Et si Harper avait raison ?

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Le populisme dépasse largement le clivage gauche-droite : c'est un phénomène intrinsèquement démocratique

On a peu entendu parler de Stephen Harper depuis sa défaite du 19 octobre 2015. C’est hors des frontières canadiennes, loin des regards, qu’il a poursuivi son engagement conservateur.


Mais dans un livre à paraître mardi, Right Here, Right Now: Politics and Leadership in the Age of Disruption, il plonge tête première dans le débat qui sous-tend les forces politiques au pays. Nationalisme, populisme, mondialisation.


L’ancien premier ministre livre une sérieuse mise en garde à la classe politique canadienne. Le Canada doit cesser de se croire à l’abri des forces populistes qui ont mené à Donald Trump, le Brexit et la montée de l’Extrême droite en Europe. Selon Stephen Harper, l’heure est venue de comprendre ce nouveau populisme au lieu de le dénigrer.


«Nous pouvons continuer d’essayer de convaincre les gens qu’ils ne comprennent pas leur propre vie, ou nous pouvons essayer de comprendre ce qu’ils nous disent», écrit-il.


Et si Stephen Harper avait raison ?


Les résultats de lundi dernier offrent ainsi plusieurs pistes de réflexion.


Le rejet massif du PLQ au sein de l’électorat francophone et la montée de groupes comme La Meute au cours des dernières années en font foi. Ce n’est pas en en taxant les partisans d’une plus grande intégration des immigrants ou d’une laïcité plus stricte de xénophobes que les élites réussiront à gagner la bataille du vivre ensemble.


Renouer avec le nationalisme


À force de prêcher l’inclusion, le Parti libéral a fait du débat identitaire un interdit honteux. Mais ce faisant, il a ouvertement dénigré l’insécurité culturelle d’une importante partie de la population, préoccupée de l’avenir du français et de la culture québécoise dans une société qui carbure à l’immigration et à la mondialisation.


Philippe Couillard avait raison de rappeler que «la majorité n’a pas tous les droits» et doit assurer la protection des minorités. Mais les électeurs francophones lui ont amèrement rappelé que l’affirmation de l’identité québécoise ne peut plus être automatiquement associée à l’intolérance.


D’ailleurs, certains élus libéraux l’admettent à mots voilés. On ne reconnait plus dans le PLQ d’aujourd’hui le parti nationaliste d’hier qui défendait la société distincte, osait légiférer sur l’affichage en anglais et réclamait le droit à l’auto-détermination.


Justement, à ce chapitre, Stephen Harper offre une leçon pertinente aux libéraux.


«Le populisme n’est pas une proposition noir ou blanc, écrit-il. Certains de ses éléments reflètent des griefs légitimes à l’égard du consensus des élites. D’autres devraient être dénoncés. Ce qui arrive requiert discernement et adaptation, non pas dogmatisme et condescendance.» 


Vers un populisme acceptable ?


Le diagnostic de l’ancien premier ministre conservateur est simple: la tendance populiste ne cessera pas tant que la classe politique ne répondra pas aux forces qui l’alimentent.


Et si fort de sa majorité, François Legault avait enfin les moyens d’offrir une réponse cohérente à l’insécurité identitaire qui persiste au Québec ?


Menace immigrante et spectre de l’Arabie saoudite, risque d’expulsion, interdiction du burkini et dérapages sur le tchador, il est vrai que la Coalition Avenir Québec est par moments tombée dans la démagogie sur le front identitaire.


Mais fort de sa majorité, et des limites évidentes qu’Ottawa imposera sur le front des réformes en immigration, un gouvernement Legault a les moyens d’évacuer les aspects plus radicaux de son programme tout en s’attaquant de front aux enjeux de la francisation et de l’intégration des immigrants, trop longtemps ignorés par crainte «d’attiser les flammes de l’intolérance».


C’est d’ailleurs ce que la majorité des électeurs de la CAQ ont retenu du «en prendre moins pour en prendre soin».


Ils y auront vu un politicien qui entend leurs inquiétudes face à la cohésion sociale de leurs communautés francophones. Oui à l’immigration, pourvu qu’elle comprenne un réel effort d’intégration. Parlez-en à la seule femme voilée de Saint-Georges en Beauce, il n’y a pas que les Québécois qu’on taxe de xénophobie qui adhèrent à cette logique.


Dans la même veine, ce que la CAQ propose sur le front des signes religieux est d’enfin tracer une ligne claire dans l’espace public entre croyances religieuses et la laïcité de l’État québécois. Rappelons qu’il y a une époque ou ces propositions semblaient modérées à côté de la Charte des valeurs du Parti québécois !


Faut-il vraiment aller jusqu’à congédier des enseignantes, des policiers et des gardiens de prison déjà en poste et qui exercent leur métier avec la même compétence qu’ils affichent leurs signes religieux ? J’en doute. Mais au moins ayons le courage d’avoir ce débat, plutôt que de l’évacuer sur l’autel du multiculturalisme tout-azimuts.


Entre un «populisme acceptable» et celui qui mène à l’intolérance et le repli sur soi, la marge est mince, très mince.


On ne peut qu’espérer que François Legault aura le courage et la sagesse de tracer la ligne au bon endroit. Ça, ça veut dire oser confronter les tabous sans céder à la démagogie.


Ça aussi Stephen Harper l’a appris à ses dépends.