À compter de l’été 2022, les Québécois auront désormais une identité numérique. Ce sera le premier projet livré par la Société québécoise d’identité numérique (SQIN), créée par le nouveau ministère de la Cybersécurité et du Numérique, mené par Éric Caire. Mais à quoi ressemblera l’identité numérique des Québécois ? Le Progrès s’est entretenu avec le ministre pour en savoir plus à ce sujet.
« L’identité numérique, c’est l’ensemble des composantes qui permettent d’identifier et d’authentifier un individu de façon numérique », explique le ministre. C’est en misant sur la technologie des chaînes de bloc que le gouvernement souhaite déployer le service d’identité numérique. « On utilise des technologies qui sont déjà éprouvées, notamment dans le monde juridique, pour la transmission de documents légaux », dit-il.
Mais à quoi ressemblera notre identité numérique pour les utilisateurs ? Dans un premier temps, cette identité numérique devra être téléchargée et elle ne pourra être utilisée que sur une plateforme en ligne, qui remplacera clicSÉQUR, devenu désuet. « Ce sera une plateforme plus moderne, avec une infrastructure plus sécuritaire », soutient Éric Caire.
Avec un identifiant numérique unique et un mot de passe, il sera possible d’accéder aux services gouvernementaux en ligne, sur un ordinateur ou sur un appareil mobile, par exemple pour déposer son rapport d’impôt, pour renouveler son permis de conduire ou sa carte d’assurance-maladie, de manière plus efficace que par le passé.
« Plus besoin de se déplacer et d’attendre que les bureaux soient ouverts pour obtenir des services gouvernementaux, parce que l’identité numérique va permettre d’accéder aux services 24 heures sur 24, sept jours sur sept », note le ministre. Il suffira de se connecter à la plateforme gouvernementale pour y avoir accès.
Cette identité numérique améliorera aussi le service à l’hôpital, ajoute Éric Caire, car les informations seront transmises plus efficacement. « Avec l’identité numérique, il ne sera plus nécessaire d’aller chercher une carte d’hôpital et un formulaire. On va pouvoir offrir les services sans la paperasse, ce qui sera beaucoup plus simple pour le citoyen », dit-il.
Ce virage numérique permettra aussi à l’État d’être plus efficace et économe, notamment parce que le service numérique coûte moins cher à donner. « Ça évite la manipulation de papier et dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, ça nous permet d’automatiser les services », souligne le ministre, en ajoutant que les bureaux physiques seront aussi maintenus.
Selon une étude réalisée par le McKinsey Global Institute, un cabinet-conseil indépendant, l’identité numérique permettra d’améliorer les processus opérationnels, d’une valeur économique à 3 % du PIB dans les pays développés, remarque Pierre Roberge, directeur général du Laboratoire d’identité numérique du Canada (LINC), soit l’équivalent d’environ 13 milliards de dollars.
« L’identité numérique permet d’avoir des informations plus fiables tout en évitant d’utiliser le téléphone, le fax et le papier, ce qui rend les opérations plus efficaces », dit-il, avant d’ajouter que le gouvernement ontarien estime la plus-value de l’identité numérique à 20 milliards de dollars.
Plus de 70 personnes travaillent à la SQIN pour développer la future identité numérique des Québécois. Un budget de 41 millions de dollars est prévu pour le déploiement de l’identité numérique des citoyens, avec une mise en fonction prévue à l’été 2022, suivi de l’identité numérique des entreprises en 2023. Pour livrer le porte-feuille numérique aux Québécois, il faudra attendre trois ans de plus pour compléter un projet évalué à 42 millions de dollars.
Le ministre Éric Caire
ARCHIVES PC
Un portefeuille numérique en 2025
D’ici quelques années, il sera possible d’utiliser son téléphone intelligent, ou un autre support numérique, pour authentifier son identité. Mais il faudra attendre au moins 36 mois avant de pouvoir laisser son portefeuille à la maison, car à l’heure actuelle, une photo d’un permis de conduire ne peut pas être acceptée par un policier, selon la loi.
La législation devra notamment s’adapter à la nouvelle réalité numérique, car la présentation du permis de conduire physique est obligatoire, à l’heure actuelle. Notre futur portefeuille numérique ne contiendra pas seulement les données liées au gouvernement provincial, mais aussi les données en lien avec le gouvernement fédéral, et les compagnies privées, comme les banques et les compagnies d’assurance. « Les gens n’auront pas besoin d’avoir 50 000 identifiants et mots de passe », remarque Éric Caire, qui croit que le Québec sera un chef de file de l’identité numérique sur la scène mondiale.
Ce dernier explique que seul le gouvernement aurait accès aux données en lien avec la mission de l’État, alors que d’autres informations, comme celles de notre carte de crédit, notre preuve d’assurance et le permis de conduire, pourraient être partagées avec des tiers autorisés.
Pour s’assurer que l’identité numérique québécoise soit un outil reconnu dans toutes les juridictions au pays et même dans le monde, Québec doit aussi travailler avec les autres provinces et le gouvernement canadien pour assurer l’interopérabilité. L’intégration du passeport vaccinal a d’ailleurs été un bon test pour vérifier l’interopérabilité des systèmes, au cours des derniers mois.
En 2025, il devrait donc être possible de montrer son permis de conduire numérique aux policiers, ou encore sa carte d’assurance-maladie à même son téléphone. Les citoyens auront aussi le choix d’obtenir des cartes physiques s’ils le souhaitent et l’identité numérique ne sera jamais obligatoire, assure Éric Caire.
« L’identité numérique, c’est l’ensemble des composantes qui permettent d’identifier et d’authentifier un individu de façon numérique. »
— Éric Caire
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COMMENT PROTÉGER SON IDENTITÉ EN LIGNE ?
L’identité numérique ne représente pas seulement les documents officiels du gouvernement ou des données bancaires, mais aussi les actions que vous posez en ligne. Voici quelques conseils de Pierre Martin-Tardif, professeur de gestion de l’Université de Sherbrooke et spécialiste de cybersécurité, pour mieux vous protéger.
• Une bonne hygiène numérique commence par soi-même. Protégez vos renseignements personnels en tout temps. Par exemple, les entreprises n’ont pas besoin de connaître votre code postal.
• Les clics « J’aime » en disent beaucoup sur vous et c’est une partie de votre identité que vous offrez à des entreprises comme Facebook.
• Ne partagez jamais votre date d’anniversaire en ligne.
• Ne partagez pas vos photos de voyage à tout le monde, car ça informe les gens que votre maison est inoccupée.
• Amusez-vous à vous retracer vous-même sur Google pour voir quelles informations sont disponibles facilement en ligne.
• Testez votre courriel ou votre numéro de téléphone pour voir si la sécurité a été compromise en cliquant ici.
« C’est dans l’air du temps et c’est un questionnement que l’on doit faire pour bien gérer l’identité numérique des personnes. Avec les nouvelles technologies et les menaces à la protection des renseignements personnels, il faut trouver le meilleur équilibre. Le Service québécois d’identité numérique travaille avec les experts, en consultant l’industrie, pour développer les meilleures pratiques. »
— Pierre-Martin Tardif
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DES DONNÉES PERSONNELLES MIEUX SÉCURISÉES
Avec les fuites de données personnelles qui sont de plus en plus fréquentes, plusieurs citoyens craignent de perdre le contrôle avec l’implantation d’une identité numérique. Selon des experts, c’est plutôt le contraire qui se produira, car l’identité numérique permet de prendre le plein contrôle des données que l’on veut partager.
« Quand un commis de dépanneur demande une pièce d’identité pour confirmer que vous avez bien 18 ans pour acheter de l’alcool, il n’a pas besoin de connaître votre adresse et pourtant, il y a accès quand vous lui montrez votre permis de conduire », remarque Pierre Roberge, directeur général du Laboratoire d’identité numérique du Canada (LINC), situé à Gatineau.
Avec l’implantation de l’identité numérique, il sera possible de diffuser seulement l’information nécessaire, soit l’âge, dans le cas de l’achat d’alcool. « On redonne le contrôle au citoyen parce qu’il sera en mesure de savoir avec qui il transige et quelles informations il partage », estime Pierre Roberge. Par exemple, ce dernier se désole de voir toutes les informations que l’on doit partager lorsque l’on magasine une voiture.
Pierre-Martin Tardif, professeur de gestion de l’Université de Sherbrooke et spécialiste de cybersécurité, abonde dans le même sens. « Avec les technologies disponibles aujourd’hui, il est possible d’avoir un meilleur contrôle sur votre identité », dit-il.
« On donne beaucoup trop d’informations et renseignements personnels avec nos pièces d’identité, à l’heure actuelle, mais on n’a pas de choix, renchérit le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire. Avec l’identité numérique, on va offrir une alternative pour transmettre seulement les informations nécessaires. »
L’efficacité est importante, mais la sécurité aussi, et c’est la raison pour laquelle le gouvernement du Québec a décidé de créer un ministère de la Cybersécurité et du Numérique, remarque le ministre. « On veut augmenter notre capacité pour la cyberdéfense, pour mieux se protéger », mentionne-t-il.
Bien qu’il concède que le risque zéro n’existe pas, Éric Caire a passé le mot à ses équipes pour qu’elles soient « paranoïaques » sur les aspects de sécurité. « On veut livrer un service qui aura un très haut niveau de confiance des utilisateurs », dit-il.
Le gouvernement travaille notamment avec le Laboratoire d’identité numérique du Canada (LINC), une organisation neutre qui permet de tester l’interopérabilité et la conformité des outils numériques mis en place. « On s’assure que le travail est bien fait pour protéger les informations des individus et des entreprises », explique Pierre Roberge.
« C’est très sain de voir que le gouvernement met l’emphase sur la cybersécurité dès maintenant », remarque Pierre-Martin Tardif, qui serait plus inquiet si le gouvernement ne faisait rien à ce sujet.
« C’est dans l’air du temps et c’est un questionnement que l’on doit faire pour bien gérer l’identité numérique des personnes. Avec les nouvelles technologies et les menaces à la protection des renseignements personnels, il faut trouver le meilleur équilibre. Le Service québécois d’identité numérique travaille avec les experts, en consultant l’industrie, pour développer les meilleures pratiques », ajoute-t-il.