Le maire de Saint-Jérôme, accusé d’avoir enfreint la loi électorale, a été enregistré à son insu, en train d’offrir un « emploi prestigieux » à un conseiller municipal dont il voulait se débarrasser.
Notre Bureau d’enquête a eu accès à un enregistrement audio des événements qui se sont déroulés le 6 octobre 2017 dans le bureau du maire Stéphane Maher. Ce dernier y avait convoqué Mario Fauteux, conseiller municipal depuis 2013 et membre de sa formation politique.
Alors que la période de mise en candidature pour la prochaine élection allait se terminer quelques heures plus tard, il demande au conseiller de renoncer à se présenter pour son parti. Il lui offre un emploi en guise de « compensation », sans savoir qu’il est alors enregistré.
« J’ai deux postes prestigieux à t’offrir. Tu décideras ce que tu veux faire », peut-on entendre.
Le maire énumère des postes dans différents organismes municipaux. Il offre au conseiller de choisir son horaire. Il s’avance même sur le salaire que toucherait le conseiller.
« C’est moi qui décide », répète-t-il à quelques reprises (voir extraits ci-contre).
Le maire avait rejeté du revers de la main les allégations de M. Fauteux lors d’une entrevue accordée à la station de radio locale CIMES en octobre 2017.
Or, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) semble penser le contraire puisqu’il a déposé mardi deux constats d’infraction contre le maire Maher en lien avec cette affaire.
Le DGEQ reproche au maire d’avoir tenté d’« influencer une personne au regard de sa candidature », ce qui est considéré comme une manœuvre électorale frauduleuse.
S’il est déclaré coupable, le maire devient inhabile à exercer ses fonctions pour une période de cinq ans. Une action en justice peut alors être entreprise pour le forcer à quitter son poste.
Le maire nie toujours
Le deuxième constat d’infraction émis par le DGEQ à l’endroit du maire émane d’un autre ancien conseiller municipal, André Marion, qui a porté plainte pour les mêmes motifs.
« Il m’offrait un poste de prestige, bien rémunéré, à la tête d’une future corporation culturelle [...] Mario et moi, on a vécu exactement la même expérience, à quelques minutes près », nous a-t-il raconté lorsque nous l’avons contacté.
M. Marion affirme qu’un directeur de la Ville de Saint-Jérôme a communiqué avec lui quelque temps après son entretien avec M. Maher pour faire suite à la promesse du maire et lui proposer un poste rémunéré sur un comité de la Ville.
Le maire Maher a indiqué hier qu’il comptait enregistrer des plaidoyers de non-culpabilité, en réponse aux deux constats d’infraction.
Il a tout nié en bloc par voie de communiqué. « [...] En aucun cas n’ai-je promis des emplois aux conseillers municipaux sortants Mario Fauteux et André Marion. Ces allégations sont fausses et mensongères », a dit le maire.
L’enregistrement n’avait jamais été rendu public avant aujourd’hui.
Extraits de l’enregistrement du 18 octobre 2017
1. Le maire Maher annonce à Mario Fauteux qu’il ne veut plus l’avoir dans son équipe en vue des prochaines élections. En retour, il lui offre un emploi à la Ville.
« Je ne te garderai pas comme conseiller municipal. [...] T’es pas candidat, mais j’ai de bonnes nouvelles pour toi. J’ai mon plan de match. »
« En compensation, j’ai quelque chose d’intéressant pour toi. Tu décideras ce que tu veux faire. Ça va être ton choix. J’ai deux, trois postes prestigieux à t’offrir [...]. »
2. Le maire explique sa décision par la crainte d’être associé à l’ex-maire de Saint-Jérôme, Marc Gascon, dont M. Fauteux a été l’organisateur de la campagne électorale en 2001.
L’administration de Marc Gascon a fait l’objet de plusieurs allégations de manquements à l’éthique au cours des années.
Stéphane Maher affirme que le Bureau de l’intégrité professionnelle et administrative (BIPA) de Saint-Jérôme, dirigé par l’ancien policier Jacques Duchesneau, a « transféré les dossiers à l’UPAC » et que ça va « frapper fort » bientôt en lien avec l’ex-maire.
À ce jour, il n’y a eu aucune arrestation ou opération policière d’importance à Saint-Jérôme.
3. Le maire explique qu’il justifiera le départ du conseiller par la volonté du parti d’atteindre la parité homme-femme.
« Officiellement, ce qu’on va sortir aujourd’hui, c’est... parce que le discours, ce n’est pas ça évidemment. Mon objectif, c’est de protéger notre image. Parité dans le parti, on veut plus de filles dans le parti. Le communiqué de presse part ce soir. »
« Mario, tu choisiras ce que tu veux, je vais te payer, ciboire. Tu sors d’icitte comme un héros, calvaire, tu laisses ta place à une femme. »
4. Le maire offre différents postes à son conseiller.
« Président du Parc de la Rivière-du-Nord ou président du DDRDN (Développement durable Rivière-du-Nord). [...] Si tu veux une petite job, y’a des postes de disponibles de deux, trois jours par semaine là-dedans, comme DG (directeur général), DGA (directeur général adjoint), on verra. »
« Je sais que le parc, c’est un de tes rêves de le gérer, je te l’offre sur un plateau d’argent [...] Je t’offre tout. Je te rentre à Abrinord si ça te tente. »
5. À plusieurs reprises, Stéphane Maher se targue d’avoir énormément d’influence à la Ville, des nominations aux salaires.
« Prends le temps de réfléchir, ne prends pas la décision aujourd’hui. On les nomme autour du 20 novembre, qu’on nomme les postes. Tu as le temps d’y penser. Inquiète-toi pas, y’en a pas de stress. »
« Toi, tu ne travailleras pas à plein temps. Un, trois jours, 40 000 $, 45 000 $, ça dépend, c’est moi qui décide. C’est tout. »
6. Le conseiller Fauteux demande si les emplois prestigieux offerts par le maire sont bel et bien rémunérés.
Mario Fauteux (MF) : Ça ne paye pas le camping, le prestige.
Stéphane Maher (SM) : Non, non, je vais t’en trouver une job, ciboire. Combien de jours tu veux travailler ?
MF : Deux jours et demi, trois jours max.
SM : Bon, parfait, dossier réglé. 40 000 $ ?
MF : Ouais
SM : Vendu. T’as une prime de départ, icitte, de 25 000 $.
7. Enfin, le maire Maher dit à M. Fauteux qu’il est même prêt à renvoyer la directrice d’un organisme paramunicipal pour lui faire une place.
SM : Bon, dossier réglé. Sais-tu quoi ? J’ai une nouvelle pour toi. [...] La directrice qui est là, on la met dehors.
MF : Elle a de la misère ?
SM : Ben oui, est pas capable, elle ne connaît pas ça. [Je t’offre l’emploi] sur un plateau d’argent. La chaise est là, esti.
Les postes que le maire Maher a fait miroiter au conseiller dans l’enregistrement
- Président ou directeur général du Parc régional de la Rivière-du-Nord
- Président de l’organisme Développement durable Rivière-du-Nord (poste actuellement occupé par le maire)
- Directeur général ou directeur général adjoint à l’écocentre de Saint-Jérôme
- Un poste indéterminé chez Abrinord, un organisme local de bassins versants
- Un contrat de consultant ou un poste rémunéré aux projets spéciaux en « intégration » pour le déploiement du plan de construction du futur écocentre de Saint-Jérôme.