État policier Part III

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État policier Part III

« Une attaque radicale à la liberté de presse » et « une menace à notre modèle traditionnel de démocratie ». Voilà ce qu'Edward Snowden pense de « l'affaire Lagacé » et des six autres cas de journalistes espionnés par des corps de police québécois.


Le célèbre lanceur d'alerte avait déjà commenté à deux reprises sur Twitter le dossier de l'heure dans l'actualité québécoise. Il a eu l'occasion d'étayer sa pensée, mercredi soir, dans une vidéoconférence organisée à l'Université McGill, à Montréal.


Des centaines d'étudiants ont fait la file pendant des heures pour entendre l'homme qui a permis de dévoiler les programmes de surveillance à grande échelle de la National Security Agency (NSA) aux États-Unis.


Sa conférence ne pouvait se tenir à un moment plus opportun. Quelques heures avant qu'il prenne la parole devant un amphithéâtre bondé, on apprenait que la Sûreté du Québec a épié en 2013 les appels de six journalistes, dont Marie-Maude Denis, Isabelle Richer et Alain Gravel de Radio-Canada.


En début de semaine, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) s'est retrouvé sous les projecteurs pour avoir colligé les relevés d'appels et les métadonnées du journaliste de La Presse Patrick Lagacé.


Snowden estime que le chef du SPVM Philippe Pichet doit démissionner pour « restaurer la confiance [du public] et rétablir les bases de l'imputabilité ».


M. Pichet, qui bénéficie toujours de l'appui du maire Denis Coderre, défend ses enquêteurs en affirmant qu'ils ont agi selon les lois en demandant et en obtenant l'autorisation d'espionner Patrick Lagacé auprès de la juge de paix Josée de Carufel.


Or, le problème se situe précisément au niveau de la loi, selon Edward Snowden.


Peut-on reconnaître ou à tout le moins débattre raisonnablement d'une nouvelle idée qui peut paraître un brin radicale? La loi commence à échouer dans sa mission de garantir nos droits.

Edward Snowden

« On ignore toujours selon quelle loi cette autorisation [de surveiller les journalistes] a été donnée », remarque-t-il.


« Le gouvernement peut s'introduire dans nos vies privées sans presque rencontrer d'entrave alors que nous, les citoyens, ne savons presque rien sur sa façon d'opérer », poursuit-il, depuis la Russie où il est réfugié pour échapper aux accusations de trahison qui pèsent contre lui aux États-Unis.


Le Canada et C-51 critiqués


Snowden est catégorique : impossible de se fier aux dirigeants des agences de renseignement pour respecter les lois protégeant la vie privée.


« La seule façon de s'assurer qu'ils jouent selon les règles, c'est en les menaçant de sanctions criminelles », lance-t-il.


Ainsi, Snowden propose de créer une autorité indépendante chargée d'étudier au cas par cas les agissements de ces agences et de les poursuivre devant les tribunaux si elles devaient transgresser la loi.


Or, « le Canada a le plus faible processus de supervision de ses services de renseignement parmi les pays occidentaux », avance l'ancien de la CIA et de la NSA.


À ses yeux, il s'agit là de la principale lacune de la loi antiterroriste C-51, adoptée par le gouvernement Harper et qualifiée par ses détracteurs de menace pour la vie privée. « Elle ne prévoit pas de supervision digne de ce nom », dit-il.


« [Justin Trudeau] a fait campagne en promettant de la réformer, mais ne l'a malheureusement pas fait, remarque Snowden. La plupart des experts estiment qu'elle est impossible à réformer de façon significative et qu'elle doit être abolie pour faire place à une nouvelle loi. »


Tous les pays surveillent leurs citoyens, détaille Snowden. « C'est la première fois de l'histoire que c'est technologiquement et logistiquement possible pour les gouvernements de traquer nos vies. Ce n'est pas de la science-fiction, ça se produit maintenant. »


Les outils technologiques qui devaient nous rendre autonomes sont désormais utilisés pour restreindre nos libertés.

Edward Snowden

Métadonnées et protection


Le SPVM n'a peut-être pas eu accès au contenu des conversations de Patrick Lagacé, mais les métadonnées de son téléphone sont suffisantes pour tracer un portrait précis de ses communications.


« Quand tu as les métadonnées, tu n'as pas besoin du contenu, explique Snowden. Ça dresse un rapport détaillé de la vie privée.Tu peux savoir où la personne va, qui elle rencontre, à qui elle parle, combien de temps... »


Edward Snowden suggère aux journalistes ainsi qu'à tout citoyen d'utiliser l'application Signal pour crypter leurs communications.


« Nous sommes tous surveillés, qu'on soit un criminel ou non », rappelle-t-il, ajoutant que « le droit à la vie privée est à la base de tous les autres droits ».


Le portrait qu'il dresse est sombre, mais le réfugié de 33 ans garde espoir de voir les politiques se réformer pour le mieux. « Les jours de la surveillance de masse sont comptés. Nous aurons droit à un avenir plus juste et plus libre que ce dans quoi nous vivons. »


« Ce sera la décision de votre génération », a-t-il conclu en interpellant les étudiants réunis pour l'écouter.



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