Rome, il y a un an, a eu Ratzinger. Quelque deux ans auparavant, Québec avait eu Marc Ouellet. Dans les deux cas, la nouvelle a créé une commotion pour de semblables raisons.
Personne, dans l'univers catholique, ne conteste aux deux hommes leur total engagement envers Dieu et l'Église, de même que leurs grandes compétences théologiques. Plusieurs, toutefois, craignent leur rigidité dogmatique et leur réputation d'inconditionnel de l'orientation actuelle de l'Église institutionnelle. À Québec, Mgr Maurice Couture incarnait le visage souriant et conciliant de Vatican II. Marc Ouellet, le petit gars de l'Abitibi devenu l'homme de Rome, avait-il reçu la mission de mettre au pas une Église québécoise trop tentée par le modernisme ?
Le journaliste Pierre Maisonneuve, qui s'intéresse depuis longtemps à la dynamique du catholicisme québécois, a voulu mieux connaître le parcours et les idées de Marc Ouellet pour tenter de faire le point sur ces enjeux. Dans un éclairant recueil d'entretiens intitulé Le Journaliste et le cardinal, il talonne respectueusement le nouvel archevêque de Québec afin que ce dernier dévoile l'essentiel de sa pensée et de ses positions. Pour les tenants du courant moderniste dans l'Église, le résultat n'est pas très réjouissant.
Dans un passage introductif, Maisonneuve explique bien que deux grands courants théologiques dominent l'Église post-Vatican II. Le premier, d'inspiration anthropologique, cherche «à comprendre le dessein de Dieu à partir de la condition humaine» et a notamment mené à la théologie de la libération. Le deuxième, quant à lui, part de la révélation et laisse peu de place à l'interprétation : «La révélation, on y croit, on y adhère librement, après quoi, on obéit.» Le cardinal Ouellet, spécialiste de la théologie fondamentale, adhère presque sans réserve au second courant. Pour lui, dit-il, tout part de cette question centrale : «Qu'est-ce que la révélation chrétienne dit de l'être humain ?»
Il s'agit bien sûr, pour un chrétien, d'une question essentielle. Le problème, en fait, surgit quand les réponses qu'on y apporte ne distinguent plus ce qui relève de la révélation elle-même de ce qui relève de la tradition de l'Église, qui reste de part en part humaine, même si elle aime bien se présenter comme sainte et inspirée.
Aux pertinentes questions de Pierre Maisonneuve au sujet de la théologie de la libération, dont les tenants ont souvent eu maille à partir avec le Vatican, le cardinal offre des réponses prudentes. Il reconnaît ainsi la valeur de ce courant, mais il rejette sa tendance «à une sorte d'horizontalisme» qui risque «de réduire Jésus-Christ à une figure de libérateur politique». Il exprime donc des réserves sans clore le débat. C'est de bonne guerre.
Cette ouverture à la discussion, toutefois, atteint vite ses limites, surtout dans les dossiers qui tiennent particulièrement à coeur aux catholiques progressistes du Québec. Pour justifier son interdiction (eh oui !) de l'absolution collective, une pratique qui avait réconcilié plusieurs croyants avec le sacrement de la pénitence, Marc Ouellet se fonde sur la tradition et sur la nécessité de la dimension personnelle de la démarche. Va, peut-être, pour le second élément, mais comment peut-on croire que ceux qui prenaient la peine de se rendre à une célébration d'absolution collective ne se reconnaissaient pas, en leur âme et conscience, pécheurs ? Lorsque le cardinal ajoute que «nous devons assurer que les gens puissent rencontrer individuellement un prêtre pour recevoir l'absolution», il enfonce une porte ouverte. Personne, en effet, n'est contre cela. C'est l'obligation de cette démarche unique qui dérange et sert mal l'Église.
Divorce et contraception
Le divorce ? Jésus l'a exclu, répond-il pour clore le débat, en renvoyant à un passage de Matthieu. Ce dernier, pourtant, fait dire à Jésus : «Si un homme renvoie sa femme, alors qu'elle n'a pas été infidèle, et en épouse une autre, il commet un adultère.» Nuance, donc, puisque l'infidélité pourrait justifier le renvoi. Qui, alors, exclut en interdisant la communion aux divorcés remariés ? Jésus ou l'Église ?
Et en ce qui concerne la contraception, comment, de même, ne pas se désoler de ce patinage intellectuel qui consiste à avaliser certaines méthodes dites naturelles, c'est-à-dire compliquées et incertaines, pour mieux condamner les autres ? Il s'agit de «protéger l'amour», affirme le cardinal, qui ne convaincra personne, tant il est vrai que ce noble sentiment mérite mieux comme protection.
Le mariage homosexuel ? Voilà que c'est la raison, cette fois, qui nous intimerait de nous y opposer. L'explication, pourtant, relève plutôt de l'appel à la tradition et à la majorité : «Universellement, dans toutes les cultures, le mariage est compris comme étant l'union d'un homme et d'une femme.» Pour ajouter à cette faible argumentation, Marc Ouellet se fait utilitariste : les gens mariés, par leurs enfants, rendent service à la société et ont droit, pour cela, à la reconnaissance de l'État. On est loin de la révélation.
Le sacerdoce des femmes ? Le «dépôt de la foi» a tranché : c'est non. À Maisonneuve qui, tenace, lui demande : «Où Dieu a-t-il, par Jésus, écrit que les femmes ne pouvaient pas être prêtres ?», le cardinal répond par une pirouette qui révèle que sa pensée est à géométrie variable : «Dieu ne l'a pas dit parce que le problème ne se posait pas dans ces termes-là. On ne peut pas faire l'anachronisme de poser exactement nos questions et retourner dans les Écritures pour tenter de trouver où la réponse est écrite.» On a pourtant l'impression que c'est à cet anachronisme que s'adonne le théologien quand cela lui convient. Pour le divorce, c'est le pied de la lettre (encore que ce ne soit pas, comme on l'a vu, tout à fait exact). Pour les femmes prêtres, le pied de la lettre, c'est-à-dire son silence à ce sujet, ne vaut plus, et c'est alors le «dépôt de la foi» qui tient lieu de vérité absolue. L'idéologie à la rescousse du dogme, quoi. «Vous parlez d'un dialogue, constate Maisonneuve, mais un dialogue pour que les gens vous comprennent et acceptent votre vision !» Réponse du cardinal : «Oui, effectivement.» Cela a le mérite d'être clair : hors de l'Église et de ses vérités actuelles (parce qu'elle en a changé au cours de son histoire), point de salut.
Clair, mais, je le répète, désolant. Parce que l'Église ne parviendra pas à contrer le subjectivisme et le relativisme, qui menacent réellement notre sens moral, en leur opposant l'absolu d'une tradition. Maisonneuve a raison de citer Fernand Dumont, selon lequel «la crise de religion au Québec n'est pas une crise de vérité, elle est une crise de pertinence». Proposer sans imposer, comme prétend le faire Marc Ouellet dans un élan de retenue, ne suffira pas à faire resurgir cette pertinence du message évangélique et de la foi, si ce qu'on propose reste aveugle et sourd aux signes des temps modernes. Sans audace et générosité, la fidélité se dessèche. Le sabbat pour l'homme, oui; pas l'homme pour le sabbat.
louiscornellier@parroinfo.net
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Le Journaliste et le cardinal
Entretiens
Le cardinal Marc Ouellet et Pierre Maisonneuve
Novalis
Montréal, 2006, 208 pages
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