Libre-échange

Gare aux contradictions

Le Canada entreprend une étape cruciale dans ses relations commerciales

Accord de libre-échange Canada - Union européenne




Au cours de l'été, les révélations sur les frais de déplacement de membres du gouvernement Harper depuis 2008 ont fait réagir les partis d'opposition. Alors que des contraintes budgétaires forceront vraisemblablement des réductions importantes dans les dépenses de l'État, certains se demandent pourquoi le premier ministre et ses collègues empruntent le trajet vers l'aéroport aussi souvent.
Pourtant, l'augmentation de la portion des dépenses qui touche les missions à l'étranger ne devrait surprendre personne. Depuis 2008, les sommets internationaux sur des sujets reliés surtout à l'économie se sont multipliés. Parallèlement, avec la déconfiture prévisible des efforts de l'Organisation mondiale du commerce de clore une entente de libre-échange multilatéral (ronde de Doha), le Canada a décuplé ses efforts auprès de plusieurs pays pour lancer des négociations bilatérales. Alors que l'on reprochait à M. Harper, peu après son élection en 2006, de ne se soucier guère de la place du Canada dans le monde, on peut difficilement le critiquer d'avoir fait ses classes (certains diront tardivement) et d'être devenu un allié important de nos exportateurs.
Du terrain à reprendre
La liste des pays qu'a visités le premier ministre pour la première fois depuis trois ans est révélatrice: Chine, Inde et Brésil. La possibilité que le Canada engage des négociations en vue d'une entente de libre-échange avec l'un ou chacun de ces pays dans les prochaines années est réelle. Alors que les gouvernements d'une grande majorité de pays développés se confrontent toujours à des défis économiques majeurs, ceux des économies émergentes naviguent encore dans des eaux relativement calmes. La contribution des pays émergents à la croissance mondiale (produit intérieur brut global) depuis dix ans est remarquable. De 21 % en 2002 elle est passée à près de 40 % en 2010.
Depuis l'échec des dernières négociations sérieuses autour de Doha en 2008, la Chine, l'Inde et le Brésil (et quelques autres) se sont vus courtisés par plusieurs pays pour entreprendre des négociations de libre-échange. Le Canada, il faut l'admettre, a énormément de terrain à rattraper. On pourrait même attribuer (en partie) la défaite cuisante du Canada en octobre 2010 pour l'obtention d'un siège au Conseil de sécurité de l'ONU à l'absence de rapports étroits avec un groupe important de pays émergents, dont le Brésil.
Paradoxalement, ces efforts d'ouverture de nouveaux marchés se déroulent alors qu'ici même, au Canada, nous assistons à une certaine remise en question de la propriété étrangère de nos actifs. Dans la foulée de l'acquisition avortée de Potash par BHP Billiton en 2009, il est maintenant de mise de s'interroger sur la pertinence de permettre à des sociétés étrangères d'acquérir certaines entreprises canadiennes. L'alliance proposée entre la Bourse de Londres et le Groupe TMX en est un exemple récent. Bien qu'aucun gouvernement n'ait eu à intervenir en raison du retrait de la proposition, les nombreux appels au patriotisme économique (et à l'intervention réglementaire) dès les premiers jours suivant l'annonce de la transaction ont surpris.
Un nouveau contexte
Assistons-nous à l'éruption de réflexes protectionnistes refoulés depuis la conclusion du libre-échange avec les États-Unis ou s'agit-il plus simplement d'une plus grande affirmation nationale résultant de la performance économique enviable du Canada des dernières années? Force est de constater toutefois qu'il existe une nouvelle grille d'analyse et que son mode d'emploi n'offre rien de simple pour les acquéreurs étrangers.
On peut aussi légitimement s'interroger sur l'acquisition d'Alcan par Rio Tinto en 2007: cette transaction résisterait-elle au nouveau contexte post-Potash? Probablement pas et, pourtant, le conseil d'administration d'Alcan a conduit les négociations avec Rio Tinto de main de maître et obtenu une contrepartie importante pour les actions d'Alcan. N'oublions pas qu'un très grand nombre de petits — et moins petits — actionnaires canadiens ont obtenu un rendement spectaculaire lors de la vente d'Alcan.
Il ne serait pas étonnant que certaines sociétés étrangères choisissent maintenant de procéder avec grande prudence au Canada, craignant de voir leurs projets d'acquisition repoussés ou plutôt assujettis à des conditions inintéressantes. Pour certains observateurs canadiens, il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Il faut conserver nos sièges sociaux et par conséquent assurer le maintien de l'emploi au Canada.
Changement de ton
Cette logique se heurte toutefois à des principes élémentaires. S'il n'existe aucune règle touchant la propriété de sociétés oeuvrant dans certains secteurs (contrairement, par exemple, au secteur aérien ou à celui des télécommunications), devons-nous en assujettir l'acquisition à des règles plutôt arbitraires (comme c'est le cas présentement alors que la Loi sur Investissement Canada permet au ministre de l'Industrie de rejeter une transaction qui n'est pas à l'avantage net du Canada)? Après le rejet de l'acquisition de Potash, le premier ministre Harper avait laissé entendre que la loi serait revue. Espérons que cet examen permettra de mieux circonscrire ce que constitue un avantage net ou, à défaut, de décliner clairement les secteurs de l'activité économique à l'égard desquels le gouvernement juge un contrôle canadien essentiel.
De plus, au-delà des considérations réglementaires, nos gouvernements doivent-ils devenir des acteurs pour prévenir de telles transactions en utilisant les leviers économiques à leur disposition? Il faut se rappeler les appels répétés à la Caisse de dépôt et placement du Québec pour qu'elle intervienne dans le dossier d'Alcan (et celui de BCE dont la vente avortée à un groupe d'investisseurs canado-américains se déroulait à la même époque). La Caisse a résisté à la tentation; considérant le prix ultimement payé par Rio Tinto et les conditions économiques depuis l'acquisition, les contribuables du Québec lui sont probablement reconnaissants.
Pendant que M. Harper se déplace d'une capitale à l'autre, ses hôtes auront fort probablement noté le changement de ton au Canada. Le pays entreprend une étape cruciale dans ses relations commerciales. D'une très grande dépendance sur les États-Unis pour ses exportations, il souhaite maintenant offrir des solutions de rechange à ses exportateurs en leur ouvrant une fenêtre sur de nouveaux marchés très prometteurs. Ce faisant, comme il s'agit d'ententes bilatérales, le Canada doit également convenir que non seulement des biens étrangers se retrouveront plus facilement sur les tablettes canadiennes, mais aussi que les capitaux étrangers risquent d'atterrir chez nous. Ces mêmes capitaux étrangers, doit-on le rappeler, qui ont contribué à l'essor du Canada depuis près de 150 ans.
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Michael M. Fortier - Banquier et ancien ministre du Commerce international, l'auteur a aussi été l'un des conseillers de la Bourse de Londres lors de la transaction envisagée avec le Groupe TMX


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