment expliquer nos autres succès à Paris et en France ?
Passons sur les arts éminemment exportables (et muets... ) que sont la musique, le cirque et la danse. Restent la chanson, le conte, le théâtre, le cinéma et la littérature.
La chanson et le conte nous valent ces regards obligeants et empressés de la métropole : ... charmants nos petits cousins avec leur langue aux effluves capiteux de Vieille France. Le théâtre, lui, parvient à se faufiler avec Maheu et Lepage qui ravissent les sens du public avec leurs ivresses scéniques.
Pour le cinéma, c'est cyclique. Tantôt une vague de cinéma iranien, tantôt de cinéma égyptien, danois, grec, québécois (ah ?), ou belge (oh !). On suit les modes, ou les défilés des lauréats de Cannes. Angelopoulos, Arcand, les frères Dardenne. Mais c'est cyclique.
Avec la littérature, on gravit les dernières marches du temple. L'air est plus rare, les sourires aussi, car on arrive dans les platebandes plus épineuses des «arts majeurs». Quoi... Qu'est-ce ? Ah, et cela est écrit en français ? ! Quelques éditeurs de l'Hexagone plus téméraires, plus fous -- ou plus éclairés -- que leurs dédaigneux confrères, tentent des sorties visière ouverte -- à leurs risques et périls. Parfois, un bon coup fouette l'espoir.
Philippe Navarro, qui jetait dans la mare, dans Le Devoir du 28 mars dernier, un pavé ( !) sous le titre «La plume et le néant», y étalait une mise en perspective étourdissante au coeur de laquelle il constatait, navré, notre «néant» (littéraire) ou mieux encore «notre folklore créolisant» (toujours littéraire !). Quand nous serons à «l'échelle» des grands, devant les siècles et la planète (sic !), alors nous aurons nos Dostoïevski, nos Proust et nos Steinbeck, pérorait-il.
En attendant Camus... (encore de M. Navarro !), je nous lance une invitation urgente.
Pas un instant de plus à gaspiller nos rêves en utopiques accolades venues d'une France trop occupée à se regarder débouler. Surtout continuer, pour notre plus grand bonheur, à piocher dans cette veine riche et prolifique où fourmillent Gauvreau, Ducharme, Suzanne Jacob, Vanier, Marie Claire Blais, Patrice Desbiens, Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Courtemanche, Monique Proulx, Lalonde, Nelligan, Miron, Soucy, Rolland Giguère.
« Rosace les roses les roses et les ronces/ et mille et mille épines/ dans la main où la perle se pose...»
En attendant Camus ( !)... continuer de dévorer goulûment nos perles -- et nos géants.


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