En juin 1998, Jean Charest, qui sentait approcher les élections, avait voulu donner un petit vernis social-démocrate au parti dont il venait de prendre la direction. Il avait donc invité Claude Ryan à présenter au conseil général du PLQ son tout nouveau rapport sur la pauvreté.
Malheureusement, il avait aussi invité Charles Sirois, alors président de Téléglobe, qui avait été chargé de recruter des candidats dans les milieux d'affaires. M. Sirois avait mal choisi son moment pour faire l'éloge de la richesse. Alors que le rapport de M. Ryan déplorait la baisse marquée des revenus des travailleurs, il avait déclaré qu'il fallait soulager les entreprises des trois plaies que constituaient la sécurité d'emploi, les augmentations de salaire et les grèves. Manifestement, quelque chose lui avait échappé.
M. Sirois, qui admet ne pas avoir l'âme d'un politicien, a encore réussi à brouiller le message hier. Il avait bien compris que sa présence aux côtés de François Legault visait à démontrer que des souverainistes et des fédéralistes pourraient former un gouvernement qui mettrait la question constitutionnelle de côté pour relever les défis auxquels le Québec est confronté. Le moins que l'on puisse dire est que ce n'était pas très convaincant.
L'embarras dans lequel l'a plongé une question pourtant très prévisible sur la création d'une commission des valeurs mobilières pancanadienne illustrait parfaitement les problèmes auxquels se heurterait un gouvernement mixte. Dans le merveilleux monde du fédéralisme canadien, presque tous les dossiers comportent une dimension constitutionnelle.
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Le manifeste de la nouvelle Coalition pour l'avenir du Québec établit très bien le rôle néfaste du multiculturalisme canadien, qui empêche le Québec de faire prévaloir sa langue et ses valeurs auprès des nouveaux arrivants autant qu'il le faudrait. «Il faut mettre un terme aux signaux contradictoires qui sèment le doute dans trop d'esprits», peut-on y lire. Sauf que l'on refuse de tirer les conclusions qui s'imposent.
On aura beau augmenter les ressources consacrées à la francisation des immigrants, il restera toujours qu'ils arrivent dans un pays où l'anglais domine et où le Québec demeure une simple «province» parmi dix, comme l'a si bien dit M. Sirois.
La Charte de la langue française a été et demeure une excellente loi, mais elle a des limites. D'ailleurs, M. Legault refuse d'étendre son champ d'application, que ce soit aux cégeps ou aux PME.
Pendant des années, M. Legault a plaidé le fait que le Québec avait besoin de tout son coffre d'outils pour s'épanouir pleinement. À défaut de construire une maison toute neuve, il parle maintenant d'une vaste «rénovation», mais il risque de devoir se contenter d'un simple bricolage.
M. Legault est un homme intelligent. Il sait très bien que mettre la question nationale de côté équivaut à consacrer le triomphe du statu quo, c'est-à-dire du fédéralisme. Il sait aussi qu'Ottawa ne cessera pas de travailler à une plus grande homogénéisation du pays, simplement parce que le Québec souhaite faire une pause. Peu importe, il veut être chef coûte que coûte.
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Le manifeste qui a été rendu public hier n'est sans doute pas à la hauteur des attentes. Les grands objectifs qu'il fixe ont des allures de tarte aux pommes. Qui peut contester la nécessité de «solidifier les fondements de notre société», d'«assurer la vitalité de notre culture» ou encore d'«accroître la performance de nos services publics»? La seule conclusion qu'on peut tirer du dernier sondage Léger Marketing-QMI est que les Québécois n'ont rien contre la vertu.
En attendant le plan d'action qu'il promet pour l'automne, il est cependant possible de voir ce que ne serait pas un nouveau parti dirigé par M. Legault. Par exemple, ce ne serait pas un simple clone de l'ADQ. Ceux qui voient en M. Legault un homme résolument de droite pourraient avoir des surprises.
Les syndicats du secteur public se méfient généralement de ceux qui parlent d'améliorer «l'efficacité des services» et «l'organisation du travail» par une «gestion beaucoup plus rigoureuse». La remise en question implicite de la sécurité d'emploi des enseignants, en retour d'une rémunération accrue, risque également de faire tiquer.
Le manifeste de M. Legault ne contient cependant aucune des manifestations de cet antisyndicalisme primaire qui caractérise l'ADQ. S'il est question de décentralisation des décisions et d'une plus grande responsabilisation des acteurs locaux dans le réseau de la santé, il n'est question nulle part d'accroître la place du secteur privé.
Si l'État doit établir «un climat résolument favorable aux investissements privés», son rôle dans le développement économique n'est pas remis en question. La Coalition semble plutôt souhaiter que la Caisse de dépôt redevienne plus active dans le maintien des sièges sociaux au Québec.
Même si Quebecor semble déjà en campagne, M. Legault n'est pas encore premier ministre. On croit comprendre de la lecture de son manifeste qu'en contrepartie d'un allégement de la fiscalité des entreprises, le fardeau des contribuables pourrait s'alourdir. Déjà, en 2003, Bernard Landry et Pauline Marois avaient dû lui expliquer que faire campagne sur des hausses d'impôt n'était pas une bonne idée.
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mdavid@ledevoir.com
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