Faire le deuil de sa caisse pop

Desjardins ferme des points de service. Les régions encaissent

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Faire mourir les villages

Les points de service du Mouvement Desjardins disparaissent peu à peu du paysage québécois, surtout en milieu rural. Un phénomène qui suscite de nombreuses inquiétudes.
Un peu partout au Québec, des voix s’élèvent pour critiquer la vague de fermetures de points de service et de guichets automatiques du Mouvement Desjardins. En cours depuis quelques années, le phénomène touche particulièrement les milieux ruraux et ne montre aucun signe d’essoufflement. De la Gaspésie à l’Abitibi en passant par l’Estrie et les Bois-Francs, chaque mois ou presque, des résidants de petites municipalités perdent l’un des derniers services de proximité encore offerts dans leur milieu: leur caisse populaire.
«On entend fréquemment: "est-ce que le gouvernement veut fermer les régions ? "Desjardins a l’air d’avoir une démarche similaire », dit Benoit Bourassa, maire du village de Saint-Camille, dans les Cantons-de-l’Est, dont le point de service de Desjardins a fermé il y a un mois.
La tendance est lourde. Le nombre total de caisses et de points de service a diminué de 15% depuis 2010, passant de 1375 à 1165. Depuis le début des années 2000, la baisse frôle les 30%.
Ce désengagement observé aux quatre coins du territoire québécois a beau être accompagné d’un essor fulgurant de l’utilisation des services en ligne de Desjardins (voir autre texte), il ne se fait pas sans heurts.
Récemment, les maires de Sainte-Marcelline-de-Kildare et de Sainte-Béatrix, dans le nord de Lanaudière, ont fait les manchettes en annonçant que leurs municipalités retireraient leurs avoirs chez Desjardins pour protester contre la fermeture prochaine des points de service locaux.
« C’est faire mourir le village, dit le maire de Sainte-Marcelline, Gaétan Morin. Desjardins s’éloigne de ce qui était sa mission à l’origine.»
Les gens âgés, qui représentent souvent une proportion importante des résidants des villages québécois, sont particulièrement touchés par les fermetures, note Danis P r ud’homme, di recteu r général du Réseau FADOQ (anciennement Fédération de l’âge d’or du Québec). «Dans tout marché, il y a des loss leaders, des endroits qui font moins d’argent, mais pour lesquels il est nécessaire d’être là. Dans le cas de Desjardins, qui est une coopérative à la base, c’est nécessaire d’être près des gens.»
Des effets bien réels
Les annonces de fermeture de points de service surviennent avec la régularité d’un métronome. Six sont passés à la trappe en Abitibi le 1er janvier. Trois autres ont fermé leurs portes dans la vallée de la Matapédia à la fin du mois de mars. En Estrie, le centre de services de Saint-Camille, guichet automatique inclus, a connu le même sort le 2 avril.
La population de ce village de 525 habitants situé à 45 minutes au nord-est de Sherbrooke a organisé une procession funéraire symbolique pour protester contre la décision de la Caisse populaire de Dudswell – Saint-Camille.
« On est pas mal consternés, et je comprends très bien la réaction forte des maires de Lanaudière qui ferment leurs comptes pour se tourner vers des banques, dit le maire Bourassa. Le Mouvement Desjardins perd de la crédibilité. L’esprit coopératif ne semble plus aussi présent qu’il l’était il n’y a pas si longtemps.»
Les effets de ces fermetures sont bien réels, assure-t-il. La plus proche succursale est désormais à 15 km de Saint-Camille, dans un secteur montagneux. «Ça occasionne des déplacements plus importants pour obtenir un service de base et pour aller chercher des liquidités, en plus de dépenses additionnelles de gestion pour les petits commerces», dit le maire.
Il craint que la disparition de Desjardins ait un effet similaire à la perte d’une école primaire – un signe immanquable de dévitalisation d’une municipalité. « Si tu perds l’école, les petites familles sont moins enclines à venir s’établir, souligne-t-il. Desjardins, c’est la même chose.»
Poudre aux yeux?
Toutes les municipalités ne regimbent pas contre la fermeture de leur caisse. Dans la plupart des cas, la fermeture s’accompagne de la création d’un fonds de développement qui permet de soutenir des projets de la municipalité : rénovation de bâtiments, appui à des organismes communautaires, etc.
À Sainte-Eulalie, près de Victoriaville, où le comptoir de services et le guichet ont disparu en 2013, la Caisse a donné une aide financière pour l’acquisition de terrains où la Ville souhaitait réaliser un nouveau lotissement résidentiel. « Pour une petite municipalité de 900 personnes comme la nôtre, attirer de nouvelles familles a un impact très important. On estime que c’est un succès », indique le directeur général de Sainte-Eulalie, Yvon Douville.
Mais la réaction habituelle est plutôt la résistance. À 200 km à l’est de Sainte-Eulalie, le village de Buckland, dans Bellechasse, se bat pour la survie de son comptoir Desjardins. Sa fermeture est prévue pour février 2016, en même temps que celle du point de service de la municipalité voisine de Saint-Philémon. (Une troisième succursale de la Caisse populaire des Monts et Vallées, à Saint-Nazaire-de-Dorchester, fermera dès juillet.)
Le comptoir de services de Buckland est actuellement ouvert seulement 11 heures par semaine. «Les dirigeants de la Caisse disent qu’il n’y a pas d’achalandage. C’est de la poudre aux yeux. Ils n’arrêtent pas de couper des heures », dit Laurette Carrier, porteparole du comité d’action du club FADOQ-Bon accueil de Buckland.
Buckland n’a plus de guichet automatique depuis 2009. Résultat, dit Mme Carrier: les gens ont pris l’habitude de faire leurs commissions dans le village voisin, en même temps qu’ils vont y retirer de l’argent. «On est en mode survie. S’ils enlèvent le comptoir, les gens vont aller encore plus à l’extérieur», dit Mme Carrier.


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