Franciser sans outils de base

Le nouveau programme est bien accueilli, mais les professeurs se plaignent de l’absence de matériel didactique

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L'échec planifié

L’implantation du nouveau programme de francisation dans les centres de formation aux adultes est décriée par les professeurs, qui dénoncent le manque de matériel didactique pour l’enseigner. Ils réclament un guide d’enseignement et un guide de l’étudiant, des exercices de lecture, du matériel audio, mais surtout des examens et des échelles de positionnement pour permettre un classement uniforme à travers le Québec.

« C’est dommage, on avait vraiment hâte d’enseigner le nouveau programme, mais il nous manque tellement de choses comme matériel, on est obligé d’improviser, déplore Andrée Charbonneau, professeure au centre Saint-Louis sur le Plateau-Mont-Royal. Je suis une bonne enseignante, ça fait 14 ans que je fais de la francisation, alors je me débrouille, mais j’ai l’impression de sauter en parachute sans savoir s’il va ouvrir. »

Le problème, ce n’est pas le nouveau programme, qui était réclamé depuis longtemps, mais tout ce qui vient avec, explique Nathalie Morel, vice-présidente à la vie professionnelle à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). « Déjà, au moment de son élaboration [en janvier 2015], on avait des questions. On n’avait aucune idée à quoi ressembleraient les évaluations. On avait de la difficulté à voir comment les élèves passeraient d’un niveau à l’autre. On n’avait pas encore les outils. »

Deux ans plus tard, le nouveau programme entre officiellement en vigueur, mais certains outils manquent toujours. « De septembre à décembre, on a relancé le ministère pour voir si les outils étaient prêts, soutient Mme Morel. Pour enseigner, ça nous prend un guide d’enseignement, notamment. C’est un outil très important pour organiser la progression des apprentissages à l’intérieur des niveaux. On leur a demandé quand ce guide serait prêt, on nous a répondu que ce n’était pas une priorité. »

Pas de guides

Le programme étant destiné à des adultes, dont plusieurs proviennent de l’immigration, les enseignements ont toujours un lien avec des situations de la vie quotidienne. Pour chacun des 12 niveaux, le programme établit une intention de communication. Au premier niveau, par exemple, l’étudiant apprend à se présenter. Au troisième, il apprend à faire une recherche de logement.

Le programme présente également les savoirs que l’étudiant doit maîtriser : le vocabulaire, les temps de verbe, etc. « Nous avons donc les intentions et les savoirs, mais rien n’est arrimé », explique la professeure Andrée Charbonneau.

« Normalement, je devrais avoir un guide de l’enseignant dans lequel je retrouverais les intentions, les savoirs et des activités déjà préparées pour enseigner tout cela. Pour la location d’un logement, j’aurais des activités de compréhension avec une bande audio et une situation de lecture avec des annonces de logement. Tout ça, regroupé en un seul endroit. Là, je n’ai rien. Je sais que je dois enseigner le logement, mais je n’ai rien pour le faire. Il faudrait que je fasse l’audio, mon questionnaire, mes annonces, il faudrait que je crée une situation où l’étudiant visite un logement et une production écrite pour le bail. »

Pas de méthode

Il n’y a pas que les professeurs qui sont laissés à eux-mêmes. Le ministère n’a pas élaboré de guide de l’apprenant, qui regroupe généralement une méthode et des exercices. « Les élèves ont besoin d’un guide, ils ont besoin d’avoir quelque chose en main pour être rassurés, soutient Jamal Kanaan, professeure de francisation au centre Les Berges, à Laval. On a toujours produit du matériel, mais c’était à titre de complément. Là, il faut tout faire de la base. »

Comme plusieurs de leurs collègues, Andrée Charbonneau et Jamal Kanaan récupèrent du matériel ici et là pour tenter de combler les lacunes. Dans certains cas, ils sont forcés d’aller puiser dans l’ancien programme. « À quoi ça sert d’avoir un nouveau programme si on doit encore se servir des exercices de l’ancien programme ? » soupire Mme Charbonneau.

Les professeurs affirment n’avoir qu’un seul prototype de question pour les évaluations, alors qu’il en faut généralement un minimum de trois par session. Et il n’y a toujours aucune échelle de positionnement pour savoir à quel niveau classer les nouveaux étudiants.

« On prend pour acquis que les professeurs vont produire tout ce matériel sur leur propre temps, puisque la très grande majorité d’entre eux sont à statut précaire et ne sont payés que pour les heures où ils sont en présence des élèves », déplore Nathalie Morel de la FAE.

Chacun affirme faire de son mieux, mais le « matériel maison » n’est pas toujours de qualité ou uniforme d’un centre à l’autre, voire d’une classe à l’autre, ajoute-t-elle.

Manque de collaboration du MIDI

Ce qui choque encore davantage les professeurs, c’est qu’ils savent que du matériel est disponible au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), qui offre déjà ce programme pour des clientèles différentes. Le programme de francisation du MIDI travaille notamment avec les organismes communautaires et les entreprises. « On sait qu’ils ont du matériel de qualité, mais lorsqu’on demande d’y avoir accès, on nous répond [à la commission scolaire] que le MIDI refuse de partager son matériel, s’indigne Andrée Charbonneau. Je ne comprends pas, c’est pourtant du matériel créé avec des fonds publics ! »

Questionné à cet effet, le MIDI répond que son matériel est soumis à plusieurs modifications en ce moment. « Le ministère continuera à collaborer avec le MEES [ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur] une fois que la version finale sera disponible », répond Amina Benkirane.

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